Venance Konan (DG De Fraternité Matin) : “Les Vaincus N’ont Jamais Jugé Les Vainqueurs”

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Le Directeur général du quotidien pro-gouvernemental, Fraternité Matin, a accepté de s’ouvrir à l’Expression. Dans cette grande interview, le journaliste-écrivain, Grand Prix littéraire d’Afrique noire, reste égal à lui-même. Nationalité, foncier, réconciliation, Cour pénale internationale, gouvernance du président Ouattara…Venance Konan n’esquive aucune question. Lisez plutôt.

Quel est votre point de vue dans le débat sur la nationalité qui fait rage actuellement?

Il y a une association baptisée Albert de Neef qui vient de publier un texte en deux parties dans Fraternité Matin. Je partage totalement le point de vue de cette association. Elle soutient que nous devons débattre sereinement de cette question sans passion. Il y va de l’avenir de la Nation. On ne doit pas oublier que cette crise qu’on a traversée vient de la crise de la citoyenneté. Tout tourne autour de la question «Qui est Ivoirien, qui ne l’est pas? ». Tant qu’on n’a pas répondu à cette question, on ira de crise en crise. La question que cette association pose est celle-ci: «Quelle Côte d’Ivoire nous voulons? Une Côte d’Ivoire fermée, recroquevillée sur elle-même ou une Côte d’Ivoire ouverte, tolérante ? ». Je suis, moi pour une Côte d’Ivoire ouverte. Parce que c’est le sens de l’histoire. C’est un débat sérieux, alors, qu’on ne fasse pas les choses dans la précipitation. Le problème est que dans ce pays, lorsqu’on a un tel débat, on oublie l’intérêt du pays pour se focaliser sur des calculs électoralistes. Dès que le président Ouattara a posé le sujet, certains ont commencé à crier « haro sur le baudet »parce qu’ils font des calculs électoralistes. Faisons plutôt des calculs sur l’avenir de la Côte d’Ivoire. Quelle Côte d’Ivoire voulons-nous ? Les Européens et les Américains ont réglé définitivement cette question. Là-bas, c’est le droit du sol. J’ai des neveux qui sont Américains parce qu’ils sont nés là-bas. Et on sait que leur vie se fera là-bas. Qu’on en tienne compte. Des gens dont les grands-parents étaient ici depuis  les années 1930 ou même avant, sont traités d’étrangers. C’est aberrant. Laisser tous ces gens dans une inquiétude permanente, parce qu’ils ne savent pas qui ils sont, à quoi ils ont droit, c’est dangereux. Je me souviens de l’histoire de Tabou en1999. On disait que deux Burkinabè avaient tué un jeune Kroumen. On disait qu’il fallait qu’on applique la loi tribale de cette région qui bannit le coupable pendant sept ans. Question : C’est la loi de l’Etat qui s’applique en Côte d’Ivoire ou la loi tribale ? A la place des supposés coupables, ce sont 10.000burkinabè qui ont été chassés. Est-ce que ce sont eux tous qui ont tué ? Personne n’a levé le petit doigt dans ce pays pour dire que ce n’était pas normal. Ces gens vivaient dans cette région depuis 20, 30 ans, ou plus. Leur lopin de terre, c’est leur gagne pain. Et on les chasse ainsi, et du jour au lendemain, ils n’ont plus rien pour eux et pour leurs enfants. C’est comme ça que l’on fabrique des rebelles. Donc si ce problème n’est pas réglé de façon sereine, on va aller de rébellion en rébellion, de guerre en guerre. On n’est pas encore aux élections ; il y a encore deux ans devant nous. Discutons donc sereinement et sans passion de ces questions pour aller de l’avant.

Le président de la République a demandé au Fpi de demander pardon au nom de la réconciliation. En tant qu’éditorialiste, qu’en pensez ?

Nous sommes dans une situation où nous devons aller à la paix et à la réconciliation. On ne peut pas vivre dans une société en étant divisés. On se bagarre, mais il doit arriver un moment où il faut bien aller à la paix. Pour y arriver, il faut que chacun reconnaisse sa part de responsabilité dans ce qui est arrivé. C’est le minimum. Là où je suis un peu dérangé, c’est que certaines personnes nient totalement leur responsabilité dans ce qui s’est passé. Alors que c’est une histoire très récente. Personnellement, j’ai échappé à la mort. Ce n’est pas de la blague. On a vu des gens qui ont été brûlés vifs et tués. On a vu des appels à la haine à la télévision. On peut revoir les archives de la télévision et sortir ces éléments. Qu’on ait au moins le courage de dire aux gens qu’on a fauté. Là au moins, le pardon viendra. On doit se pardonner les uns les autres pour que le pays avance. Si la justice doit être celle du vainqueur, je dis oui. Dans le principe, le vaincu n’a jamais jugé le vainqueur. Mais le vainqueur n’est pas obligé de juger le vaincu. Il peut pardonner pour qu’on avance. Mais au moins, il faut que ceux qui ont provoqué cette crise soient identifiés, et ils sont identifiables. Cela s’est passé devant le monde entier. C’est Laurent Gbagbo et ses partisans qui ont refusé de reconnaître leur défaite. Ce sont eux qui ont entrainé la Côte d’Ivoire dans la guerre. Ce sont eux qui ont appelé à la haine et brûlé les gens ici. Ce sont eux qui ont envoyé les escadrons de la mort, ce sont eux qui ont enlevé Yves Lamblin et ses compagnons au Novotel pour les conduire à la Présidence. Leurs ossements ont été retrouvés après. Qu’on ait au moins l’humilité de dire que nous avons fait ceci, nous avons fait cela, nous le regrettons. A ce moment, le pardon viendra. Mais dès qu’on parle de pardon, ils rejettent la pierre aux autres.

Pour eux, c’est le président Ouattara qui doit demander pardon parce que c’est lui qui aurait introduit la violence en Côte d’Ivoire.

C’est leur raisonnement à eux. De 2002 à 2010, il s’est passé des choses. Mais on a eu le temps de se parler, de se pardonner, d’amnistier et de se réconcilier. On ne peut pas passer le reste de notre vie à revenir en arrière à ressasser ce qui s’est passé. Il faut aller de l’avant. Qu’est-ce qui s’est passé en 2007 quand il y a eu l’accord de Ouagadougou ? MM. Ouattara, Gbagbo, Bédié et Soro se sont réconciliés au point où Soro est devenu le Premier ministre de Gbagbo. Gbagbo n’arrêtait pas de tresser des Lauriers à Soro. Selon lui, c’était son meilleur Premier ministre. Tout ce qui s’est passé  a été amnistié. Donc on devrait ouvrir une nouvelle page. C’est cette page que Gbagbo a déchirée. C’est de ça qu’on parle maintenant. Qui a envoyé cette guerre qui a causé la mort de plus de 3000 personnes?  C’est Gbagbo. Le vrai problème de ses partisans est qu’ils refusent de comprendre que c’est Gbagbo qui a perdu cette élection. Ils refusent cela. Ça s’est pourtant passé devant le monde entier. M. Gbagbo avait demandé à un panel de chefs d’Etat de venir ici, de s’entretenir avec les uns et les autres et c’est ce que ce panel décidera qui serait appliqué. C’est ce qu’il a dit. Ce panel a dit que le gagnant de cette élection s’appelle Alassane Ouattara. M. Gbagbo a refusé. S’il s’était comporté en patriote, au sens noble du terme, les gens n’auraient pas pris les armes pour le déloger. C’est vrai il y a eu les exactions de la part des Frci, mais, le premier responsable, c’est M. Gbagbo. Et rien ne dit que plus tard, on ne jugera pas les autres.

Comment aller à la réconciliation avec le Fpi qui décide de se mettre à l’écart?

C’est compliqué. Tant qu’ils joueront aux amnésiques, ce sera compliqué. On ne doit pas pour autant les exclure. On doit toujours leur tendre la main, aller vers eux. On finira peut-être par les convaincre.

 Jusqu’à quand faut-il leur tendre la main?

Il faut toujours persévérer. Ce n’est pas parce qu’ils refusent la main tendue aujourd’hui qu’on prendra un fusil contre eux. Sauf si eux prennent le fusil. Ce qui ne m’étonnerait pas de leur part. Ils font partie de la société ivoirienne, c’est une composante politique dont on ne peut  nier l’existence. Mais il faut peut être trouver d’autres formes de dialogue.

Un politique a dit que le Fpi n’a pas actuellement un statut de parti politique d’opposition. Qu’en pensez-vous?

C’est vrai que ce parti n’est pas représenté dans les institutions, mais on ne peut pas non plus nier que c’est une force politique. Il ya beaucoup de partis qui ne sont pas au Parlement. On ne peut pas nier l’existence du Fpi.

Ce parti est-il en droit d’exiger la manne financière qu’il réclame ?

Je crois que la manne financière est liée à la représentation dans les institutions. S’ils refusent d’intégrer les institutions, pourquoi réclament-ils cet argent ?

Ils rétorquent que lorsqu’ils étaient au pouvoir, ils donnaient cette manne à tout le monde.

Cela fait partie des négociations. Ça se négocie. Je ne sais pas sur quel critère cet argent est attribué donc je ne peux pas trop me prononcer là-dessus. Si ça peut les amener à changer leur position, pourquoi pas ? C’est peut-être parce qu’ils sont fauchés qu’ils boudent dans leur coin.

Le Fpi dénonce une justice des vainqueurs en cours ? Quelle lecture en faites vous?

Dans l’histoire, je n’ai vu nulle part un pays où le vaincu a jugé le vainqueur. Nulle part où le vainqueur s’est jugé lui-même pour se punir d’avoir vaincu. Dans l’histoire, c’est le vainqueur qui a toujours jugé le vaincu. Mais si le vainqueur estime que pour avoir la paix, pour réconcilier son peuple, il ne veut pas juger, c’est son droit. Mais que le Fpi ne reproche pas à quelqu’un de vouloir le juger après qu’il a envoyé la guerre ici et qu’il l’a perdue. Quand on déclenche une guerre et qu’on ne veut pas être jugé après, on se débrouille pour ne pas la perdre. Maintenant, le pouvoir peut estimer que dans un souci de réconciliation, de paix et de progrès, on pardonne les fautes. Ça peut arriver.

La Cpi réclame activement Simone Gbagbo. Doit-elle être livrée par son pays ?

Je comprends l’exigence de justice et d’équité de la Cpi mais, il faut qu’elle tienne compte des réalités de ce pays. En droit, il ya ce qu’on appelle l’opportunité des poursuites. C’est-à-dire qu’on peut décider de poursuivre ou de ne pas poursuivre quelqu’un en fonction des effets que cela peut avoir sur la société. Si en poursuivant une personne, vous créez des troubles dans le pays, il n’y a aucun intérêt à le faire. Ils doivent tenir compte de cela. Nous connaissons nos réalités.

Si vous étiez parmi les juges de la Cpi, ouvrirez vous le procès contre Gbagbo ?

Je ne connais pas tous les éléments. Mais, je sais que des crimes abominables été commis ici. Tout le monde en a été témoin. On a vu les charniers. Il ya eu des crimes graves qui ont été commis. Maintenant, si la Cpi estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments, c’est la justice et je ne vais pas commenter ses décisions. Attendons les conclusions de la Cpi. Bensouda était là, elle a dit qu’elle était venue chercher d’autres éléments, j’espère qu’elle les aura.

Certains intellectuels pensent que la Cpi est une cour orientée contre les Africains? Qu’en pensez-vous Exclusivement contre les Africains ?

Je ne le crois pas. C’est vrai qu’il y a  beaucoup d’Africains qui sont poursuivis mais, je ne pense pas qu’elle soit exclusivement dirigée contre les Africains. Nous avons adhéré à cette cour, il faut qu’on assume notre choix. La Cpi doit cependant comprendre que nous ne sommes pas les seuls à commettre des crimes. Regardez autour de nous. Sur les autres continents, il y aussi des criminels. Lacour gagnerait à mieux équilibrer ses actions pour éviter ces suspicions qui ne sont pas totalement infondées.

Depuis quelque temps, le Pdci Rda est miné par une crise provoquée par Kkb. Quelle lecture en faites vous ?

(Rire.) Ça m’amuse un peu. C’est le jeune lion qui piaffe d’impatience. Ce qui est marrant, est qu’au Pdci,  jusqu’à 60 ans, on vous considère comme jeune. Mais je crois que Kkb a intérêt à tenir compte des réalités de son parti. C’est vrai qu’il y a les textes mais, de l’autre côté, il ya les réalités sociologiques. Celles-ci sont parfois en contradiction avec les textes. Sur le principe de sa révolte, je crois qu’il n’a pas totalement tort, mais il doit tenir compte de tous les facteurs. Qu’il fasse une analyse plus fine de la politique ivoirienne.

Kkb dit que le Pdci doit avoir un candidat face à Ouattara qui a déclaré sa candidature. Qu’en pensez-vous ?

C’est son droit de dire ce qu’il veut. Je ne suis pas membre des instances de son parti. Je ne connais pas trop les détails de leurs discussions. S’ils estiment qu’il leur faut présenter un candidat, ils le feront. Tout comme ils sont libres de soutenir un autre candidat qui n’est pas de leur parti, mais en alliance avec eux. Il y a un congrès qui arrive. Attendons leur congrès pour voir ce qu’ils vont décider. C’est cela le jeu politique et ses complexités.

Kkb est combattu par le ministre Adjoumani. Que vous inspire ce ping-pong?

C’est leur bagarre entre eux mais, moi ça me désole. C’est normal que dans un parti il y ait compétition. Mais, cette façon de s’étaler dans la presse ne les honore pas. Je viens de lire quelque part que  Kkb a sorti un vieil article sur Michel Coffi Benoit qui va peut-être réagir. Il ne faut pas qu’ils tombent dans la poubelle. Que le Pdci mène un combat propre. C’est normal qu’il y ait des ambitions dans un parti. C’est aussi normal qu’elles s’entrechoquent. Mais qu’ils évitent de tomber dans la poubelle.

Le président Ouattara a demandé un second mandat ? Ses adversaires pensent que c’est prématuré ? Qu’en pensez-vous ?

Il est à mi-mandat. Je pense que ce n’est pas prématuré. Je crois que c’est bien qu’on sache ses intentions maintenant. Y a-t-il un moment particulier pour annoncer que l’on sera candidat ?

A mi-parcours, son bilan est-il satisfaisant selon vous ?

 Oui, même s’il reste beaucoup à faire. Quand je discute avec certaines personnes, je constate qu’elles sont impatientes. Ces impatiences sont normales, mais je pense que le peuple ne comprend pas d’où on vient. Il ne connaît pas l’état réel des choses. J’ai eu la chance de sillonner tout le pays. Je ne savais pas que le pays était dégradé à ce point. Ouattara est en train de faire les routes .On dit que la route précède le développement. Qu’est-ce qu’on peut développer s’il n’y a pas de route ? On ne peut pas se déplacer, on ne peut même plus aller à San-Pédro qui regorge de tant de richesses à exploiter, tellement la route est mauvaise. C’est partout pareil. C’est maintenant qu’on a retapé la route du Nord. Le président Ouattara est obligé de dépenser plus qu’il ne fallait dans la réparation de ce qui a été détruit. J’ai parlé des routes, mais c’est pareil pour les écoles, les hôpitaux et beaucoup d’autres infrastructures. Pour l’électricité, tant qu’on ne construit pas des centrales thermiques ou des barrages, on ne pourra rien faire. Il faut rééquiper le pays. Moi, je comprends parfaitement la position du président Ouattara. Je comprends aussi celle du peuple. Le peuple veut de l’argent pour sa poche. Il a raison. Le peuple veut que les prix baissent, il a raison. Mais avant qu’on en arrive là, il y a un travail de reconstruction de notre pays à faire. C’est indispensable. Les gens veulent du travail, mais ils ne sont pas formés. Pendant 10 ans on n’a fait que la promotion des “agoras” et des “parlements”.C’était la promotion de la haine. Pendant 10 ans, on a tué l’intelligence de ce pays. A travers les hyper maquis et les Eglises qui ont poussé un peu partout. On a abruti la jeunesse de la Côte d’Ivoire. On a détruit l’université. C’était un endroit où les gens se tuaient. C’est un énorme travail à faire dont les Ivoiriens n’ont pas conscience. Ils n’ont pas peut être conscience de ce qui s’est passé. Peut-être que l’Etat gagnerait à mieux communiquer sur l’Etat réel de la société ivoirienne. Le travail est colossal, c’est pourquoi le président  a demandé un second mandat. Il faut que le peuple soit patient. Qu’il fasse l’effort d’aller voir l’état dans lequel nous sommes. Legros problème, c’est notre état d’esprit même. On nous a habitués à la facilité, à la paresse. Si nous ne changeons pas notre mentalité, rien ne changera.

La Côte d’Ivoire, un Etat émergent en 2020. Vous y croyez ?

Il faut qu’on s’y mette tous. Notre drame est qu’on attend qu’une seule personne  réalise  notre rêve pendant que nous nous tournons les pouces. C’est l’ambition du président. On peut y arriver si on se met tous au travail. Si un groupe se met de côté pour torpiller l’autre, ça ne sera pas possible. Si on se met ensemble pour former un peuple uni comme avant, si on cultive de nouvelles valeurs comme le respect de l’autre, le travail, l’honnêteté, si on met l’accent sur la formation de nos jeunes, on y arrivera. Ce n’est pas une utopie.

Le pays doit émerger par le sommet ou par le bas ?

Il faut toujours un leader qui ait une vision et qui montre la voie pour arriver quelque part. Mais il faut une adhésion du peuple à cette vision. Comme disent les anglais, il y a un leadership mais il faut aussi un followship.

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