Archéologie Politique De L’Appel De Daoukro – 2ème Partie : « Les Conséquences Collatérales D’un Appel Historique »

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Dans la première partie de la présente réflexion, je me suis efforcé de montrer que l’Appel du 14 septembre 2014 lancé par le président Henri Konan Bédié à Daoukro en vue du rassemblement de tous les partis du RHDP derrière la candidature unique du président Alassane Ouattara à la présidentielle 2015,  est un véritable choc post-traumatique pour l’idéologie exclusiviste de l’ivoirité. J’entends ici par choc post-traumatique, un coup de grâce donné par les serviteurs dévoués du peuple ivoirien à une pathologie de la politique ivoirienne qui risquait de se faire chronique sans l’union des bonnes volontés. J’aimerais cependant m’en expliquer davantage au préalable, dans l’entame de cette seconde contribution sur l’Appel de Daoukro.  Je préciserai ensuite l’objet de la présente analyse. Le choc post-traumatique, ainsi bien nommé, vient après le choc traumatique du 11 avril 2011. Ce jour-là, les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire, appuyées par le droit international incarné par les Nations Unies, délogeaient l’imposteur le plus célèbre de la politique ivoirienne du poste de Chef de l’Etat qu’il tenait à continuer d’occuper indûment après dix années de roublardise commencées par le coup d’Etat pseudo-électoral du 22 octobre 2000. Or donc, le 11 avril 2011, comme en témoignera toujours le célèbre « Ivoiriens, séchez vos larmes ! » du Premier Ministre et Ministre de la Défense d’alors, Guillaume Soro, ce ne fut pas seulement une cinglante défaite politico-militaire qui était infligée au régime LMP de Laurent Gbagbo .

Le 11 avril 2011 fut un choc en profondeur porté au mythe d’une Côte d’Ivoire multiséculaire, propriété exclusive de certains vrais ivoiriens, qui pouvaient s’arroger des biens, des droits politiques et de la vie d’autres ivoiriens, décrétés étranges et étrangers à la sacro-sainte Eburnée.  Une autre Côte d’Ivoire, menacée par l’apparition de l’idéologie ivoiritaire sous le régime Bédié de 1993 à 1999, pourchassée avec cynisme par la violence des régimes Guéi et Gbagbo, reprenait les devants de l’Histoire. La Côte d’Ivoire authentique d’Houphouët, terre d’espérance et pays de l’hospitalité, terre d’ouverture et de tolérance, terre d’émergence continue de la prospérité des biens et des hommes, terre de brassage, terre de matérialisation concrète de l’idéal panafricain.  C’est cette Côte d’Ivoire que le Président Bédié, par l’Appel du 14 septembre 2014 à Daoukro, a définitivement rejointe, après avoir été, de 1993 à 1999, voire 2005, tenté par les sirènes de l’ivoirité, que ses propres conseillers perfides de la fameuse CURDIPHE ourdirent contre la paix durable dans ce grand pays. J’ai donc montré que l’Appel de Daoukro traumatise en boomerang ultime les ivoiritaires de tous les camps, ceux du PDCI-RDA et ceux du FPI. Mais ne reste-t-il pas à examiner d’autres conséquences de cette déclaration de Daoukro ? On serait bien naïf d’ignorer le mouvement souterrain des plaques tectoniques de la politique ivoirienne, en cours dans deux axes, au minimum : 1) Une bipolarisation à l’anglo-saxonne de la politique ivoirienne dont les conséquences collatérales sont à anticiper ; 2) Un nouvel équilibre interne au sein du PDCI-RDR en construction sur les fondements du RHDP actuel, avec la fameuse problématique de l’alternance interne évoquée par le président Bédié 

I – Bipolarisation à l’anglo-saxonne de la politique ivoirienne : avantages et inconvénients

Dès la présidentielle 2010, on a clairement vu rivaliser deux grands camps politiques ivoiriens : La Majorité Populaire (LMP) se rassemblait autour du FPI de Laurent Gbagbo dès le 1er tour de la présidentielle, alors que le Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) soutenait dès le 2ème tour, le candidat Alassane Ouattara, après l’élimination du candidat Henri Konan Bédié, candidat du PDCI-RDA, au 1er tour. Contrairement aux allégations délirantes des analystes du FPI, la bipolarisation de la politique ivoirienne n’est donc pas un fait datant de l’Appel de Daoukro, mais une constante de la réalité nationale de ce pays depuis l’Alliance des houphouétistes en 2005 à Paris. Que penser donc de cette cristallisation des forces politiques en deux camps ? L’erreur consisterait à la juger a priori appauvrissante pour la politique ivoirienne. On ferait ainsi valoir que désormais, l’extrême-gauche, les écologistes, le centre-droit ou le centre-gauche, les partis traditionnalistes, etc. ne pourraient plus s’exprimer en Côte d’Ivoire. On arguerait de la fin du pluralisme, à la manière du Front National français, qui appelle UMPS, la classe politique uniforme de gauche  et de droite qui gouvernerait alternativement la France depuis De Gaulle. On se tromperait pourtant à procéder ainsi. Car comment expliquer l’extraordinaire essor économique de la Côte d’Ivoire, aujourd’hui à près de 10% de croissance après la tragédie postélectorale de 2011 si l’on ne prend pas en compte le large consensus qui a permis de constituer la majorité présidentielle actuelle ? Comment comprendre sans cette large union du RHDP qui recouvre le spectre de la diversité ivoirienne, la stabilité géopolitique de l’Etat de Côte d’Ivoire, malgré les tentatives de terreur esquissées par les ailes radicales du FPI entre 2010 et 2012 contre le régime légitime issu des urnes du 28 novembre 2010 ?

De fait, la bipolarisation de la politique ivoirienne répond à la prise de conscience par les acteurs politiques ivoiriens des différences qui les séparent et des ressemblances qui les lient. Les différences qui séparent les politiques ivoiriens renvoient clairement au conflit éthique de l’ivoirité. Il y a d’une part le camp identitaire (LMP) et de l’autre le Camp républicain (RHDP). Les différences qui séparent les politiques ivoiriens relèvent aussi de la conception de la gestion de l’Etat. Il y a d’une part le patrimonialisme ethniciste du camp identitaire, traduit par exemple par une conception nativiste du foncier rural et d’autre part, le juridisme cosmopolitique du camp républicain, traduit par une volonté de cohérence avec les principes généraux du droit international de la propriété. Les similitudes qui rassemblent chacun des deux camps s’en déduisent clairement. Le camp identitaire s’enferme dans la célébration narcissique d’un Nous national qui ne correspond ni à une réalité opératoire, ni à une dynamique de fécondité sociale, économique ou politique. Ceux qui tiennent aux mythes de la LMP se reconnaissent à leur conception figée de l’Histoire. « Laurent Gbagbo ou rien », nous disent-ils, comme si la Côte d’Ivoire n’existait pas avant Gbagbo et n’existerait pas sans Gbagbo, voire après Gbagbo. Ceux qui s’engagent dans la dynamique du RHDP, a contrario, s’efforcent de sortir des impasses du culte de la personnalité pour penser l’émergence ivoirienne dans une vision inclusive. Il n’y a pas au RHDP le culte narcissique d’une nation exclusive de certains de ses enfants. Il y a le désir de réaliser la grandeur ivoirienne du 21ème siècle par des œuvres architecturales, socioéconomiques et politiques de référence.  Du coup, la bipolarisation de la politique ivoirienne apporte clarté et vérité aux projets de société en concurrence, permettant aux citoyens de mieux se déterminer en connaissance de cause. L’argument de l’appauvrissement du spectre politique ne vaut pas non plus, dans un contexte où la doctrine économique dominant les deux camps se situe globalement entre le social-libéralisme de gauche et le social-libéralisme de droite, incarnés par LMP d’une part et le RHDP d’autre part. Pour le dire autrement, l’éthique politique sépare davantage les deux camps ivoiriens actuels que l’idéologie économique quasi-commune qui les unit. La bipolarisation de la politique ivoirienne est donc incontestablement avantageuse pour ce pays. Est-ce pour autant que les camps constitués ne souffrent d’aucune fragilité interne ? L’Appel de Daoukro nous invite à nous pencher sur cet aspect, dans la partie finale du discours du président Bédié.

II – Du RHDP au PDCI-RDR : promesses et fragilités d’un équilibre en construction

Nul observateur lucide de la scène du 14 septembre 2014 à Daoukro ne laissera passer sous silence le morceau de discours suivant :

« L’objectif d’une telle candidature est double : d’abord, assurer le succès du RHDP aux élections de 2015 dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire et de la paix. Ensuite, aboutir à un parti unifié, PDCI-RDR pour gouverner la Côte d’Ivoire, étant entendu que ces deux partis sauront établir entre eux, l’alternance au pouvoir dès 2020. »

Comment analyser le sens et les conséquences de cet extrait ? Le président Bédié sonne d’abord la charge contre certains de ses propres partisans du PDCI-RDA qui se voyaient critiquant  publiquement avant le premier tour de la présidentielle 2015, aux détriments supposés du président Alassane Ouattara,  le bilan 2010-2015 d’un gouvernement du RHDP auquel le PDCI-RDA a pourtant largement participé en occupant de nombreux ministères régaliens ; premier ministère, ministère de l’économie et des finances, ministère des affaires étrangères, par exemple, pour ne citer que ceux-là. En politique averti, le président Bédié refuse la contradiction aberrante qui consisterait pour le PDCI-RDA à se tirer une balle dans le pied, en sabotant le bilan politique d’un gouvernement que le PDCI-RDA a lui-même largement dirigé à travers les premiers ministres Kouadio Ahoussou et Kablan Duncan, depuis 2012. Deuxièmement, le président Bédié fait le bilan négatif de la politique ivoiritaire esquissée de 1993 à 1999 sous son régime et aggravée sous la junte de Guéi et la dictature de Gbagbo. Si le RHDP, doit refléter l’intérêt général des Ivoiriens et la Paix, cela signifie, par les lois logiques de la contraposition, que les régimes ivoiritaires incarnèrent les intérêts particularistes et la logique de guerre. Bien comprendre Henri Konan Bédié en 2014, c’est donc se pénétrer de ceci : c’est l’ivoirité qui a sacrifié l’intérêt général et provoqué l’instabilité politique des récentes décennies ivoiriennes. C’est la fin de la politique ivoiritaire qui assurera le renouveau et l’émergence de ce pays. Courageuse autocritique, héroïque dépassement de soi, cette sortie du sage de Daoukro est l’œuvre d’un esprit enfin dévoué à l’œuvre de l’Universel. Mais il reste bien une troisième partie à méditer dans le morceau de discours que nous analysons : l’entendu de « l’alternance entre les deux partis au pouvoir dès 2020 ».  Qu’est-ce à dire ? Avouons qu’il s’agit de la partie la moins aisée à interpréter dans ce morceau de discours, car elle paraît contradictoire : si le PDCI-RDR sera un parti unifié, quelle nécessité qu’il y ait encore en son sein deux partis entre lesquels s’établirait une alternance ? Peut-il y avoir alternance entre une partie d’un parti et lui-même, si ce parti est réellement unifié ? On peut faire au moins deux hypothèses sur cette notion d’alternance :

II. 1) L’alternance voudrait dire qu’un candidat issu de l’ancien PDCI-RDA serait automatiquement choisi comme candidat unique du PDCI-RDR lors de la présidentielle 2020. Or problème : le RDR est lui-même un parti issu du PDCI-RDA et en 2020, il n’y aura plus qu’un seul parti, le PDCI-RDR, selon la volonté exprimée par les directions des deux partis PDCI-RDA et RDR. Il y a mieux.  De fait, le président Alassane Ouattara, actuel candidat du RDR, est par extension lui-même un ancien du PDCI-RDA. Or encore problème : qui choisirait ce candidat du PDCI-RDA si le parti PDCI-RDR se donne démocratiquement des règles d’organisation de primaires en son sein pour l’élection de 2020 ? Manifestement, le candidat du PDCI-RDR en 2020 devra être choisi par l’ensemble des militants du parti unifié, si tant il est vrai que dès 1993 en Côte d’Ivoire, c’est le principe de la succession « héréditaire » en politique qui fut remis en cause par la lutte du RDR, puis des MPCI-FN en Côte d’Ivoire. L’hypothèse schismatique d’un candidat du PDCI-RDR issu de l’ancien PDCI-RDA me paraît donc superflue, dans un contexte où seul existera le parti unifié du PDCI-RDR, les structures séparées des deux anciens partis ayant fusionné. L’avenir seul nous en dira plus.

II. 2) Et si « l’alternance en 2020 » voudrait dire que le candidat du PDCI-RDR sera nécessairement en 2020, une personne autre que l’actuel président de la république Alassane Ouattara ? Cela signifierait que l’alternance interne au PDCI-RDR serait essentiellement générationnelle, les présidents Ouattara et Bédié devant être presque tous octogénaires à cette date. Dans cette optique, la déclaration récente et éclairante du président Ouattara, confirmant qu’une autre personne sera à la tête de la Côte d’Ivoire à compter de 2020, appuie sérieusement cette hypothèse de l’alternance générationnelle, véritable leçon de sagesse des présidents Bédié et Ouattara aux jeunes politiques Ivoiriens. Dans ces conditions, le comité des sages du PDCI-RDR en préparation n’assurerait-il pas en réalité un passage de témoin exemplaire en organisant les primaires de ce parti dans des conditions démocratiques qui briseraient à jamais le mythe de la succession politique « héréditaire » dans ce grand parti comme dans le pays ?  Pour sûr, la raison veut que le futur candidat du PDCI-RDR soit le candidat de l’ensemble des militants de ce parti réunifié. Qu’en conclure alors ? Que le PDCI-RDR est une belle promesse, sans doute la plus formidable offre politique de ce siècle ivoirien. 

On aurait pu aller plus loin. Faisons comme nous le conseille Goethe : limitons-nous si nous voulons aller plus loin. Je ne m’attarderai pas dans cette analyse sur l’avenir du camp LMP, dont le schisme pro-Gbagbo/ pro-Affi n’annonce rien de prometteur à l’horizon. D’autres analyses sur la solidité problématique du bloc du centre-gauche-ivoiritaire suivront la présente. Qu’il me soit cependant permis de conclure mon analyse de l’Appel de Daoukro par une observation générale : bien compris et bien appliqué, l’Appel de Daoukro, en tournant la page mythique et dramatique de l’ivoirité, indique que la démocratie devient la méthode et la finalité de l’exercice républicain ivoirien. En tant que telle, la démocratie requiert négociation et quête permanente de consensus par ceux qui la choisissent résolument comme mode de conquête, d’exercice et de dévolution du pouvoir d’Etat. Elle implique le pari de l’incertitude sur la tenue des promesses et sur les revirements spectaculaires dont tous les acteurs sont capables. La démocratie implique aussi la conscience de l’Histoire, véritable vivier de leçons en forme de « plus-jamais-ça ». L’Appel de Daoukro a toutes les caractéristiques du phénomène démocratique. Il appelle tous les Ivoiriens à un acte de transcendance. En même temps, il s’ancre dans une approche pragmatique de la Realpolitik nationale. Le président Bédié s’efforce ainsi de réconcilier la majorité au pouvoir avec l’art politique par excellence : la réalisation de l’impossible, l’union dans la négociation et le surpassement des égos par amour pour le Bien du pays. L’audace d’espérer. Dans cet effort, comment nier que le président Bédié et son cadet le président Ouattara soient loin d’être seuls ? Il y a de l’espoir en Côte d’Ivoire. Car dès 2010, c’est un homme politique jeune, acteur majeur du processus de paix depuis septembre 2002, qui appelait déjà à la naissance du Parti Réunifié des Houphouétistes. Oui, dès 2010, c’est Guillaume Kigbafori Soro, meilleur premier ministre sous Laurent Gbagbo- dixit lui-même-, premier ministre et ministre de la défense d’Alassane Ouattara, aujourd’hui président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, qui appelait, au mépris de tout calcul individuel, tous ceux qui veulent le triomphe de l’idéal républicain ivoirien à prouver leur volonté de modernité politique par une union plus parfaite dans un parti réunifié des houphouetistes. On ne peut que s’y résoudre. Le Président d’Honneur du MONASCAU-RHDP, Guillaume Kigbafori Soro,  a vu juste et net. L’Appel de Daoukro 2014 révèle donc que la sagesse politique a un bel avenir en Côte d’Ivoire. Et c’est bien.

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi

Professeur agrégé de philosophie, Paris, France

 

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