Du Danger De L’alarmisme Chronique

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En philosophie politique, la « justice transitionnelle » désigne l’idée fondamentale des droits de l’homme selon laquelle dans un Etat en conflit, ou en reconstruction post –crise (généralement mais pas exclusivement), la reconnaissance des victimes et la réparation des dommages subis, conditionnent la paix, la stabilité : gage d’une véritable réconciliation, celle des Cœurs avec les Esprits.

Parmi les mécanismes de justice transitionnelle (la réhabilitation, la restitution, la garantie de non –répétition …), les commissions de vérité se positionnent comme l’un des outils les plus précieux pour établir le pont entre les bourreaux et les victimes dans la recherche de la vérité et la justice. Ce qui ne justifie pas la création dans le monde depuis 1974 selon le CIJT (Centre international pour la justice transitionnelle) d’une trentaine de commissions (Afrique du Sud, l’argentine, le Guatemala, le Rwanda, le Panama, la République Fédérale de Yougoslavie, le Monténégro, le Nigeria, la Sierra Léone, le Ghana le Pérou …). Dans tous ces pays ce dispositif s’est imposé comme une étape nécessaire pour passer « d’un passé divisé à un avenir partagé».

En pratique, en invitant d’une part les victimes à s’exprimer, s’extérioriser et d’autre part les auteurs d’exactions à avouer leurs forfaits, à se repentir publiquement lors d’un forum, ces commissions accompagnent les pays concernés dans l’écriture une nouvelle page de leurs histoires.

S’agissant de la Cote d’ivoire, le Président Alassane Dramane Ouattara, sensible aux aspirations légitimes de son peuple a demandé la mise sur pied en Avril 2011 d’une Commission de dialogue de réconciliation et de vérité (CDVR), représentative de toutes les couches sociales. Dirigée par M. Charles Konan Banny et subventionnée à hauteur de 16 Milliards de FCFA, elle avait pour mission de faire la lumière en toute empiricité sur les violences postélectorales.

Le lundi 15 décembre 2014, ladite commission rendait son rapport au Chef de l’Etat qui s’est donné un temps de réflexion et d’analyse.

Dans l’attente des conclusions de l’exécutif, nous n’avions pas pu rester indifférents à la sortie médiatique de M Sran Franck Kouassi, responsable de la communication et porte parole de Charles Konan Banny. N’est-il pas énigmatique de constater que celui qui est censé nous informer clairement sur les actions antérieures de la CDVR évoque subitement et parallèlement un acharnement politique pour qualifier les arrestations dont font l’objet les proches de son mentor ?

Ainsi dans ma présente contribution, je m’attèlerai à démontrer la vacuité de la thèse de l’acharnement politique, à travers (I) le défaut de communication comme syndrome d’un (II) alarmisme chronique électoral.

I – La priorisation de l’accessoire sur le principal comme défaut de communication .

Entendons nous bien, l’échec de la CDVR (si échec il y a) n’est pas une fatalité (au sens propre du terme ). Dans une résilience collective un pays peut rebondir quelque soit son degré d’effondrement. En revanche, quand on à la lourde responsabilité de porte- parolat d’une institution aussi sensible (qui s’est donnée trois semaines d’audiences pour rendre compte, à travers les récits de victimes et d’auteurs d’exactions issues de plusieurs années de conflit ),il faut faire preuve de prudence et de courage en acceptant de monter au créneau pour donner des réponses tangibles aux citoyens qui ne demandent qu’une chose : l’information .

Comment réconcilier si on ne peut pas se pardonner, et comment se pardonner si on ne peut pas s’expliquer ? .L’explication (information /communication) est donc la clé de voute du pardon. De ce fait, au nom de l’amour de la patrie, dans une logique de respect, (de ce peuple meurtri, qui par la voix de son dirigeant a bien voulu confier sa destinée à un groupe de personnes), M. Sran Kouassi, se devait avant toute intervention publique sur une autre thématique de faire préalablement le point sur les exploits accomplis, les difficultés rencontrées, dans le cadre de la CDVR afin d’éclaircir l’horizon cognitif des ivoiriens. A défaut de procéder ainsi, il aurait fallu privilégier le silence et attendre humblement les déductions gouvernementales. En confondant vitesse et précipitation, il met la charrue avant les bœufs, car ne l’oublions pas, le même Sran avant de porter la parole du « nouveau Banny »(candidat déclaré à la présidentielle 2015, aujourd’hui) , l’avait déjà portée pour l’ « ancien Banny » , (Président de la CDVR ,hier ) . Dès lors, de quelle oreille devons nous entendre ce communiqué du 21 décembre 2014 publié sur Abidjan.net ? Parle t’il au nom de la CDVR (intérêt général) ou au nom de son candidat (intérêt personnel) ? Sous quelle étiquette le rangerions-nous ? C’est cette substitution stratégique des rôles qui complexifie davantage l’entendement du peuple. J’estime pour ma part que ce « déni d’information  » est d’autant plus cruel qu’il faut mettre fin à ce vide encombrant et révélateur.

Mais au fond, que nous révèle cette confusion ?

II – l’alarmisme chronique électoral.

Sigmund Freud nous enseigne que c’est par « le refoulement » que l’être humain extirpe de sa conscience les comportements qui sont proscrits par la société .Mais ce rejet nous dit il n’est pas définitif dans la mesure où le « moi », résistant fait perpétuellement face aux tentatives de retour de la chose refoulée qui siège désormais dans l’inconscient. C’est cette altercation régulière en l’homme qui provoque inéluctablement des anomalies comportementales (les oublis, lapsus et autres actes manqués).

A titre illustratif, intéressons nous aux propos de M Sran Kouassi lors de ce point de presse .D’entrée de jeu, il pose que « ces convocations visent l’entourage d’un homme qui est depuis longtemps perçu comme l’adversaire qu’on redoute » .Ces convocations fonctionnent indubitablement comme une intimidation, des tracasseries, voire des menaces pour décourager les ambitions de M. Charles Konan Banny. En cela, elles constituent une dérive inacceptable » .Il va plus loin : «  ce harcèlement porte la marque de la violence exercée par les instruments de la république, la police en l’espèce ! A l’évidence, notre pays n’en a donc pas fini avec l’arbitraire, le mensonge et la violence d’Etat. Ce n’est pas un bon signe. Avant de conclure comme suit : « Ces pratiques indignes, donnent une idée du niveau de démocratie, des droits et libertés en Côte d’Ivoire, et c’est une alerte dramatique pour notre pays qui s’échine à sortir de la plus grave crise de son histoire, c’est une alerte dramatique pour la démocratie

Par ailleurs, le lundi 7 janvier 2013 à Bingerville avant le dépôt de sa candidature aux élections municipales, il accusait en ces termes « On nous a traités de tous les noms. Le Centre des Impôts de Bingerville au sein duquel se trouvent des agents de la mairie m’a donné la preuve que je suis victime d’un complot. On veut m’empêcher d’être candidat. » 

A l’analyse, ces deux contextes bien que différents, semblent témoigner d’une même réalité : celle de la peur, de l’anxiété, de l’agitation perpétuelle comme le stipule les mots en gras ci-dessus.

En effet, MM. Arthur Kouassi Aloco, Sylvain Hoka et Léon Konan Koffi, trois proches du premier ministre Charles konan Banny sont objets de convocations policières depuis le milieu de la semaine dernière aux motifs suivants : Blanchiment d’argent, enrichissement illicite et détournements de deniers publics.

A notre connaissance ceux qui sont mis en cause ne le sont pas pour des propos séditieux, leurs implications politiques  ou une quelconque atteinte à l’intégrité du territoire ou à la sureté de l’état. Où donc se trouve l’acharnement politique ? Ce mélange malencontreux entre le juridique et le politique vise à diaboliser le pouvoir en place après avoir semé les graines de la psychose chez l’électorat.

Malheureusement, la rhétorique enfiévrée rappelle parfois, (hélas !) des traumatismes qui obscurcissent davantage le chemin de la concorde. « Les ponts vont tomber», « le pays va bruler », « ça va chauffer », « une bombe va exploser dans les minutes qui suivent », et quoi encore ? Ce n’est pas en sonnant le tocsin qu’on rassemble .Ce qui nous emmène à dire que la tendance frénétique (chez M .Sran kouassi) à la «bouc -émissarisation » politique est symptomatique d’une crise d’alarmisme chronique suscitée par le manque de maitrise émotionnelle.

C’est en grande pompe que la Cote d’ivoire, fraichement sortie de l’abime à accueilli avec espérance le 29 septembre 2011, l’investiture de la CDVR .Etant donné que, l’art politique commande que nos actions parlent plus haut que nos paroles, quand on décide de faire la politique il faut la faire sérieusement. La communication est au cœur de la politique. Ainsi, au delà de ce qui s’apparente à du « storytelling »[1] M .Sran Kouassi gagnerait à produire des éclaircissements limpides afin de nourrir le débat public. L’idéal n’étant pas de se fragiliser avant le « coup d’envoi ».

Une contribution de Lawrence Atiladé,

Doctorant en Sciences Politiques

Paris, France   

[1] Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte, 2008,247 p

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