Pourvoi En Cassation Du Parquet Dans L’affaire Des Pro-Gbagbo : Faut-Il y Voir La Main Du Pouvoir ?

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On se doutait bien que le verdict prononcé contre Simone Gbagbo et ses 82 coaccusés ne manquerait pas de susciter la polémique.  Comme il fallait s’y attendre donc, la défense n’a pas traîné les pieds pour se pourvoir en cassation. C’est même le contraire qui  aurait plutôt été étonnant. Pour des accusés qui ont rejeté en bloc  tous les chefs d’accusation,  le pourvoi en cassation introduit par la défense n’est qu’une suite logique dans la démarche de ceux-là qui ont pris le parti de prouver l’innocence de la Première dame et de ses compagnons d’infortune, dans  le cadre de ce procès. En revanche,  ce qui peut être considéré comme une surprise, c’est le pourvoi en cassation déposé par le Parquet de Côte d’Ivoire, rejoignant ainsi la défense. En effet, le parquet a estimé que la loi « a été mal dite, mal appliquée concernant Simone Gbagbo » et ses coaccusés. Inutile de préciser que cette réaction du parquet apporte à souhait de l’eau au moulin de ceux qui, depuis le début du procès, n’ont cessé de dénoncer une justice des vainqueurs. Que faut-il   penser de cette démarche du parquet ivoirien ? Au regard  de la diligence avec laquelle la Justice ivoirienne  a conduit le dossier ô combien délicat des pro-Gbagbo et en prenant en compte l’accueil plutôt positif que les Ivoiriens dans leur majorité ont réservé à ces verdicts, on peut légitimement  penser  que cette attitude du parquet relève simplement de l’ordre normal des  choses, pour une Justice qui affirme son indépendance  et qui  tient à donner les preuves de son impartialité.  C’est à l’honneur de la Justice ivoirienne. C’est aussi un bon point pour  le régime d’Alassane Dramane Ouattara qui montre ainsi qu’il respecte le principe de la séparation des pouvoirs, comme cela se passe dans les pays réellement démocratiques. Seulement voilà : on peut craindre que tout cela ne soit en réalité qu’une mise en scène savamment orchestrée par les alchimistes du pouvoir pour redorer le blason de ADO à la veille de la présidentielle et mettre davantage en relief, pour les bailleurs de fonds surtout, ses qualités de démocrate bon teint. D’ailleurs, cette décision du parquet de se pourvoir en cassation, parce qu’estimant que les peines sont excessives, est difficile à comprendre par beaucoup de personnes qui  y voient plutôt la main du pouvoir.

La justice moderne a des limites qui la rendent inopérante

Il reste toutefois que cette attitude du parquet n’est pas la première à mettre   mal à l’aise le tribunal. On se souvient en effet que lors des réquisitoires, le parquet avait demandé  une peine de dix ans d’emprisonnement pour l’ex-Première dame, Simone Gbagbo. Contre toute attente, le tribunal a estimé que la réquisition du parquet était trop clémente au regard des faits reprochés à l’accusée. Le tribunal avait donc choisi de doubler la peine de Simone Gbagbo. Cette discordance a-t-elle frustré le parquet qui décide à son tour de se ranger du côté de la défense ? C’est fort probable. Une décision contre nature qui n’aurait pour finalité que de mettre à son tour le tribunal dans l’embarras, même si cela doit profiter à l’accusé ou même créer la polémique au sein de la population. Rien vraiment n’est impossible dans ce pays où l’évidence est parfois sujette à controverse et où le sang des victimes de massacres est, sans remords,  comparé à du bissap* pour couper court à toute démarche pouvant à la longue s’avérer embarrassante pour les auteurs. Et dans ce pays où tout est possible, le déni des faits est la chose qui prospère le mieux. C’est ainsi qu’on a entendu les avocats de la défense affirmer sans sourciller que « le dossier est vide. » Ce qui, en termes clairs, signifie simplement que personne n’a jamais été tué, que la tuerie d’Abobo n’a jamais eu lieu, ou, si elle a eu lieu, qu’elle a été commise par des OVNI, mieux, qu’il n’y a jamais eu de crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara n’a jamais été élu président de ce pays et donc Simone Gbagbo est toujours la première dame. 

Il faut le reconnaître : Alassane Ouattara a  probablement fait beaucoup d’efforts pour garantir aux prévenus un procès juste et équitable.  Tous les Ivoiriens de bonne foi peuvent le reconnaître, du reste, depuis l’annonce du verdict. Mais face à tous ces dénis de la réalité, face à la récusation de ce qui est pourtant  désormais partie intégrante de l’histoire de la Côte d’Ivoire, on se demande si ADO a vraiment été bien inspiré de recourir à la Justice moderne pour juger ceux-là qui avaient choisi d’écrire l’histoire de ce beau pays en lettres de sang.  Car, comme on le sait, la justice moderne a des limites qui la rendent inopérante, voir dangereuse dans un tel procès. L’une de ces tares est que celui qui accuse doit apporter les preuves de ce qu’il avance. Chose absolument difficile dans un cas de génocide où les massacreurs ne laissent jamais de témoin ni de preuves derrière eux. Un tribunal inspiré du modèle de ceux que le Rwanda a mis en place après le génocide (les gatchacha), n’aurait permis à aucun criminel de nier ses actes, de même qu’il n’y aurait aucune  opportunité pour un parquet de se pourvoir en cassation.    Un tel tribunal n’aurait-il pas été mieux indiqué pour le drame ivoirien ? Il y a de quoi s’interroger.

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