Présidentielle Malienne: Quand Sinko Coulibaly Gâche La Fête

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« Toute conviction forte, si elle n’est pas contrariée par la raison et la volonté, tend, d’un mouvement presque naturel, à l’intolérance ». L’homme qui s’exprimait ainsi s’appelait René Rémond, l’un des plus grands maîtres à penser de notre époque, sur les passions religieuses et politiques de l’humanité. Cette formule retentissante de René Rémond s’applique parfaitement au ministre de l’Administration territoriale, en charge de l’élection présidentielle au Mali, le colonel putschiste, Moussa Sinko Coulibaly. A la surprise générale de tous les observateurs de cette élection malienne, le colonel Sinko, imbu de la certitude de détenir la vérité absolue, excluant tout droit à l’erreur, vient de rompre avec toute exigence de neutralité, dans la proclamation partielle ou provisoire des résultats.

Le colonel Sinko est un fossoyeur de la démocratie malienne en voie de restauration

Fâché avec les chiffres et les statistiques, Sinko, qui se trouve à la tête de la structure chargée de proclamer officiellement les résultats de cette présidentielle, vient de se trahir lui-même, en montrant, avec des formules à l’emporte-pièce, que la neutralité entre les candidats lui paraît inacceptable. Selon lui, toutes les tendances qui se dégagent du dépouillement en cours des bulletins de vote, indiquent que le candidat IBK, alias « Kankélétigui » (en bambara l’homme d’une seule parole), l’emportera dès le premier tour du scrutin.

En vérité, avec une telle sortie dangereuse, nous sommes face à une intolérance institutionnelle caractérisée qu’incarne si bien ce colonel putschiste. Qu’est-ce que l’intolérance, sinon la certitude de posséder la vérité absolue et le « devoir » de l’imposer à tous ? Pourtant, l’expérience historique que vient de vivre le Mali, avec l’occupation djihadiste, devrait ouvrir les yeux du colonel Sinko sur la perversité de telles attitudes. Les djihadistes ne voulaient-ils pas, eux aussi, par la force, imposer leur « vérité » au peuple malien ? Hannah Arendt, avec sa lucidité légendaire, aimait à souligner que rien n’est plus caractéristique de mouvements totalitaires que la rapidité avec laquelle on les oublie. Manifestement, c’est ce qui arrive à ce colonel, qui semble avoir perdu toute mémoire de l’occupation néo-totalitaire djihadiste. N’ayons pas peur des mots : le colonel Sinko est un fossoyeur de la démocratie malienne en voie de restauration, un homme incompétent et son incompétence lui impose justement le devoir de rester neutre entre les candidats. En rompant entre ces derniers toute exigence de neutralité, il fait basculer le Mali, de nouveau, dans les affres de la haine et de nouvelles divisions qui peuvent mettre cette nation en lambeaux. Il y a cette étrange impression qui se dégage, à la lecture des propos désordonnés et confus du colonel Sinko, que, si cet homme prétend respecter formellement les règles du jeu démocratique, il entend saisir la première occasion pour les transgresser en imposant au peuple malien sa vérité. Car, il y a lieu de s’interroger sur la solidité du socle institutionnel de cette élection avec Sinko. L’ivresse démocratique qui a submergé tout le Mali avec une mobilisation citoyenne sans précédent dans l’histoire politique du pays est en train d’engendrer, avec les propos de Sinko, l’intolérance politique. Certains candidats donnés battus, à travers leurs porte-paroles, sont tentés d’utiliser cette sortie dangereuse de Sinko pour manipuler les sentiments de désenchantement, de frustration et de déception de certains Maliens. Sinko vient de gâcher la fête de la démocratie malienne, au moment où le Mali a choisi de redevenir un Etat de droit, une traduction politique concrète de la volonté du peuple malien. Et le candidat IBK n’avait pas du tout besoin d’une telle sortie. En montrant une nette préférence pour IBK, le colonel Sinko jette un discrédit politique et moral sur la probable victoire de l’enfant émérite de Koutiala. Avec cette élection, sans doute, IBK livre son dernier grand combat politique sur la scène malienne. Pour lui, cette élection, c’est une question de vie ou de mort politique. D’ailleurs, c’est ce qui explique qu’il soit apparu, aux yeux des Maliens, durant la campagne électorale, comme le candidat le mieux préparé, le plus trempé pour redresser leur pays. L’action politique, c’est sa vocation dès son plus jeune âge. Il n’y aurait aucun scandale moral ou politique si IBK était élu dès le premier tour de ce scrutin présidentiel. Mais à condition que tout cela respecte les procédures institutionnelles adoptées en vue d’assurer la transparence totale du scrutin. A 68 ans, le chef du RPM rassure plus la communauté internationale, après ses deux tentatives infructueuses de 2002 et de 2007, comme l’homme capable de refonder, politiquement et socialement, le Mali. Contrairement au colonel putschiste, IBK est un homme qui a l’amour de la République.

Le Mali a besoin, à l’heure actuelle, de stabilité, de démocratie et surtout de l’expression d’une réelle fraternité collective

Cela dit, en paraissant comme un candidat choisi d’avance par les élites maliennes, l’armée et des chancelleries occidentales, IBK risque de donner le sentiment à une large proportion de l’opinion africaine que, d’Alpha Oumar Konaré à ATT, la démocratie malienne serait une démocratie d’arrangement où les jeux de toute compétition électorale seraient pipés d’avance.
A présent, l’essentiel réside dans la manière dont les résultats de ce scrutin présidentiel inédit seront accueillis par le peuple malien.
L’enjeu de ce scrutin, rappelons-le, c’est l’instauration, au Mali, d’un nouveau type de normativité morale, éthique et surtout politique. Il ne faut pas trahir la calme confiance du peuple malien. Pour ce faire, tous les candidats, à commencer par IBK, devront être jugés sur leurs actes et non sur leurs déclarations protéiformes. Cela dit, qu’on le veuille ou non, la démocratie s’installe de nouveau au Mali.
Le colonel Sinko n’a pas à dicter au peuple malien un quelconque choix politique, selon son goût personnel. La démocratie implique des assises, certes morales, mais aussi et surtout mentales. Avec sa sortie hasardeuse, consciente ou inconsciente, on peut bien se poser cette question impérative : le colonel Sinko possède-t-il vraiment de telles assises mentales ? Car, ce qui semble caractériser sa vision profonde de la démocratie, c’est qu’elle est un système dans lequel domine l’esprit de querelle et de haine, et non de justice et de compréhension.

Le Mali a besoin, à l’heure actuelle, de stabilité, de démocratie et surtout de l’expression d’une réelle fraternité collective. Le colonel Sinko aurait été mieux inspiré en se taisant. Faut-il s’étonner de son attitude ? Assurément non. Pourquoi ? Tout simplement parce que « le pouvoir » lui est vite monté à la tête. Mais qu’il sache qu’il y a une vie après la présidentielle malienne.

Le Pays (Burkina Faso)

 

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