Dans notre marche vers l’émergence, les cadres jouent un rôle majeur. Le dictionnaire nous renseigne sur ce que fait un cadre: c’est un salarié exerçant une fonction de direction, de conception et de contrôle dans une entreprise ou dans une administration. Si nous nous en tenons à cette définition, nous pouvons dire que la Côte d’Ivoire a beaucoup de cadres, dans toutes les sphères d’activité. Mais tous ces cadres sont-ils vraiment disposés à jouer leur partition pour son émergence ?
Concentrons- nous sur les trois mots clés : direction, conception, contrôle. Pour diriger, il faut être en position de tête. De ce fait, et au regard du niveau qui est le sien, tout cadre est un chef. Pour concevoir, il faut se démarquer d’un simple exécutant en s’aidant de ses méninges pour réfléchir, prendre des initiatives, innover, créer. Pour contrôler, enfin, il faut revisiter ce qui a été fait et tirer d’utiles enseignements. Nos cadres méritent d’être mieux situés, quant à leur rôle et quant à leur place. Ils disposent d’énormes pouvoirs d’action et sont comptables de ce qui se fait de bien ou de mal dans nos pays.
L’Afrique représente à peine 3% de l’économie mondiale. C’est tout dire : une goutte d’eau dans l’océan. Cela interpelle nos cadres. Cela engage leur responsabilité. Que font-ils de leur pouvoir de direction, de conception, de contrôle ? Pourquoi eux qui ont beaucoup reçu manquent-ils d’être en position de beaucoup donner ? Et quand nous revenons en Côte d’Ivoire, qui se veut pays émergent à l’horizon 2020, nous ne percevons pas l’engagement de nos cadres. Tenez ! Nos cadres sont constamment sur le registre du paraître. Nous les retrouvons dans cette ébauche de portrait de La Rochefoucauld : « Les uns veulent paraître ce qu’ils ne sont pas ; les autres sont ce qu’ils paraissent ». Nos cadres ivoiriens cherchent, en effet, à se distinguer de l’immense majorité de leurs compatriotes. Ils ont du plaisir à développer des habitudes de consommation assez indicatives de leur vison du monde : voiture, complet veston cravate, menus et grands plaisirs de l’existence. Faîtes un saut dans les grandes salles de réception d’Abidjan, et vous remarquerez avec stupéfaction comment ils se lancent dans de folles dépenses, avec un train de vie d’enfer sans commune mesure avec leur rémunération. Assujettis pour la plupart au salaire, nos cadres ne font pas travailler l’argent, mais travaillent pour l’argent. Ils courent après l’argent et cherchent à en gagner à tout prix et parfois à n’importe quel prix. L’argent primant tout, le service des autres, sous l’angle de leur utilité sociale, peut attendre. A quand l’émergence ?
Nos cadres sont également absents des chantiers du développement. Qui passe le plus clair de son temps à courir après l’argent n’a plus que peu de temps à consacrer au développement. Et si, après tout et malgré tout, il y parvenait, ce serait au prix d’une débauche d’énergie fort préjudiciable. Cela use le corps, fatigue le cœur, dévitalise l’esprit. Cela explique en partie notre penchant à être plus consommateur que producteur, plus suiveur que créateur, plus imitateur que novateur. On ne peut privilégier l’inessentiel et l’argent et éprouver des sensations fortes pour un développement digne de ce nom.
Par ailleurs, nos cadres sont absents de la scène de l’histoire. Pourrions-nous un jour renverser la vapeur et reprendre notre juste place dans le concert des nations ? Pour finir, disons aux cadres ivoiriens ayant envahi le champ politique, qu’ils n’ont pas le droit d’oublier qu’ils constituent une partie de la fine fleur des élites de ce pays et qu’ils doivent de ce fait faire leurs les conseils de Max WEBER dans son célèbre ouvrage « Le savant et le politique ». Ils ont le devoir de ne penser qu’aux intérêts supérieurs du pays, en n’hésitant pas quoiqu’il puisse leur en coûter dans cette arène de gladiateurs qu’est la scène politique, à dire la vérité. L’émergence est à ce prix.
Par le Dr. ALEXIS GEORGES KOUNOUHO
lementor.net
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