Georges Ouégnin : La Lettre Qui Le Trahit

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Légitime mais un tantinet pernicieux. Difficile de ne pas risquer un tel qualificatif après lecture de la lettre ouverte dont s’est fendu hier dans la presse, à la surprise générale, l’ambassadeur Georges Ouégnin, le mythique directeur du protocole d’Etat d’Houphouët-Boigny, qui a également servi au même poste, excepté Alassane Ouattara, les présidents qui ont succédé au père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne.
En tout cas, ce double et antinomique sentiment, bien des Ivoiriens ont cru le voir se manifester en eux et sous leurs yeux en parcourant le texte de l’illustre homme. Et sans doute en fin de lecture, auront-ils compris, pour peu qu’ils aient lu la missive entre les lignes, d’en saisir la non moins double dimension : humaine, mais, hélas, bien politique voire politicienne !
Car, il est vrai et on peut le lui concéder, Georges Ouégnin a réagi hier, en première intention, en « légitime défense ». Il a répondu à un article qui est apparu à ses yeux, comme une attaque contre sa personne, mais surtout contre sa famille. Le quotidien qui l’a publié a mis hors de lui l’ancien homme de main d’Houphouët-Boigny, en « exposant » à sa couverture une photo de lui entouré de sa famille (son épouse et ses enfants) posant avec Henri Konan Bédié, au domicile de ce dernier, avec une légende, jugée « insultante » : « Le jour où Ouégnin demandait « pardon » à Bédié pour que sa fille soit candidate PDCI à Cocody aux législatives 2012 ». Traduction : avant les législatives, Georges Ouégnin s’est rendu avec les siens chez Bédié pour supplier celui-ci d’accepter en tant que président du parti, la candidature de sa fille à cette élection. Or, selon le père de Yasmina, la photo publiée par le journal en question date, non pas de décembre 2011 mais de décembre 2012. Traduction encore : Ouégnin n’a pas pu se rendre chez l’ex-chef de l’Etat « pour lui demander pardon pour que sa fille soit candidate » en 2012, quand cette dernière revenait, justement selon lui, de l’investiture qui la consacrait candidate du PDCI à ces élections, en 2011. Comment demander quelque chose qu’on a déjà obtenu un an auparavant? Telle est, en substance, l’une des incongruités à l’origine de la colère de l’homme. L’autre source de courroux si on en croit l’ambassadeur, vient de la conclusion que tout lecteur de cette légende devrait pouvoir, en toute logique, tirer d’une telle expédition familiale chez les Bédié : les Ouégnin sont ingrats, ils ne reconnaissent pas le bienfait.
Au total et pour ce qu’on on comprendre, si Georges Ouégnin a fait sa sortie dévastatrice d’hier, c’est qu’il s’est senti diffamé. Mais que fait-on quand on est diffamé ? Quelle réaction a-t-on quand on est sûr que ce qu’on dit sur vous est faux ? Eh bien, on dément tout simplement ce qu’on estime faux. Toutes ces allégations contre l’ancien compagnon d’Houphouët, si elles étaient vraiment mensongères, pourquoi ne les balaie-t-il pas en apportant tout simplement la preuve de leur fausseté. Si Ouégnin estime qu’il ne s’est pas rendu chez Bédié pour lui demander pardon d’accepter la candidature de sa fille, pourquoi ne dit-il pas tout simplement la vraie raison de sa visite chez le président du PDCI ? Si demander pardon est un si grand sacrilège chez les Ouégnin pourquoi ne dissipent-il pas tout doute sur la nature de leur entrevue avec leur hôte d’un soir, ce qui aurait pour avantage de couper court tout ce débat malsain ?
Pourquoi donc, au lieu de cette démarche simple, un homme qui accumulait jusque-là près d’un demi-siècle de « mystère silencieux » autour de sa personne, facteur indiscutable d’une respectabilité certaine dans ce pays, sort-il si violemment de ses gonds, menaçant même, le couteau entre les dents, de mettre fin à son devoir de réserve, « pour parler d’autres choses ». Sous-entendu, pour dévoiler certains secrets d’Etat, susceptibles si on jauge le ton avec lequel elles sont agitées, de mettre en péril les fondements de la république.
Mais par-dessus tout, que recherche Georges Ouégnin en consacrant le trois quarts de son brulot à ce prétendu pardon qu’il aurait demandé à Bédié le 21 décembre 1999 ? « Ce jour-là, raconte-t-il, il était encore président et je l’ai trouvé dans sa chambre. Il préparait le message qu’il devait adresser le lendemain à la Nation (…) je me suis mis à genoux, je dis bien à genoux devant le président Bédié. Je lui ai tenu les pieds le suppliant presque, pour lui dire : M. le Président, libérez les dirigeants du RDR. Henriette Diabaté, Hamed Bakayoko et tous les autres que vous avez fait emprisonner en novembre 1999… ». Même si cela a pu être vrai, voire dans la forme caricaturale que Ouégnin le présente, quel est le lien entre ce pardon à Bédié « pour sa fille » et celui qu’il aurait fait au même Bédié « pour le RDR » ? Quel est le mobile d’une telle contorsion ? Pourquoi décrit-il avec tant de détails et de façon si triomphante cet épisode de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, dont du reste personne n’ignore l’authenticité. Qui ne sait pas dans ce pays que sous Bédié la direction du RDR a été jetée en prison ? Quel Ivoirien ignore cette parenthèse de l’histoire de notre pays ? Mais quel Ivoirien, à commencer par Ouégnin lui-même, ignore également que depuis …2005 à paris, s’est conclu une plate-forme politique qui a vu la naissance du RHDP, laquelle a consacré la réconciliation entre les deux hommes, Alassane Ouattara et Bédié, au nom d’Houphouët-Boigny ? Qui n’a pas vu que ce rapprochement entre les deux personnalités – auquel peu de gens (dont certainement Ouégnin) croyaient – est parvenu à vaincre la dictature qui sévissait alors ? L’ancien directeur du protocole d’Etat aurait voulu mettre à mal cette fraternité retrouvée – et qui marche si obstinément malgré les amertumes qu’il suscite en bien des gens – qu’il ne s’y serait pas pris autrement.

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