Libération Des Prisonniers, Retour Des Exilés… Comment Régler La Grogne Des Victimes ?

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Manifestement, l’heure est à la décrispation sur la scène politique. Au nom de la réconciliation, plusieurs cadres et militants des partis membres de la ‘’galaxie Gbagbo’’ sont remis en liberté. Ceux qui rentrent d’exil, ne sont aucunement inquiétés. Mais sur le terrain, cette détente ne rassure pas, surtout dans le rang des victimes de la crise postélectorale.

Les voies qui conduisent à la réconciliation sont parsemées d’embûches. Depuis que les autorités ivoiriennes ont décidé d’ouvrir les portes des prisons pour laisser sortir les militants et cadres de l’opposition proches de l’ancien président, Laurent Gbagbo, la grogne ne cesse de monter dans le camp du Président Ouattara, surtout depuis la relaxe, lundi dernier, de dix officiers de la police jugés pour la répression de la marche sur la Radiodiffusion-télévision ivoirienne, en décembre 2010. Elle se fait même menaçante dans les rangs des victimes de la crise postélectorale et des défenseurs des droits de l’Homme. Quand les victimes regrettent qu’au nom de la détente, on remet en liberté leurs bourreaux d’hier, les défenseurs des droits humains dénoncent, quant à eux, une sorte de prime à l’impunité. « Libérer des policiers suspectés d’avoir participé à la répression de la marche sur la Rti, c’est le comble ; on ne comprend plus rien dans leur affaire-là. A cette allure, les gens risquent de libérer tout le monde, y compris Gbagbo, sa femme, Blé Goudé, Dogbo Blé, Séka Séka… », fait remarquer Ladji Sanogo, militant du Rdr à Abobo. « On espère que les juges qui les ont déclarés non coupables vont un jour nous dire qui a tué la trentaine de personnes tombées, le 16 décembre 2010, le jour oùle Premier ministre de l’époque devait installer le Dg de la Rti, Pascal Brou Aka. Nous souhaitons vivement qu’ils(les juges, ndlr) nous le disent parce que ces victimes ne peuvent pas passer par perte et profit, au nom de la réconciliation », renchérit Ladji Sanogo qui dit avoir perdu un ami, lors de cette marche. « Il n’a même pas eu l’occasion de rejoindre le lieu indiqué pour le rassemblement qu’il a été fauché par les balles assassines des militaires de Laurent Gbagbo », témoigne-t-il. « Nous ne sommes pas du tout opposés au processus de réconciliation; et ce n’est pas en maintenant les gens en prison que nos douleurs vont s’atténuer, mais il aurait été intéressant qu’on nous dise ce qui s’est passé. On sait que c’est pour préserver le régime Gbagbo, mais nous voulons savoir qui sont précisément les exécutants de cette sale besogne, pourquoi ils ont ôté le vie. C’est après être allé au bout de ce processus de recherche de la vérité, qu’on peut demander aux victimes de pardonner à leurs bourreaux et d’accepter qu’on les libère, au nom de la réconciliation. Avant cela, ce serait mal inspiré de libérer les bourreaux au seul motif qu’on veut décrisper l’atmosphère politique. Les victimes, à qui on n’explique rien, pourraient être tentées de se venger », pense Mamadou Diaby qui se présente comme un sympathisant du parti au pouvoir, le Rassemblement des républicains (Rdr). « Ce qui fait aussi mal dans cette affaire, c’est qu’alors même que certaines victimes ont à peine de quoi se nourrir ou se soigner, à cause de l’état de pauvreté extrême dans lequel elles se trouvent, on déroule le tapis rouge aux pro-Gbagbo remis en liberté provisoire ou rentrés d’exil. Certaines victimes ont encore des éclats d’obus ou des balles dans leur corps. Personne ne se soucie de leur sort, mais on donne tous les moyens à leurs bourreaux, on les réintègre dans l’administration, on rétablit leur salaire. Ceux qui rentrent d’exil roulent carrosse, ils sont logés dans les plus luxueux hôtels », dénonce pour sa part K. Kouassi, cadre dans l’administration et parent de victime de la crise postélectorale. « C’est le lieu d’interpeller le gouvernement, il a assez fait pour les pro-Gbagbo. Nous devinons aisément qu’il n’en peut plus de subir des pressions, notamment de la part de la communauté internationale, mais il ne peut pas oublier les victimes qui n’ont pas demandé à l’être. Il est temps qu’on pense à elles, sinon le coup d’envoi du fameux match retour que les pro-Gbagbo annoncent sera sans doute donné par les victimes. On va assister au match retour de la crise postélectorale», menace vertement un responsable d’association de victimes, sous le couvert de l’anonymat. « Comprenez les, ils ont mal », relativise Mamadou Diaby. Une posture dans laquelle se trouvent aussi l’ancien ministre des Droits de l’Homme, Joël N’Guessan et Ahoua Carlton Coulibaly, porte-parole du Rdr. « Ce que dit le Président Ouattara, c’est ni vengeance, ni impunité », précise le porte-parole principal du Rdr qui dit comprendre les ressentiments des victimes. « Les différents cabinets d’instruction devraient faire un peu plus attention. S’ils donnent l’impression de libérer tout le monde, au nom de la réconciliation, cette démarche peut aiguiser l’esprit de vengeance de la part des victimes et là, on n’aura pas fait avancer l’initiative du président de la République, Alassane Ouattara », note l’ancien ministre, Joël N’Guessan. Avis partagé par Ahoua Carlton Coulibaly qui précise qu’elle ne parle pas au nom de la direction du Rdr. « En même temps qu’on envisage d’accorder la liberté provisoire aux pro-Gbagbo, on devrait songer à indemniser les victimes. Cela aurait pu contribuer à les soulager un peu », analyse-t-elle. Cette colère qui monte va-t-elle amener l’appareil judiciaire à faire marche arrière ? Interrogé il y a deux semaines, le ministre de la Justice, Mamadou Gnénéma Coulibaly, s’est voulu rassurant. « (…) la justice affirme que les actions continueront autant qu’elles ont commencé dans les dossiers. Nous sommes d’accord qu’il n’y aura pas nécessairement arrestation de ceux qui reviennent, mais ils doivent venir répondre devant les juridictions nationales », a assuré M. Coulibaly, relativement aux exilés. « Les victimes seront prises en compte au moment opportun. Elles sont déjà entendues et lors du jugement, il y a des dommages et intérêts qui seront prévus », a-t-il ajouté.

 

 

 

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