Qui Doit Juger Qui ?

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Alassane Ouattara ne juge que les partisans de Laurent Gbagbo et personne de son propre camp. Il pratique donc la justice des vainqueurs. » C’est l’accusation qui est lancée contre le Président de la République, depuis quelque temps, et contre laquelle il doit se défendre. Justice des vainqueurs ? Oui ! Et alors ? Peut-on nous dire, dans la longue histoire de l’humanité, où et quand le vainqueur a été jugé ou s’est jugé lui-même pour se punir d’avoir… vaincu ? Où et quand le plus faible a jugé le plus fort ?
Qui a jugé les Européens pour tous les crimes qu’ils ont commis en Amérique, en Afrique, en Asie ? Qui a jugé les Américains pour tous les crimes commis par leur armée au Vietnam, en Irak, en Afghanistan ? Qui cherche à les juger pour tous les enfants que leurs drones tuent tous les jours au Pakistan, en Afghanistan ? Qui a jugé les Français pour les crimes qu’ils ont commis durant la guerre en Algérie ? Qui a jugé Paul Kagame pour avoir soutenu la guerre qui a fait partir Mobutu du pouvoir, au prix de milliers, voire de millions de morts ? Qui ignore le nombre de corps sur lesquels Kabila père a marché, avec le soutien des Rwandais, pour parvenir à Kinshasa ? Pourquoi donc les justiciers d’aujourd’hui ne réclament-ils pas, avec autant de véhémence, que les auteurs de ces crimes soient, eux aussi, jugés ? Pourquoi les Américains ont-ils refusé de signer le traité de Rome instituant la Cour pénale internationale ? Parce que la grande puissance qu’ils sont refuse que quiconque ose vouloir les juger pour les crimes qu’ils commettent dans leurs guerres. Qui a jugé qui, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale ? Qui, dans l’histoire, a toujours jugé qui, à la fin de toutes les guerres ?
Aujourd’hui, on voudrait culpabiliser le camp des démocrates pour avoir mis fin à la dictature de Laurent Gbagbo. Si ce dernier avait tranquillement accepté le résultat de l’élection, comme le monde entier le lui avait demandé, qui aurait songé à utiliser les armes pour le faire partir ? Nous ne devons plus laisser cette imposture prospérer. Lorsque l’on déclenche une guerre et que l’on ne veut pas courir le risque d’être jugé après, on s’arrange pour la gagner. Lorsqu’on la perd, on se retrouve seul devant les juges, jamais en compagnie du vainqueur. Gbagbo et ses partisans ont déclenché une guerre pour conserver le pouvoir et ils l’ont perdue. C’est à eux d’en supporter les conséquences; c’est à eux d’être jugés et personne d’autre. Personne n’a à se justifier de pratiquer la justice des vainqueurs. Parce que sur cette terre des hommes, c’est le vainqueur, le plus fort, qui a toujours jugé le vaincu. Et puis, très honnêtement, si c’était Laurent Gbagbo qui avait gagné cette guerre, qui parmi ceux qui vivaient au Golf serait vivant aujourd’hui ? Et qui lui aurait cherché des poux dans la tête pour ça ? Le tort d’Alassane Ouattara serait-il d’avoir préservé la vie de Gbagbo et des siens ?
Souvenons-nous. En avril 2004, l’opposition ivoirienne d’alors voulait manifester pour réclamer l’application des décisions qui devaient conduire à l’organisation des élections. Laurent Gbagbo avait interdit cette manifestation. L’armée avait été déployée dans toute la ville d’Abidjan. Personne ne pouvait mettre un orteil dehors. Et pourtant, des personnes ont été tirées de leurs domiciles et tuées. L’Onu a dénombré des centaines de morts. Qui a jugé Laurent Gbagbo ou un seul de ses partisans ou militaires ? Personne! Parce que l’homme fort, en ce moment – là c’était bien lui. Pourquoi n’en parle-t-on plus ? Le jeune étudiant, Habib Dodo, a été sauvagement assassiné par la Fesci, bras armé de Laurent Gbagbo. Le jardinier Badolo, dont le seul tort avait été de se trouver sur les lieux de l’ancienne résidence d’Alassane Ouattara, a été tout aussi sauvagement assassiné par la garde républicaine de l’ex-Président. Pourquoi donc tous ceux qui parlent de justice des vainqueurs n’en font-ils pas cas ? Pourquoi n’ont-ils pas exigé, comme ils le font aujourd’hui, que les auteurs de ces crimes abominables soient recherchés et jugés ? Pourquoi ?
Nous ne cherchons nullement ici à banaliser certains morts qui ont jalonné le chemin qu’il a fallu prendre, par la faute de Laurent Gbagbo, pour faire triompher la démocratie ivoirienne. Nous ne cherchons pas à exonérer qui que ce soit pour des crimes qu’il aurait commis. Mais exiger une espèce de parité devant la justice, mettre sur le même pied celui qui a déclenché la guerre et l’a perdue avec ceux qui ont dû prendre les armes pour rétablir la légalité sortie des urnes est insultant. Surtout lorsque l’on n’a pas la même exigence pour des crimes autrement plus graves commis ailleurs.
Venance Konan
Source : Fraternite matin

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