Faut-Il Oui Ou Non Libérer Morsi ?

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A l’heure actuelle, il y a toujours un malaise à nommer ce qui se passe en Egypte, depuis le coup de force perpétré par l’armée contre le régime Morsi. On assiste à une montée de l’intolérance politique entre partisans et adversaires du président Morsi, et la liste des victimes ne cesse de s’allonger. Au même moment, la famille biologique du président destitué et détenu dans un lieu secret par l’armée, a décidé d’engager une véritable offensive judiciaire contre le premier responsable de cette institution, le général Abdel Fattah Al-Sissi. Pour la famille du président Morsi, celui-ci est victime d’un « enlèvement » et d’une « détention arbitraire ». Elle entend même internationaliser le dossier Morsi, au nom d’une certaine idée de la légalité. Soulignons que la famille Morsi compte, souterrainement, sur le soutien de l’Allemagne et des USA, deux grandes puissances qui exigent aussi la libération de l’ex-président égyptien.

Le système Morsi, c’était un système de bipolarisation des esprits

Dès lors, faut-il oui ou non libérer Morsi ? Rappelons que l’ex-président Morsi a déjà de la chance d’être encore vivant. Dans les Etats arabes, rares sont les dirigeants renversés qui ont eu la vie sauve. L’armée a tout fait pour garantir l’intégrité physique de Morsi, montrant ainsi que sa nouvelle éthique repose sur le respect de la vie. Certes, les protestations et les affrontements que la destitution de Morsi a soulevés et continue de soulever, menacent réellement la stabilité, et nuisent à l’image de l’Egypte. Et l’on doit comprendre l’indignation légitime des Frères musulmans. Mais qui a été à l’origine du désordre généralisé, du chaos et de l’anarchie qui ont précipité la chute du régime Morsi ? C’est Morsi lui-même. Il faut chercher les racines de la chute de Morsi dans la représentation que les Frères musulmans se font de la démocratie.
La politique de Morsi engendrait des troubles, faisant de la société égyptienne, une société instable : elle a rompu l’unité sociale du pays. Le système Morsi, c’était un système de bipolarisation des esprits. Pourquoi ? Parce que, pour les Frères musulmans, leur parti se prétend de Dieu. Et l’on sait que celui qui s’érige en parti de Dieu finit par s’en croire le porte-parole et par vouloir dire tout seul la limite politique entre le bien et le mal.
En vérité, les Frères musulmans égyptiens ont la même conception de la démocratie que les islamistes algériens du FIS, à l’époque. Comme l’avait si bien formulé Ali Bel Hadj, un des leaders en vue du FIS, la démocratie est « un mot impie qui n’existe pas dans la parole de Dieu ».

Actuellement, seule l’armée peut organiser démocratiquement, le nouvel espace public égyptien

Or, nous savons qu’en tout temps et en tout lieu, quand le politique ne précède pas le religieux, on assiste à une ritualisation de la violence. L’épreuve du pouvoir, bien qu’elle fût brève, doit conduire le parti de Morsi à une réévaluation de sa relation à la démocratie et à l’Etat. Car, ici, l’enjeu n’est rien moins que le rapport à établir entre religion et Etat. La jeune démocratie égyptienne cherche, avec sa future Constitution, à instaurer un régime politique « neutre », ne confessant aucune religion officielle et protégeant toutes les minorités religieuses. Comme l’histoire nous l’enseigne, il est facile d’organiser le champ politique et social autour de la haine, et difficile de l’organiser autour de la liberté et de la solidarité. Le sentiment national égyptien s’enracine profondément dans son armée, une armée qui reste, ici, la matrice de la solidarité entre Egyptiens.
Et actuellement, seule l’armée peut organiser démocratiquement, le nouvel espace public égyptien. Or, dans les circonstances actuelles, la libération de Morsi remettrait en cause cette option stratégique choisie par l’armée. Certes, Morsi constitue un véritable fardeau politique pour les autorités de transition. Mais il faut avoir renoncé au principe de réalité, et faire preuve d’une naïveté morbide, pour croire qu’on pourra retrouver Morsi à la tête d’une manifestation des Frères musulmans, avant que son successeur n’ait été démocratiquement élu et installé au pouvoir. Ici, on ne peut pas faire fi de la stabilisation intérieure et extérieure de l’Egypte, et ne s’en tenir béatement qu’à une légalité chimérique.
Les Egyptiens aspirent d’abord à vivre en commun, dans la diversité politique, idéologique et religieuse, ce qui ne peut se faire que dans un système politique et social fondé sur le pluralisme : une démocratie réelle. Mais une chose est sûre : les Frères musulmans, pour l’instant, semblent avoir tout perdu, politiquement. Pourtant, rien n’indique qu’avec la Constitution à venir, ils ne gagneront pas sur le long terme. Au fond, libérer ou non Morsi n’empêchera pas l’Egypte de se découvrir à elle-même et au monde ; elle est condamnée à réussir sa renaissance démocratique. Pour ce faire, quoiqu’il arrive, il faudra, tôt ou tard, discuter avec les Frères musulmans et les réinsérer dans un jeu politique complètement rénové. Mais ce chemin sera long et parsemé d’embûches. L’Egypte doit tout faire pour conjurer toute guerre civile, en admettant que tous ses citoyens, sans exception, sont libres et égaux.

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