Fadal Dey, Artiste-Musicien Ivoirien : « La Réconciliation Nous La Faisons Pour Nous Mêmes »

0
9

Invité à « Vacances loisirs », l’artiste-musicien Fadal Dey a accordé une interview à Sidwaya, le samedi 24 août 2013. Dans cet entretien, il a annoncé son retour avec un album de 17 titres, intitulé « Jamcoco ». Il a salué la réconciliation en cours dans son pays et invité les Africains à éviter les votes ethniques et régionalistes afin de permettre l’avancée du continent.

Sidwaya (S.) : D’où vient le nom Fadal Dey ?

Fadal Dey (F. D.) : je suis Ibrahim Kalib Koné à l’état civil. Fadal Dey est une expression en dioula (malinké) qui signifie l’enfant qui demande pardon à son père (Fa dali dey). Contrairement à ce que pourraient penser les uns et les autres, ce n’est pas de l’anglais. Il ne s’agit pas de mon père qui m’a mis au monde, mais de Dieu parce que j’estime que nous sommes des êtres humains, donc imparfaits. Il n’y a que lui qui est parfait. Chaque jour qu’il crée, on lui demande pardon d’où l’appellation « Fadal Dey »

S : Comment avez-vous apprécié l’accueil ?

F. D. : Pour la énième fois dans la ville de Sya, c’est toujours un bon accueil . A Bobo-Dioulasso, je me sens comme chez moi. C’est un peuple chaleureux. En somme, c’est mon deuxième village comme j’aime le dire.

S : Et pourtant, vous n’y êtes pas revenu depuis bien longtemps. Quelles sont les raisons ?

F. D. : Je pense que cela est dû à la crise que traverse la Côte d’Ivoire, voire la sous-région. De ce fait, l’industrie musicale en a pris un coup. Il y a trop de pirateries, ce qui fait que les sorties de disque se font rares alors que le public est toujours friand de nouveautés quelles que soient les anciennes chansons qu’il aime. Dans ces conditions de piraterie, nous ne voulons plus entrer en studio à coût de millions et en retour, tout le monde possède nos œuvres, mais nous ne gagnons rien.

S. : Parlant de la crise, aujourd’hui nous avons une Côte d’Ivoire stable si on peut le dire. Comment avez-vous apprécié cette nouvelle dynamique ?

F : Je ne dirai pas que nous sommes stables, mais en voie de la stabilité. Je loue le courage des nouveaux dirigeants qui font tout pour que les Ivoiriens aillent à la réconciliation et que la Côte d’Ivoire retrouve sa stabilité d’antan. Cela est primordial et indispensable. Raison pour laquelle je demande à l’opposition de souvent accepter la main tendue du pouvoir en place, parce que nous avons une seule Côte d’Ivoire et non deux. Peu importe celui qui est au pouvoir, la réconciliation nous la faisons pour nous mêmes, car la stabilité profite à nous mêmes et non au président de la République. Je pense que c’est après la stabilité que vient le développement à travers les investisseurs. Certains pensent qu’en disant réconciliation, peut-être Alassane Ouattara ou Blaise Compaoré sera à l’aise. Non, on la fait pour nous-mêmes.

S. : La réconciliation, est-ce un de vos titres ?

F : Oui, la réconciliation a été l’un de mes titres depuis 2010 après « Conflit à l’Ouest ». Il a été enregistré en Côte d’Ivoire et sa sortie a eu lieu sous l’ancien pouvoir. L’album a été censuré, c’est ça qui fait que les gens ne l’ont pas connu et pensent que c’est sorti hier. C’est un devoir en tant que leader d’opinion d’appeler la population à la réconciliation, parce que nous sommes obligés de vivre ensemble.

S. : Sous l’ancien pouvoir, certains artistes ont pris partie et d’autres ont préféré rester neutre. Quelle a été votre position ?

F. D. : Moi, je suis un reggae man. Le reggae se met très loin de la politique qui est la vie de tous les jours. Si vous soutenez quelqu’un à visage découvert, il vous sponsorise, il vous donne des dessous de table et le jour où il sera au pouvoir, vous serez dans l’embarras de le critiquer. Quand le politicien vous donne quelque chose, faites attention. Moi, je tiens à ma liberté. Je suis un garçon très « free » dans la tête. J’aime être à la disposition de la population, j’aime parler au nom du peuple. Etant de la même région que le président actuel (du Nord), ce n’est pas une raison pour ne pas le critiquer. Je n’ai pas de parti pris, mais il faut reconnaître que Gbagbo a perdu les élections.

S. : Peut-être pas en Côte d’Ivoire, mais vous avez pris position sous d’autres cieux comme à Madagascar où vous avez chanté « Ravalomanana ». Après les élections à Madagascar, comment vous appréciez cela

F. D. : « Ravalomanana » c’était un symbole de la démocratie. La chanson s’appelle « Vive la démocratie ». Ravalomanana, c’est un peu comme Alassane Ouattara. Il a gagné les élections et en son temps, Didier Ratsiraka ne voulait pas reconnaître sa victoire. Ils se sont rencontrés à Dakar chez Abdoulaye Wade pour discuter. Pour ma part, c’était un soutien à la démocratie à travers ce président qui venait de gagner les élections et non sa personne. Je rappelle que le nom de la chanson est « Vive la démocratie » et Ravalomanana était un symbole. Cela pouvait arriver à tout le monde. La preuve : c’est arrivé à Alassane Ouattara. Nous commençons à avoir un peu le retour de la démocratie en Afrique et nous sommes fiers. Je profite saluer le peuple malien en parlant du courage de Soumaïla Cissé.

S. : Parlant de musique, est-ce que Fadal Dey a des relations avec des artistes burkinabè ?

F. D. : Sams’k le Jah est mon ami, mon pote de tous les jours. Je connais bien Jah vérity, Ali véruty, ZS qui est aussi connu en Côte d’Ivoire, et plein d’autres.

S. : Quelle appréciation faites-vous de la musique burkinabè de nos jours ?

F. D. : Les artistes burkinabè sont comme ceux du Mali. Il faut souvent sortir pour faire votre promotion hors du Burkina Faso. La musique est universelle, c’est quelque chose de spirituelle, un métier sans hypocrisie. On n’a pas besoin d’être Mossi, Dioula, Akié pour apprécier une musique. Dès la sortie d’un album, s’il plait au mélomane, il l’accepte. Il y a beaucoup de talents au Burkina Faso, mais qu’ils acceptent souvent de faire leur promotion hors du pays.

S. : Vous avez très bien aimé la ville de Bobo-Dioulasso, quand est-ce que vous y reviendrez ?

F. D. : Je suis en studio en train de préparer un album de 17 titres qui s’appellera « Jamcoco ». Peut-être à la sortie, nous allons envisager une tournée au Burkina Faso. Nous visons en exclusivité Koudougou, Ouagadougou, et Bobo-Dioulasso. On ne donnera pas de date d’abord puisque l’album n’est pas encore fini côté enregistrement. Les producteurs ont fui à cause de la crise, et je suis donc mon propre producteur. Ce qui est sûr, je reviendrai à Bobo-Dioulasso.

S. : Pourquoi 17 titres ?

F. D. : Nous venons de traverser une crise de plus de dix ans. Les gens pensent que la crise a commencé en 2010 ou depuis le coup d’Etat sous Robert Gueï. Je dis non, la crise va au-delà. C’est au moment où on semait les graines de « l’ Ivoirité » dans l’esprit de certains Ivoiriens. Ce qui fait que l’artiste a beaucoup de choses à dire. Le peuple africain a besoin de sensibilisation, surtout sur la démocratie et c’est ça notre devoir. Sensibiliser, quand les artistes ouvrent la bouche, ça reste. C’est différent d’un politicien qui fait un discours, les gens applaudissent et il s’en va. Jusqu’aujourd’hui, on écoute Bob Marley, etc. Tant que les Africains continueront à soutenir les politiciens parce qu’ils sont du même groupe ethnique ou de la même région, on n’avancera pas.

S. : Le titre de votre nouvel album « Jamcoco » parlera de quoi ?

F. D. : « Jamcoco » veut dire « Jamais » dans le langage de la rue en Côte d’Ivoire. Je suis parti du temps de l’apartheid en Afrique du Sud où on disait que Nelson Mandela ne sera jamais président, et à la fin il l’a été. Tel chanteur ou artiste ne va pas avancer, ce qui a été mon cas. Je dis personne n’est Dieu, Lago (en Bété), Gnamien (en Baoulé). Personne ne doit décider du destin de son prochain sauf Dieu. Donc dans la vie, il ne faut jamais dire « Jamais » ! Je disais au pouvoir de Gbagbo, ça fait dix ans que vous êtes au pouvoir. Qu’est-ce que vous avez fait concrètement ? Nous vivons, nous continuons de rouler sur les mêmes routes d’Houphouët, les mêmes trois centres hospitaliers régionaux de Yopougon, Treichville, Cocody qu’il a construits ! Il n’y a rien de nouveau. Mais pourquoi vous nous avez jetés dans la rue ? Je me suis senti trahi, donc je leur ai demandé de faire leur mea-culpa. Et comme ça sortait en février 2010, cinq à six mois avant les élections, ça ne les arrangeait pas du tout, ils ont censuré l’album. C’est difficile pour un artiste qui met autant d’argent dans un album, surtout pour mon producteur qui a vraiment perdu, puisqu’on n’a pas vendu plus de 5 millions. En ce moment, les étudiants au campus, tout le monde était roi dans la piraterie en Côte d’Ivoire. Et on en vendait 200 F CFA l’unité. Donc mon producteur a décidé de ne plus produire. C’était une période très difficile, mais je comprends et je peux dire aujourd’hui que ça va un peu.

S. : Quels sont vos objectifs ?

F. D. : J’ai un peu de difficultés avec ceux qui pensent qu’il faut forcément aller en Europe pour percer dans la musique. Le Burkina Faso fait 16 millions d’habitants et la Côte d’Ivoire, 22 millions. Ce qui manque à nos dirigeants, c’est une politique saine d’appréciation par rapport au business en Afrique. Ils ont tous démissionné dans ce sens. Si 1 million de personnes sur les 22 millions achètent une œuvre originale d’un artiste à 3000 F CFA, ce sont des milliards ! En Côte d’Ivoire, ceux qui vivent et qui tournent vraiment ce sont : Tiken Jah, Alpha Blondy et Magic System, parce qu’ils ont signé avec des majors en Europe ! Mais pourquoi courent-ils vers l’Europe ? Là-bas, ils ont une structure bien organisée. Même quand vous faites des refrains sur l’album d’un autre, vous avez vos droits ! Moi, j’ai vécu six mois à Paris chez Pablo Yuan qui n’a jamais été à la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), l’équivalent du BBDA au Burkina Faso. Il est chez lui à la maison et son chèque vient le trouver dans sa boîte à lettres. C’est juste une politique. Ici en Afrique, les gouvernants n’ont aucune politique de développement de la culture. La preuve est que je suis sorti dans la ville de Bobo-Dioulasso et j’ai vu des CD piratés partout. Comment vous voulez que nous vivions de notre art ? j’ai envie de relever ce défi avec mon album « Jamcoco » parce que le titre « Trop c’est trop » condamne la piraterie. Je n’ai pas envie d’aller forcément faire des concerts en France, aux Etats-Unis. Si j’en gagne, je ne refuserai pas. Mais je veux vivre de mon art en Afrique et pour cela, il faut sensibiliser les Africains et les gouvernants pour leur dire que si un artiste réussit, il va investir et participer au développement de son pays. Avec « Jamcoco », je veux sensibiliser en « haut », mais aussi la population ; ce qui est très important. Je veux tourner un peu partout en Afrique pour sensibiliser. Au Ghana par exemple, on ne peut pas pirater une œuvre ghanéenne. Au moins eux, ils ont réussi. On peut pirater Fadal Dey, ZS au Ghana mais pas Kojo Antwi, car la population risque de vous brûler. Sur des dizaines et vingtaines d’années, ils ont réussi à inculquer ça à l’esprit de la population.

S : Quelles sont vos propositions ?

F. D. : Nous voulons une loi claire qui condamne la piraterie. On ne peut pas concevoir qu’un citoyen s’arrête aux feux tricolores dans une voiture de 30, 20 ou 15 millions et prend un CD piraté de 500 F CFA. Tu roules dans une grosse cylindrée et tu achètes un CD piraté qui peut même gâter ton lecteur. De ce fait, la loi doit condamner celui qui vend, celui qui achète et celui qui fabrique. Ce sont les propositions que nous avons faites à notre ministre.

S. : Quelle définition faites-vous de la démocratie ?

F. D. : Pour moi, la démocratie c’est la liberté du choix, d’appréciation.

S. : Vous avez chanté « Boyorodjan ». Est-ce que vous avez été traité de « boyorodjan » ?

F. D. : Oui, mais c’est du passé maintenant. Ça veut dire littéralement quelqu’un qui vient de loin, d’ailleurs. Nous les nordistes, on nous taxait de tout (Malien, Burkinabè, Guinéen,…) sauf des Ivoiriens. C’est du passé, mais j’ai été victime de plusieurs cas. Donc j’ai décidé de faire une chanson pour sensibiliser les gens, puisqu’à l’école, on nous a appris que nous les Dioula du Nord (je suis de Odienné), on est originaire soit du Mali ou de la Guinée, les Sénoufos, de Sikasso au Mali, même les Baoulés, du Ghana. Plus loin, quand Bédié était président, il a sorti un livre appelé « Les chemins de ma vie » dans lequel il disait que les Baoulés seraient partis de l’Egypte. Qui est donc Ivoirien ? La question reste posée. Donc je disais qu’il ne fallait pas. Il ne faut pas qu’on se flatte, on se connait et on est tous parti de quelque part pour venir construire ce pays. Il fallait qu’on arrête tout cela et Dieu merci, ce n’est qu’un mauvais souvenir.

S : Un mot à l’endroit de ce public qui vous a bien apprécié ?

F. D. : Je les aime.

 

 

Auteur :

Source :

Commentaires facebook

Mettez votre commentaire

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here