La Dynamique Ivoiro-Burkinabé : Une Leçon De Cosmopolitisme Aux Africains

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Il y a des couples positifs qui inspirent aux gens solitaires les grâces du mariage, comme il en est d’autres qui font regretter aux observateurs la cohabitation de deux êtres qui se détestent si copieusement. On n’a donc pas eu tort de dire, à tout prendre, qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné. Mais comment ne pas être tenté ici de faire un peu de politique-fiction ? Imaginons que par impossible, nous ayons le pouvoir de faire changer de frontières aux peuples en conflit, en les déplaçant vers des contrées plus propices à leur plein épanouissement. Que de changements un tel pouvoir de reconfiguration géopolitique nous confèrerait ! Regardant la carte du monde, on a presque envie de déplacer les communautés israélienne et palestinienne, vers des cieux plus paisibles, l’une bien éloignée de l’autre. On aurait bien envie de faire que le Rwanda ne fut pas le voisin de la République démocratique du Congo. Qui ne rêverait pas d’une carte du monde où Ethiopiens et Erythréens ne seraient plus voisins, encore moins arabes du Front Polisario sahraoui et marocains ? Qui ne serait point tenté de séparer les FARC des forces armées nationales colombiennes où les talibans afghans des pauvres villes ensanglantées de ce pays ? Ne suffirait-il pas de transférer les salafistes d’Egypte en pays salafistes pour que tout aille pour le mieux au Caire ? Et des exemples abonderaient en sens…

Pourtant, la politique-fiction n’en conserve pas moins des limites essentielles. La terre étant sphérique, le déplacement des facteurs de conflits ne mettrait pas nécessairement fin au conflit. Un tel déplacement fantaisiste pourrait même, non seulement les transférer, mais aussi les réinventer, leur donner de nouvelles ressources, de nouveaux acteurs et une durée plus impondérable encore que celle de leurs sites originels. Les chemins de l’enfer, comme ceux des terribles politiques de déportation que le monde a connues depuis des siècles, sont pavés de trop bonnes intentions pour nous distraire. Il importe dès lors de faire de la politique réelle, en procédant à la saine appréciation des réalités présentes et par la mise en perspective des possibilités efficaces et efficientes d’actions que ces réalités révèlent, ici et maintenant, afin d’espérer un avenir meilleur pour les Etats, les peuples, les individus, voire même l’écologie terrestre.  N’est-ce pas précisément cette voie du pragmatisme et de l’espérance que les dirigeants ivoiriens et burkinabé semblent avoir choisie en approfondissant si densément leur coopération bilatérale, montrant ainsi par une pédagogie de l’exemple, l’inanité des frontières africaines héritées de la colonisation ?  Je voudrais consacrer cette tribune à comprendre d’abord les fondements sociohistoriques de l’amitié ivoiro-burkinabé actuelle ; ensuite, je m’emploierai à indiquer les axes de développement actuels d’une politique commune ivoiro-burkinabé qui innove résolument dans l’histoire de la géopolitique africaine ; enfin, j’esquisserai quelques réflexions sur les leçons que les Africains avertis et réfléchis doivent tirer de la voie tracée par cette formidable dynamique ivoiro-burkinabé.

I Aux sources de l’amitié ivoiro-burkinabé : du destin à la fraternité cosmopolitique

Au commencement, présida la fatalité des affaires humaines élémentaires. Dans l’ère précoloniale où ils ont tous leurs racines, les peuples qui vivent aujourd’hui dans les territoires de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso ne choisirent pas de migrer expressément dans le but de former terre commune un jour. Je n’ai point connaissance d’un mythe commun ivoiro-burkinabé de cette nature. Nous assistons peut-être maintenant seulement à la naissance et à la consolidation conscientes du mythe moderne ivoiro-burkinabé esquissé en ses lettres natives par les présidents Félix Houphouët-Boigny et Maurice Yaméogo.  Je ferai donc une conjecture beaucoup plus raisonnable sur les conditions initiales de cette alliance.

Mus par le besoin, les désirs multicolores de l’espèce humaine,  la quête de climats et de terres meilleurs, les impératifs de survie liés à la sécurité et à la prolongation des générations, les peuples des territoires actuels de l’espace ivoiro-burkinabé étaient donc diversement liés par des alliances et conflits de circonstances que génère à travers l’histoire, l’application variée des deux principes majeurs de l’occupation de l’espace et du temps par l’homo sapiens : le principe de consanguinité et le principe de territorialité. Les liens du sang et les liens du sol, issus de la mise en œuvre plus ou moins consciente de ces principes par les groupes et les individus, devaient configurer la sociologie des terroirs où les puissances coloniales française, anglaise, espagnole, italienne, française, allemande et portugaise trouvèrent les familles, clans, tribus, ethnies, peuples, royaumes, empires ou Etats africains à l’entrée du 19ème siècle.  On peut donc dire que, du point de vue de l’histoire longue, c’est en grande partie le destin et en raisonnable partie l’ensemble des actes posés par les agents majeurs de la politique ouest-africaine précoloniale qui ont rendu possible l’imbrication des peuples qui formeraient plus tard les colonies françaises de Haute et de basse Côte d’Ivoire, socles originels de l’amitié ivoiro-burkinabé actuelle.

Il faudrait pourtant ajouter qu’entre la Côte d’Ivoire  et le Burkina Faso, il n’y a pas eu que la proximité des espaces dans les facteurs de communion originelle. La culture est aussi largement transfrontalière que l’histoire des entités politiques précoloniales à cheval sur ces territoires, tels l’empire Mossi ou le royaume de Kong. Entre les dioula du Burkina Faso et ceux de Côte d’Ivoire, comme entre les voltaïques (Sénoufo, Lobi, Koulango, etc.) des deux pays, il y a amplement partage des traditions agricoles, alimentaires, matrimoniales, testimoniales, religieuses, et même politiques. De fait, l’amitié ivoiro-burkinabé est l’expression politique d’un monde commun de la vie, nés dans les fragrances de l’esthétique, de l’économie quotidienne, des liens de sang et du sol, et dans un partage de valeurs ancestrales consensuelles, reconnues comme universalisables par la discussion critique et l’expansion culturelle : la parole donnée, la simplicité dans la grandeur, le goût de l’effort, la solidarité envers les plus démunis, le respect de l’étranger, le sens prononcé du négoce, les codes de l’honneur et du déshonneur, etc.

Enfin, comment oublier que le fait d’avoir ensemble subi les razzias de la Traite des Noirs, les violences des rivalités impériales inter-africaines, puis celles des Colons occidentaux et des dictateurs africains, a contribué à forger une conscience de souffrance commune aux peuples de toute la sous-région africaine ? Cette dimension tragique de l’histoire politique est incontestablement implicite au rapprochement, dès les années 40 notamment, des leaders ouest-africains dans le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), où Houphouët-Boigny et Maurice Yaméogo jettent les bases d’une coopération exemplaire et massive entre leurs deux jeunes Etats postcoloniaux. Le premier, en projet de faire de la Côte d’Ivoire une puissance économique mondiale à partir de sa révolution agricole, sait très tôt qu’il faudra compter avec le second, dont le pays regorge de cette main d’œuvre puissante dont les forêts ivoiriennes ont besoin pour donner toute la mesure de son rang au poumon principal de l’Afrique Occidentale Française.

L’alliance ivoiro-burkinabé naquit donc de l’acceptation par les élites et les peuples des deux territoires, du destin commun d’être-ensemble, unis pour le meilleur et pour le pire, afin de se donner, tous et chacun, le maximum de chances d’affronter le monde avec efficience et efficacité.  Dans cette mutuelle reconnaissance de la co-appartenance au monde, se donna à voir la fraternité cosmopolitique ivoiro-burkinabé dont le principe me semble être « tous pour chacun et chacun pour tous ».  En mettant ensemble leurs capitaux financiers, industriels, naturels et humains, les élites ivoiro-burkinabé créaient de fait, dès les années 50,  une Afrique de l’Ouest plus concrète que les déclarations pompeuses d’unité des panafricanistes dogmatiques de la vulgate marxiste-léniniste.

II Axes du co-développement ivoiro-burkinabé et leçons pratiques de cosmopolitisme

Il faut rappeler ici que trois architectes de haut vol sont désormais au pied  du mur de la coopération ivoiro-burkinabé. Ils ont en outre tous le privilège d’être des ivoiro-burkinabé d’excellence et d’honneur, véritables incarnations du pont humain vivant qui existe depuis de longs siècles entre leurs territoires. Par-delà les querelles stériles engagées par les adeptes de la secte éculée de l’ivoirité qui revendiquent paradoxalement des nations fondées par les colons, il faut comprendre qu’Alassane Ouattara, Blaise Compaoré et Guillaume Soro sont, au pinacle des deux peuples, les âmes-porteuses de l’esprit semé par le couple originel Houphouët-Yaméogo. Ils ont, chevillée au corps, la conscience de la communion destinale ivoiro-burkinabé, axe essentiel de la géopolitique, de la pensée stratégique et même de l’émergence économique de leurs terroirs communs.

On a voulu, sous les années ivoiritaires 1993 à 2011, nous vendre la thèse saugrenue de l’invasion mossi en Côte d’Ivoire. Il se trouve même encore quelques mauvaises langues pour la diffuser sous cape aux esprits crédules.   Le présent en montre cependant  la stupidité. Il ne s’agit pas, dans l’esprit de ce ces trois figures de la coopération ivoiro-burkinabé, de penser une relation hiérarchique entre les deux Etats. Ni invasion, ni domination, ni suprématie, mais co-émergence, dans un espace commun de plus en plus intégré, par une dynamique cosmopolitique qui constitue la constance indiscutable de la pensée de ces trois hommes politiques hors-catégorie. Economie, sécurité, culture et éducation, désenclavement et écologie, investissements stratégiques et mutations politiques décisives peuvent-ils encore être pensés en vase clos en ce monde ? Seule une entente bornée du concept de souveraineté inspirerait une réponse affirmative à cette question.

Quand celui qui était alors le premier ministre ivoirien, Alassane Ouattara,  fils adoptif du Burkina Faso, s’inspirant de l’Europe, affirma le 1er octobre 1992 dans un débat télévisé qu’il mettrait son énergie à sortir la Côte d’Ivoire et l’Afrique de l’Ouest du micro-nationalisme et du micro-régionalisme, on ne comprit pas la hauteur de vue qui l’animait. Avec les 19 projets de co-développement et l’accord de coopération multilatérale ivoiro-burkinabé en ce mois de juillet 2013, qui pourra encore démentir la noblesse originelle des intentions d’ADO ? Co-développer une région, c’est tout le contraire d’une politique d’assujettissement. N’est-ce pas un parlement ivoirien démocratiquement élu qui ratifiera en ce Traité, l’initiative du chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara, lui-même démocratiquement élu par ce peuple émancipé de l’anticolonialisme dogmatique ?

Qui s’étonnera quand le président du Faso, Blaise Compaoré, ivoirien d’adoption car époux d’ivoirienne, affirme  au nom des peuples et avec emphase  du Traité ivoiro-burkinabé de cette fin juillet 2013 que sa vocation est « de raffermir les liens séculaires qui fondent l’exemplarité de leur voisinage et l’osmose socioculturelle entre les deux nations » ? On a beau avoir des griefs contre tel ou tel aspect de la politique intérieure du Burkina Faso, qui niera l’émergence géostratégique et économique que la présidence Compaoré aura apporté à l’ex-Haute Volta par sa capacité de consolidation de la communion ivoiro-burkinabé notamment ?

Qui a oublié le discours mémorable du chef du parlement ivoirien Guillaume Kigbafori Soro – fils adoptif du Faso à travers leur lutte commune contre l’infamie ivoiritaire –  en octobre 2012 au parlement burkinabé, et les accents profonds des mots que voici ?

« Comment prendre la parole devant cette auguste Assemblée sans me souvenir, avec admiration, de l’extraordinaire fratrie qui présida aux œuvres communes et grandioses des premiers Présidents des Républiques de Côte d’Ivoire et de Haute-Volta, j’ai nommé leurs Excellences Félix Houphouët-Boigny et Maurice Yaméogo ? Grands bâtisseurs des piliers symboliques de l’Afrique cosmopolitique, ils projetaient, avec clairvoyance, l’Afrique dans laquelle nous et nos enfants devrions vivre. En réalité, sachez-le, entre nos deux peuples s’était tissée, depuis la nuit des temps anciens, une de ces fraternités qui aurait dû vaincre tous les doutes et tous les périls. »

Le désir de convergence pratique des dirigeants ivoiriens et burkinabé est incontestablement une leçon pratique de cosmopolitisme. Comment penser la souveraineté dans l’interdépendance ? Par une hiérarchisation des valeurs de l’agir politique. J’entends précisément ici par cosmopolitisme, une manière exemplaire de se considérer en toute chose comme humain d’abord, citoyen du monde en priorité, avant toute autre détermination particulière. J’entends par cosmopolitisme une vision de l’agir individuel et collectif qui par principe inclut toujours tous les hommes dans son horizon, tout en se fixant raisonnablement des objectifs particuliers ou singuliers.  C’est l’esprit de la liberté, de l’égalité et de la fraternité universelles. C’est l’art royal osirien de rassembler ce qui est épars, avec rigueur et compassion. C’est l’esprit natif du Rassemblement Démocratique Africain que nous devons réactiver en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale ! On peut à ce titre, dire que les dirigeants ivoiriens de burkinabé, dans cet esprit du RDA que le PDCI ne devra jamais oublier, nous apprennent résolument l’irremplaçabilité de l’art houphouétiste de « cosmopolitiser ».

Ils nous apprennent que les frontières héritées de la colonisation sont insignifiantes à l’échelle des besoins et de l’interdépendance actuelle des peuples, des Etats et de l’espèce humaine. Ils nous apprennent que le nationalisme, réplique signifiante au colonialisme, doit désormais, en société postcoloniale, céder le pas à un humanisme africain qui passe par la mise en commun des moyens naturels, culturels, économiques, sociaux et politiques par ceux qui ont compris que le monde sera plus que jamais impitoyable envers les cavaliers solitaires. Ils nous apprennent que la politique fantaisiste de Lucky Luke, de Robinson Crusoé ou de Lone Wolf qui inspira les délires idéologisants de la Refondation en Côte d’Ivoire, comme ceux d’un Mugabe au Zimbabwe ou d’un Kadhafi en Lybie,  doit céder le pas à celle de la parabole de la calebasse africaine, telle qu’esquissée par le roi Ghêzo, d’Abomey au Bénin ; C’est en se mettant ensemble que tous les fils de la terre peuvent boucher les trous de leur calebasse , affronter leur commun péril !  Case commune, l’Afrique noire a besoin de bâtisseurs effectifs, pas d’imposteurs idéologiques. C’est dans la coopération, la solidarité, l’invention d’un avenir commun que se mesure la panafricanité dans sa hauteur sublime. Mieux encore, les architectes ivoiriens de la dynamique ivoiro-burkinabé montrent à nombre Etats africains abonnés aux expulsions quotidiennes et humiliantes d’Africains, que l’avenir de notre continent se fera concrètement dans son intégration sous-régionale forte, ou ne se fera pas. Et n’arrive-t-il pas bientôt, le jour où le mot « mossi » cessera définitivement d’être une insulte normale en Côte d’Ivoire ? Tous les défenseurs des vertus universelles de l’humanité ivoirienne ne peuvent que s’en réjouir d’avance, en remerciant la Côte d’Ivoire, ici encore, de montrer la voie vénérable de la dignité aux Africains prisonniers sous toutes latitudes, du chant sibyllin des dieux orgiaques du sang et du sol.

Paris, le 31 juillet 2013

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