Nouvelles Paradoxales d’Amérique – 1ère Partie : « Persistance Et Résurgence De La Question raciale »

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Un pays qui se relève de longues décennies de doutes et de douleurs a quelque chose d’étrange. Tout se passe comme s’il renaissait de ses cendres et se redécouvrait des couleurs printanières sauvées in extremis d’un insondable désastre. La force des grandes nations ne résiderait-elle pas dans cette capacité qu’elles ont de reprendre leur chemin vers le progrès, en trouvant dans leurs propres forces vives, les ferments d’une autocritique rigoureuse, positive et objective des failles de leur passé lointain et récent? Je suis de retour en Amérique du nord, après plus d’une année d’absence. L’hiver tarde à s’installer, cédant encore le pas aux miasmes de l’automne. Comme s’il y avait de nouveaux germes en travail dans la terre. Comme si, dans le secret des choses, couvait une renaissance nouvelle. Après la tragédie du 11 septembre 2001 et la terrible crise économique des subprimes en 2008, après les révélations sur les pratiques de tortures banalisées durant de longues décennies par la CIA au nom de la sacrosainte lutte antiterroriste, on a cru voir ce grand pays en déclin. Erreur, funeste erreur. C’est précisément lorsqu’elle est dos au mur que l’Amérique donne la mesure de son génie. Je suis frappé des contrastes que le pays d’Abraham Lincoln et de Barack Obama accumule. Quatre phénomènes politiques concomitants interrogent ma jugeote de visiteur réflexif: la résurgence et la persistance de la question raciale; la reprise phénoménale de l’économie américaine; la radicalisation outrancière du duel entre républicains et démocrates à travers le pays; la normalisation des relations entre les Etats-Unis et Cuba. Comment comprendre chacun de ces phénomènes sociopolitiques majeurs? Tel est l’objet des nouvelles paradoxales d’Amérique que je voudrais donner par la présente série de tribunes, écrites au lever du jour dans ce Maryland qui m’inspire tant en cette fin décembre 2014. Paradoxales, seront ces nouvelles, puisqu’elles visent à saisir l’art que l’Amérique a de vivre avec ses problèmes, de vivre de ses problèmes et de vivre pour surmonter ces problèmes. Peut-être accéderions-nous ainsi à la promesse de sens des Etats-Unis comme nation unique au monde, née comme le soulignait si bien la philosophe germano-américaine Hannah Arendt, de la proclamation originelle d’une loi ancrée dans la préservation des chances essentielles de l’avenir.

IRésurgence et persistance question raciale aux Etats-Unis

C’est une Amérique émue et fort angoissée que je retrouve en ce mois de décembre 2014. Trois hommes noirs et deux policiers sont tombés ces derniers mois sous les balles assassines de la haine raciale. Les clivages ont refait surface dans les discours, les médias, les postures quotidiennes. Des quartiers entiers ont brûlé. Des promesses de guerre civile généralisée ont fusé. Comme un réveil de vieux démons fatigués de dormir. La race est le véritable serpent de mer de la politique américaine. L’idée que l’humanité d’un homme doive être pensée à partir de la pigmentation de son épiderme eut ici de très graves conséquences. Comme en témoigne la célèbre controverse de Valladolid entre les prêtres européens Las Casas et Sépulvéda entre 1550 et 1551, la réponse à la question de la possession d’une âme ou non par les autochtones d’Amérique détermina le déclenchement de leur extermination exponentielle. Charles Quint, roi d’Espagne, voulait que la question de la différence raciale « se traite et parle de la manière dont devaient se faire les conquêtes dans le Nouveau Monde, pour qu’elles se fassent avec justice et en sécurité de conscience ». Il en résulta l’expulsion de la différence du champ de l’égalité politique entre hommes d’Occident et reste du monde. La sécurité de la conscience occidentale hégémonique se bâtit dans un véritable autisme envers l’Autre homme.Si l’Autre homme n’est pas mon semblable, je peux le traiter comme une chose. Je peux en disposer comme des autres matières premières de l’univers.

Le drame racial dans l’Amérique, ce fut d’abord l’éradication organisée par les colons venus d’Europe, des « Indiens » d’Amérique, aujourd’hui désigné par l’expression de native americans. Ce fut ensuite, pour alimenter les plantations industrielles que la main d’oeuvre indienne avait boudées, le triste commerce des esclaves noirs arrachés et déportés d’Afrique pendant plus de trois siècles. La race devint, avec la traite des Noirs, un problème métaphysique, puisque pour la première fois, à une échelle planétaire, des hommes étaient définitivement fait prisonniers de leur peau, dans leur peau et pour leur peau. La domination coloniale, vieux phénomène humain comme l’esclavage, prenait ici un tour spécial. Elle se fondait, longtemps avant la nazisme, sur une politique de la biologie qui niait autant la politique que la biologie. Traiter de sous-homme le nègre, c’était comme faire un simple constat dont sa peau était l’indice évident. On n’y voyait même pas un jugement de valeur, mais une simple description. Noir c’est noir. Dans une société à majorité blanche, être noir était visible. Etre noir, c’était être visible, visible et visé. Boris Vian l’a souligné avec raison: « Quand tout le monde est bossu, la belle taille devient une monstruosité ». Comment comprendre, devant l’incongruité des trois crimes de citoyens américains noirs récemment commis par des policiers américains en cette année 2014, qu’une telle aberration morale constitue encore le mental de nombreux membres de la communauté blanche américaine, près de dix ans après l’élection d’un noir à la présidence des Etats-Unis? 

Je fais l’hypothèse que le racisme résiduel et persistant de certaines corporations majoritairement blanches des Etats-Unis contre les populations latines et noires est l’ultime résistance du fascisme ségrégationniste américain devant l’irréversible mixité de cette nation. En effet, l’Amérique actuelle et future sera fortement métisse, avec une dominante noire et latino-américaine. L’électorat démocratique américain cesse d’être l’apanage d’une communauté humaine d’un leadership racial quelconque, pour devenir l’expérience d’une pluralité politique fragile, toujours à reconquérir, par une politique qui ne peut plus faire de la solidarité un luxe tardif de l’action publique. On doit comprendre, dans cette perspective politique profonde, les agitations ultimes du racisme atavique de ce pays. L’Amérique ne sera plus kidnappable par les derniers adeptes du Ku Klux Klan, que certains accents du Tea Party, l’extrême droite républicaine, extériorisent volontiers dans les lamentables logorrhées haineuses de Fox News. Qui donc peut dire que l’Amérique lui appartient, alors même que l’avenir et l’ouverture font partie de sa définition propre? Lors donc que le Président Obama, en phase avec l’esprit éternel de l’Amérique, qui est terre d’accueil, de libertés et de création de soi, officialise la naturalisation américaine de près de six millions de latinos américains en souffrance, c’est comme le coup de grâce qui tombe sur le coup des mythologues de la domination raciale blanche sur ce pays. La racisme américain est condamné à mourir, car l’Amérique lui sera plus que jamais dans son histoire longue, foncièrement incompatible. L’inexorable pluralité humaine constitutive de la génétique spirituelle de cette nation impose donc un choc traumatique aux derniers Mohicans de la politique raciale. Leurs crimes sont l’écho d’un profond et irréversible désespoir que la justice doit cependant absolument prendre en charge pour le contraindre au respect des droits non-négociables de la personne humaine. 

Pour résumer le paradoxe de la question raciale aujourd’hui aux Etats Unis, je dirais donc qu’elle resurgit parce que la politique raciale se sait condamnée à mort par l’irréversible mixité à l’oeuvre dans la nation américaine . Dans un ultime sursaut d’orgueil, la condamnée s’agite, afin de mériter davantage encore sa suprême onction. On peut donc encore se permettre, aujourd’hui, de citer avec raison le beau texte du philosophe allemand Georg Friedrich Hegel, décrivant l’Amérique au 19ème siècle.

L’Amérique est donc le pays de l’avenir où dans les temps futurs se manifestera, dans l’antagonisme, peut–être, de l’Amérique du Nord avec l’Amérique du Sud, la gravité de l’histoire universelle . C’est ce pays de rêve pour tous ceux que lasse le bric–à–brac historique de la vieille Europe. Napoléon aurait dit : “Cette vieille Europe m’ennuie”. L’Amérique doit se séparer du sol sur lequel s’est passé jusque là l’histoire universelle. »

L’idée des Etats-Unis d’Amérique, c’est précisément de penser l’homme en dépassant et dissolvant les clivages du sang, de l’ethnie, du sol pour célébrer la richesse d’un projet de vivre-ensemble dans un monde de liberté, de justice et de prospérité. L’Amérique a été conçue à écart des obscures divinités du nationalisme occidental. Toutes ses valeurs se préservent dans la loi fondamentale qui détermine les interactions humaines dans l’espace américain. La loi politique libère l’homme de son animalité instinctive et le situe dans la responsabilité pour soi et pour autrui. Passer à côté de cette vérité essentielle de l’Amérique, vérité d’une fraternité exigeante entre les hommes, c’est choisir clairement le camp de la vieille barbarie de tous les partisans de la mythologie identitaire à travers l’Histoire. L’Amérique vivante est donc le démenti répété de l’Amour au pouvoir de la Haine. Il n’y a au fond qu’une race humaine, semblable en sa folie comme en sa sagesse. Il n’est que de choisir ce que nous ferons, ici et maintenant, de notre part d’humanité. N’est-ce pas au fond aussi le sens de cette célèbre fête de Thanksgiving du 27 novembre 2014, où l’Amérique remerciait encore, comme depuis 1863 selon le voeu de Lincoln, la nature matérielle et spirituelle de l’Univers pour l’abondance de sa générosité? Il y a décidément en ce monde, des symboles qui ne trompent pas ceux qui en usent à bon escient. 

La suite de nos réflexions se portera sur trois autres aspects du paradoxe américain actuel: le regain économique, le duel médiatique républicains/démocrates et la normalisation diplomatique américano-cubaine. A suivre sur guillaumesoro.ci.

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi

Agrégé de philosophie, Washington DC, USA

 

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