Réconciliation En Côte d’Ivoire : Le Deuil Impossible Des Parents Des Victimes

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Les victimes de la crise ivoirienne doivent certainement se retourner dans leurs tombes. L’élargissement de certains pro-Gbagbo poursuivis par la Justice, la garantie de l’impunité à d’autres présumés coupables de tueries ne sont pas de bons signaux pour une paix durable en Côte d’Ivoire. Contrairement à ce que semble penser le régime d’Alassane Dramane Ouattara (ADO), ces gestes sont de véritables toxines pour la paix. En plus de traduire une grave intrusion du pouvoir exécutif dans les affaires du pouvoir judiciaire, (une « caporalisation » de la Justice par l’exécutif) ces décisions des autorités ivoiriennes cachent mal une mauvaise gestion des efforts de réconciliation nationale. Ces gestes des autorités ivoiriennes pourront tout au plus leur donner une sorte de répit très provisoire car la question du pardon, de la réconciliation vraie, restera toujours posée. On ne traite pas avec une telle légèreté le sort de présumés criminels à l’issue d’une crise qui aura fait plus de 3 000 victimes, surtout dans un Etat dit de droit. Le tollé que ces décisions ont soulevé au sein des mouvements des droits de l’Homme est de ce fait bien à propos.

L’argent ne peut suffire à panser les plaies morales des humains

On imagine aisément les raisons de ces gestes de mansuétude envers les pro-Gbagbo. Il y a probablement la volonté d’ADO d’être perçu comme un homme de paix à l’image de son mentor, feu Félix Houphouët-Boigny. On se souvient que le premier président de la Côte d’Ivoire indépendante avait fait de la paix nourrie au dialogue son credo. A tel point que contre l’avis de nombreux Africains à l’époque, il avait pris sur lui de serrer, au nom de la recherche de la paix, la main de Peter Botta, alors président d’une Afrique du Sud raciste, où l’Apartheid régnait en maître. Mais ADO ne doit pas perdre de vue qu’il n’est pas dans le même contexte que Houphouët Boigny et que cette même Afrique du Sud a dû, par la suite, passer par la case « Vérité-Justice » pour arriver à la Réconciliation. Ces premières étapes sont aussi importantes que la dernière. Elles sont même des préalables indispensables, des conditions sine qua non d’une vraie réconciliation.

Un autre élément justificatif de cette attitude du régime ivoirien réside dans la pression exercée par le Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex-président Laurent Gbagbo sur le camp présidentiel. Face aux revendications jusqu’au-boutistes du FPI, ADO se sent certainement obligé de multiplier ces gestes dans l’optique d’apaiser le climat. Mais le moins que l’on puisse dire est que cela n’a pas outre mesure adouci vraiment le FPI qui, du reste, ne semble pas prêt à se remettre en cause. L’ex-parti au pouvoir, s’il avait une certaine intelligence politique et de l’amour pour la Côte d’Ivoire, aurait mieux fait d’éviter de réclamer cette impunité pour ses partisans, toute chose préjudiciable à une paix durable. Il devrait se résoudre à faire amende honorable même s’il est vrai que des éléments du camp ADO aussi doivent rendre compte.
Outre ces éléments, une autre raison de ce délit de faiblesse d’ADO est à rechercher dans la pression de la communauté des hommes d’affaires étrangers qui voient en la Côte d’Ivoire un vaste champ d’opportunités et qui sont pressés de pouvoir y investir. Les grands chantiers sont là pour en témoigner et ces investisseurs qui ne sont pas des enfants de chœur ne se préoccupent pas du sort des ayants droit des victimes de la crise. Au besoin, ils mettront certainement la main à la poche pour aider l’Etat à faire face aux dépenses d’indemnisation des victimes. Mais, ils oublient, et c’est dramatique, que l’argent ne peut suffire à panser les plaies morales des humains. Aucun vrai parent ne peut savourer le fruit de ces indemnisations.

Tout pardon qui occulte la vérité et la justice ne saurait être viable

Au contraire, cela pourrait avoir pour effet de frustrer davantage les familles concernées qui verraient leur deuil ainsi bafoué.
Un autre élément et non des moindres qui pourrait justifier l’engagement des autorités ivoiriennes à ne pas poursuivre certains pro-Gbagbo tient sans doute à la volonté d’ADO de protéger des présumés criminels de son propre camp dont il serait lui-même l’otage. En effet, en garantissant l’impunité à des pro-Gbagbo, ADO consacre de facto celle de bien des individus de son propre camp reconnus pour leur rôle macabre dans la crise qui a secoué le pays. En d’autres termes, le régime ivoirien s’abstient de juger les autres, fussent-ils des adversaires, par souci de protéger les siens. Une sorte de marchandage avec la justice. Hélas, et ADO en est certainement conscient, cette sorte d’amnistie n’a aucune incidence sur les poursuites de la Cour pénale internationale. En tout état de cause, le meilleur service que le chef de l’Etat ivoirien aurait pu rendre à ses « copains » qui ont contribué énormément à lui ouvrir la route du palais présidentiel en laissant à l’occasion des cadavres sur le bord de la route, c’est de laisser la Justice faire son travail. Il aurait pu, par la suite, leur accorder sa grâce, toute chose qui fait partie des prérogatives présidentielles. Tel que les choses se passent, ceux qui sont élargis ou protégés de facto ne sont pas, en réalité, en sécurité. En effet, il faut craindre que cette situation éveille un désir de vengeance chez les familles éplorées. Le pays tout entier pourrait alors replonger dans la violence.

C’est dire qu’en prenant la décision d’aller dans le sens du modèle burkinabè de la « Journée nationale du pardon » au lieu de s’inspirer du modèle sud-africain de Vérité-Justice-Réconciliation, ADO ne fait pas du bien à son pays.
Toujours est-il que tout pardon qui occulte la vérité et la justice ne saurait être viable. Autant le dire : cette stratégie rend impossible le deuil des familles des victimes. On ne peut nier aux Ivoiriens la capacité de pardonner. Mais ils exigeraient certainement comme préalable que la lumière soit faite, que les bourreaux reconnaissent leurs crimes et demandent pardon. Que les victimes reconnaissent leurs bourreaux. C’est seulement à ce prix que les cœurs pourront être apaisés et que les familles seront capables de faire leur deuil comme il se doit.

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