Les Idées Reçues Ont Vraiment La Peau Dure…

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Il y a quelques années de cela le sieur N’zi Paul David, ci devant directeur de cabinet de la présidence de la république, président du conseil général de Dimbokro et personnalité de premier plan du PDCI RDA, se fendit d’une lettre ouverte aux allures de réquisitoire contre le Président Bédié. Dans ce brûlot, notre dircab appliquant sûrement les directives de son nouveau patron entendait interpeller le président de « son » parti sur le caractère inopportun de l’alliance que ce dernier projetait avec le RDR, ainsi que sur le péril que cette union pourrait faire courir à l’équilibre social de notre pays. Croyant sûrement bien faire, il se permit de rendre par avance son aîné responsable des dérives que ce rapprochement pourrait occasionner. Car pour lui, les militants du PDCI vivant en grand nombre dans les régions forestières de l’ouest pourraient pâtir du courroux de leurs hôtes (majoritairement FPI) qui ne manqueraient pas le moment venu de leur faire payer la note de ce qu’ils considèrent comme une trahison. Hum !

À l’époque cette lettre avait provoqué des réactions vives d’indignation au sein du PDCI et cela se comprend aisément. Nombreux sont les cadres du parti qui n’avaient pas hésité à tancer vertement l’impertinent, soulignant son ingratitude et lui promettant un avenir sombre comme salaire de son outrecuidance.

Mais le plus étonnant est que les propos de l’ex préfet, loin d’interpeller ses nouveaux camarades sur leur caractère offensant ont plutôt semblé les agréer. Au point qu’au lieu d’être dans l’affliction devant une telle infamie, il s’en est trouvé parmi eux pour applaudir et jubiler ! Alors que le message subliminal était clair. Pour monsieur N’Zi Paul David, les populations de l’ouest ne sont ni plus ni moins que des barbares qui ne comprennent rien de rien à la démocratie. Des gens sans foi ni lois qui n’ont aucune notion de ce que c’est que la liberté d’opinion. Aussi entendait-il mettre en garde le président de « son » parti contre les exactions que ces sauvages ne manqueraient pas de faire subir à ses parents installés dans leurs régions….

À y voir de près, l’outrage n’était pas anodin. Car avec le recul et en considérant les évènements graves survenus par la suite dans les régions évoquées, on pourrait conclure que les craintes de notre homme étaient fondées et ses avertissements justifiés. Cette zone n’étant d’ailleurs pas à sa première expérience du genre. Mais on pourrait tout aussi penser que les propos de l’ex administrateur (associés à d’autres déclarations tout aussi incendiaires) aient pu constituer le déclencheur de ce qu’on appelle en psychologie le « mécanisme de suggestion ». Ce processus qui part de l’acceptation d’une idée à son accomplissement s’appuie sur la persuasion, c’est-à-dire l’introduction d’idées dans le cerveau par la parole. Le sujet actionné accepte l’idée suggestionnée comme normale et cherchera activement à réaliser l’acte corrélatif. Etant persuadé que l’intention a lui prêtée entre dans le cadre d’une réaction normale. Et ce d’autant plus que ceux là même sur qui elle est supposée s’appliquer la considèrent comme vraisemblable. Résultat : de pauvres paysans pourchassés, molestés, chassés de leurs plantations, ou tués pour les moins chanceux… Voilà où peuvent conduire les propos irréfléchis de nos hommes politiques.

Ce petit rappel nous donne un angle pour analyser les dernières idées reçues en date qui nous viennent des opposants aux récents projets de lois sur la nationalité et l’apatridie. En effet pour ces derniers, les lois votées ne viseraient qu’à gonfler de façon artificielle l’électorat de l’actuel parti au pouvoir en prévision de la présidentielle 2015. Car selon eux, les néo naturalisés, par reconnaissance ou par devoir n’hésiteraient pas à voter pour celui à qui ils sont redevables de la régularisation de leur situation. On agite la menace d’une invasion de hordes d’immigrés avides de terres à spolier, l’imminence de naturalisations massives d’étrangers (4 millions de personnes selon les catastrophistes), ainsi que le péril d’une dilution de l’identité nationale par un ajout massif de sang impur. Hum !

C’est Antoine Arnauld qui écrivait: « il n’y a point d’absurdités si insupportables qui ne trouvent des approbateurs. Quiconque a dessein de piper le monde, est assuré de trouver des personnes qui seront bien aises d’être pipées ; et les plus ridicules sottises rencontrent toujours des esprits auxquels elles sont proportionnées. »… Validé !
Le mal qui ronge ce pays est (on s’en rend compte) beaucoup plus profond qu’on ne le pensait. Il n’est point question d’enlever à certains leur droit à la différence ou à l’objection. C’est la diversité des opinions et des points de vue qui nourrit le débat démocratique. Mais il est proprement affligeant de constater le mal que certains se donnent pour réveiller les vieux démons de la xénophobie et de la haine ethnique. On pensait qu’échaudés par tant de souffrances et de peines, les ivoiriens avaient enfin compris la dangerosité de certains termes et slogans, ainsi que la nécessité qu’il y a avait à proscrire du débat politique ces thèses fascistes dont la nocivité n’est plus à démontrer. Que non ! Le nationalisme ombrageux est de retour et les ultras ont de nouveau pignon sur rue. On prépare les esprits à la conflagration. Le coupable est déjà désigné et montré du doigt : l’étranger, ce rapace qui veut nous voler notre pays. Pauvre de nous !

Un jour, les psychologues devront se pencher sur le mal ivoirien. Ce complexe de supériorité qui habite beaucoup de nos concitoyens et qui les autorise à penser que tous ceux qui ne sont pas originaires de ce territoire sont des pestiférés dont il faut se protéger à tout prix sous peine de voir ce pays courir à la perdition. Contrairement à ce que d’aucuns pensent, la nationalité ivoirienne n’est pas le sésame permettant d’ouvrir les portes du paradis, ni la pierre philosophale permettant de réaliser l’alchimie du bonheur suprême. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer le nombre de citoyens de ce pays qui font le pied de grue devant les services compétents de pays étrangers dans l’intention d’engager une procédure de changement de nationalité. Certains sont incollables sur les moyens détournés pour obtenir le précieux document et maîtrisent toutes les subtilités permettant de profiter des failles du système. Pourquoi alors cette fébrilité à l’idée que d’autres puissent obtenir chez nous ce que nous recherchons ardemment ailleurs ?

Beaucoup d’étrangers vivant en Côte d’Ivoire n’ont d’ailleurs pas de problème de nationalité et ne se sentent donc pas concernés par tout ce qui se passe actuellement. Mais on leur fait un procès d’intention en entretenant un amalgame malsain sur un sujet qui a pourtant le mérite de la clarté. Il n’a jamais été question de donner la nationalité à tout venant mais plutôt à une catégorie de personnes remplissant des conditions établies naguère par nos devanciers. Ces dispositions ont pu passer inaperçues du fait de l’analphabétisme des concernés qui à l’époque n’en avait pas perçu l’essence. Sans compter leur médiocre diffusion du fait du faible taux de couverture médiatique de l’époque. Toujours est-il que beaucoup de résidents de ce pays par ignorance n’ont pas pu effectuer les démarches nécessaires à la régularisation de leur situation. Ils se retrouvent ainsi sans liens administratifs avec aucun état et sont de ce fait répertoriés comme apatrides eux et leurs enfants. Faut il passer sous silence cet état de fait sous prétexte que nul n’est sensé ignorer la loi ? Le vœu du législateur à l’époque des indépendances était justement de régler cette situation afin que ne prospère pas une telle anomalie administrative. Mais puisque cette singularité demeure, ne faut il pas revenir à l’esprit des rédacteurs de la loi et permettre que le vœu qu’ils ont exprimé à l’époque soit traduit dans les faits ?

C’est une injure que d’analyser la situation de ces personnes à l’aune d’arrière pensées électoralistes. Tout n’est pas qu’élection en ce bas monde. Certains habitants de ce pays n’ont rien à cirer que vous soyez du RDR, du PDCI, du FPI, UDCY ou de la SODECI. Et la crainte qui habite certains de voir leurs adversaires monter en puissance dans l’électorat n’est pas un argument recevable, car il n’existe aucun élément objectif permettant de soutenir une telle paranoïa. D’autres présidents par le passé ont eu à procéder à des naturalisations d’étranges sans que cela ne soulève un tel tollé. Et si signer des certificats de nationalité était la panacée pour se maintenir au pouvoir, on est bien étonné qu’il y ait encore des gens à naturaliser dans ce pays plus de 50 ans après les indépendances. Que certains n’ont-ils pas créé un ministère de la naturalisation pour signer des certificats à tout va afin d’ôter toute chance à leurs opposants de parvenir au pouvoir et s’assurer ainsi une réélection à perpétuité ? Nos hommes politiques douteraient-ils autant de la force de leurs idées et du succès de leur programme politique auprès des électeurs au point de se laisser gagner par des inquiétudes aussi irrationnelles ?

Les ressorts secrets qui guident le choix des électeurs conservent une part de mystère que même l’esprit le plus éclairé ne saurait cerner. Certains sont récemment tombés de haut alors qu’ils avaient la conviction absolue d’avoir maîtrisé tous les contours de leur entreprise. C’était sans compter sur la versatilité de ce peuple jaloux de ses prérogatives, et qui a toujours refusé que l’on décide à sa place. Et c’est vraiment étonnant que ceux là même qui ont eu le plus à éprouvé cette particularité de nos concitoyens soient les mêmes qui ruent dans les brancards à l’idée que les futures joutes électorales pourraient être pliées d’avance. Plutôt que de céder au fatalisme, que ne réservent-ils pas leur énergie pour essayer de convaincre ceux qu’ils semblent abhorrer du bien fondé de leurs idées et du bénéfice qu’ils auraient à porter leur choix sur eux ?

Le pire est qu’en relayant ces idées reçues, ils contribuent inconsciemment à l’effet redouté en indiquant aux futurs naturalisés leur bienfaiteur. Car il n’y a pas meilleure façon de suggérer un choix à quelqu’un que de lui faire un procès pour une décision qu’il n’a pas encore prise. Et nul doute que le moment venu, les concernés sauront s’en souvenir. Pourquoi feraient-ils injure au bon sens en reniant ce qui apparait aux yeux de leurs détracteurs comme évident ? D’autant plus qu’à l’évidence, le succès de ces derniers dans un futur proche pourrait sonner le glas de cette quête légitime d’identité. Autant alors souscrire une assurance sur l’avenir en faisant le choix de la sécurité.

Pour enfoncer le clou, ces censeurs brandissent la menace d’un conflit foncier du fait de l’accaparement futur des terres villageoises par les personnes à naturaliser. Car selon eux, ces terres ne leur ont été concédées qu’en tenant compte du fait qu’elles étaient étrangères et donc insusceptibles d’acquérir des droits y afférents. Qu’en est-il alors des concessions faites aux populations ivoiriennes venues d’autres régions ? Faut-il en conclure que ces terres leur ont été concédées ad vitam aeternam ? Ou alors les propriétaires terriens pensaient ils là aussi avoir affaire à des étrangers ? C’est vraiment triste que certains essayent d’associer nos parents villageois à leur lubie sur la menace d’une invasion extérieure. Les populations autochtones ont de tout temps vécu en harmonie avec leurs frères venus d’ailleurs. Les problèmes sur le foncier rural ne sont apparus dans ce pays que le jour où des politiciens véreux se sont mis en tête d’utiliser la terre comme un instrument de propagande électoraliste. Ce qui a poussé les gouvernants à légiférer là où le droit coutumier a toujours fait force de loi. Les derniers projets de lois votés contiennent d’ailleurs une extension du délai accordé pour faire constater ces droits coutumiers sur ces terres. Le délai précédent de 10 ans avait expiré depuis 5 ans. Et c’est guidés par le même esprit qui a prévalu pour la reconduction des lois de 1961 sur la nationalité que les législateurs ont décidé de le rendre extensible afin de donner une chance à ceux qui n’avaient pas eu la possibilité de se mettre en règle de se rattraper. D’où vient il alors que certains entretiennent la psychose d’une éventuelle expropriation et livrent les allogènes à la vindicte de leurs tuteurs ?

La Côte d’Ivoire a de tout temps fait le choix d’être une terre d’accueil et d’hospitalité. Cette exception revendiquée par les pères fondateurs de notre pays a toujours constitué une force et une richesse pour cette nation. Nos devanciers étaient si convaincus de la justesse de leur choix qu’ils l’ont consacré dans les paroles de notre chant patriotique. Et c’est cette confiance en l’avenir, un avenir fait de brassage et d’intégration qui a toujours constitué la flamme guidant le voyageur vers cette terre d’espérance. Nous ne devons donc pas renier cet héritage mais plutôt essayer de nous en montrer dignes. C’est seulement de cette façon que nous mériterons de nos aînés et auront part à leur grandeur. Cela nous impose des devoirs et un engagement ferme à leur emboîter le pas. En commençant par faire en sorte que nul sur ce territoire ne sente oublié ou rejeté. Car c’est en battant le rappel de tous ceux qui d’ici ou d’ailleurs ont accepté de s’associer à la destinée tracée par nos pères que réussirons véritablement à forger unis dans la foi nouvelle la patrie de la vraie fraternité…

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