Interview-Pr Mariatou Koné (DG du PNCS) : « L’indemnisation des victimes commencera par ceux qui ont perdu des parents »

0
5

Abidjan, 15 juil (AIP) – Dans une interview accordée à l’AIP, la présidente du Programme national de cohésion sociale, Pr Koné Mariatou, fait le bilan de ses activités et promet le début de l’indemnisation des victimes par ceux ayant perdu des parents.

Mme La Directrice générale, l’opération de recensement des victimes devrait prendre fin le 30 juin. A ce jour, l’opération a-t-elle réellement pris fin ? Combien de victimes ont pu être recensées à cette occasion ?

Je vous remercie. Effectivement, la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (CONARIV) a lancé un message, disant que les opérations de recensement devraient prendre fin le 30 juin. Effectivement, ce n’est pas qu’il n’y a plus de victimes, mais depuis le 30 juin, les opérations se sont arrêtées. La question sous-jacente, c’est combien de personnes ont été recensées ? Je dois vous avouer qu’à ce jour, il est difficile de produire un chiffre fiable. Dans la mesure où le recensement s’est opéré sur l’ensemble du territoire national, Il faut que les derniers chiffres remontent. Et puis, les associations de victimes ont procédé à des recensements. Le Programme national de cohésion sociale a reçu des victimes. Donc, nous avons recensé des victimes. La CONARIV dans ses démembrements au niveau national, a aussi recensé des victimes. Sans compter qu’il y a des organisations de la société civile  qui détiennent des listes de victimes, ainsi que la CDVR qui, en son temps, avait recensé des victimes.

La Cellule spéciale d’enquête et d’instruction avait reçu des victimes. La Commission nationale d’enquête avait également reçu des victimes. La Chambre de commerce et d’industrie, parce que souvent on parle de personnes physiques, mais il y a aussi les personnes morales, les entreprises, etc. Il y a donc plusieurs listes de victimes qui sont à consolider. C’est-à-dire que nous devons mettre toutes ces listes ensemble, tous ceux qui détiennent une liste, y compris les agents du Système des Nations Unies. Nous devons centraliser toutes ces listes, pour que nous puissions dire qu’aujourd’hui, nous avons tel nombre de victimes.

A ce jour, ce ne serait pas juste d’avancer un nombre. Mais, je peux vous dire que la CDVR avait annoncé 74 000. Je ne peux pas avancer un chiffre précis, dans la mesure où nous n’avons pas encore fait la centralisation des listes. Et dans la mesure où nous savons qu’il y a des victimes qui n’ont pas pu se déplacer. Des personnes pour qui, il va falloir peut-être ouvrir une autre liste, je ne sais pas comment. Mais je ne peux pas en parler ici.

Quelles sont les victimes qui seront prises en compte pour l’indemnisation ? Celles  de toute la crise 2002-1011, ou uniquement celles de la crise postélectorale de 2010-2011?

Nous sommes dans un processus. L’administration c’est une continuité. La CDVR a fait un travail où elle a identifié les causes de notre crise, depuis 1990. Donc les victimes à prendre en compte sont celles de depuis 1990.  En 1990, ceux qui ont eu des grabuges avec l’instauration du multipartisme en Côte d’Ivoire. En 1995, il y a eu le boycott actif avec des morts et des préjudices. En 1999, la Côte d’Ivoire a connu son premier coup d’Etat. On a vu également ce que cela a coûté à notre pays en termes de vie humaine, de perte en biens matériels, etc. En 2000, à la faveur des élections, on a également vu ce qui s’est passé. En 2002 également. Donc les personnes à prendre en compte, c’est depuis les victimes de 1990. Et pour décrire les crises en Côte d’Ivoire, nous, nous remontons en 1990.

De façon concrète, Mme la Directrice, comment se fera l’indemnisation des victimes, quel en sera le mécanisme ?

Concrètement, il y a plusieurs étapes. Normalement, dans le processus global, il y a d’abord l’identification des victimes, l’établissement de la liste consolidée. Parce qu’il y a des personnes qui se sont fait recenser à plusieurs endroits. Donc il faut pouvoir retirer les gens qui se sont fait enrôler plusieurs fois. Après, il faudra que chacun apporte la preuve. Parce que jusque-là, c’est des présumées victimes. Chacun se déclare victime, vient avec ce qu’il pense, pour justifier sa qualité de victime. Mais il y aura un texte de loi qui va nous indiquer qui est la victime qui doit être prise en compte par le fonds spécial. Tout le monde est victime, mais qui sont les victimes qui doivent être prises en compte par le fonds spécial ?

Puis, viendra l’étape où chacun vient avec la preuve, conformément au texte de loi qui va être produit. Sur la base de cette preuve, on aura donc une liste de victimes effectives, conformément au texte de loi. Et c’est seulement à partir de cela, que nous allons passer à la phase de réparation.

Mais, pour les réparations, il y en a plusieurs types. Pour certains, ça doit être une réparation symbolique, la reconnaissance de la nation avec un franc symbolique. Pour d’autres ça doit être le ‘‘Yako’’, parce qu’il y a des victimes qui n’attendent qu’on leur demande pardon. Pour d’autres, c’est une prise en charge médicale. Parce que vous savez, les crises sont survenues depuis longtemps, mais il y a des gens qui ont été amputés, qui ont encore des séquelles. Il y en a qui ont des balles dans le corps, des traumatismes, des troubles psychologiques, etc. Donc, pour certains, ça doit être une prise en charge médicale, pour d’autres, une prise en charge psychologique. Pour d’autres encore, il sera question de leur remettre une somme forfaitaire, parce que, quelqu’un qui a perdu son parent, est-ce qu’on peut payer la vie de quelqu’un ? Donc, même si on lui donne des milliards, on ne peut pas réveiller la personne qui est décédée. Donc c’est vraiment quelque chose de symbolique qu’on va remettre à celui qui a perdu un être cher. Et c’est surtout par cette catégorie-là que nous allons commencer l’opération d’indemnisation.

Au niveau des finances encore, il y a quelque chose de symbolique qu’on va donner à tous ceux qui ont été pillés. Parce que le gros lot que nous recevons pour l’instant, ce sont des gens qui ont perdu des biens matériels, par des actes de vandalisme, de pillage. Donc, ceux-là, vont recevoir symboliquement quelque chose.

Ensuite, il y a la réparation communautaire. Il y a des villages entiers qui ont été détruits, ou qui ont perdu des biens, qui ont été victimes d’atrocités. Dans ces cas, qu’est-ce qu’on peut faire ? C’est peut-être apporter la compassion, la reconnaissance de l’Etat, à travers, par exemple, le bitumage d’une route, l’électrification si le village n’est pas électrifié, la construction d’une infrastructure sociale ou économique, la réhabilitation de maisons. Ce sont ces genres de choses qu’on pourrait faire au niveau des réparations communautaires.

Votre structure a été créée il y a trois ans pour œuvrer au renforcement de la cohésion sociale, mais on constate que les conflits fonciers et entre agriculteurs et éleveurs persistent notamment à l’Ouest et au Nord du pays. Alors on est tenté de se demander quel est votre le bilan des activités que vous avez menées en faveur de la paix et de la cohésion sociale ?

Sur le bilan, je pense que nous ne pouvons pas nous juger. Mais le baromètre c’est les Ivoiriens. Je pense que le bilan est positif. Dans la mesure où il fut un moment où il y avait des conflits chaque jour. Les conflits continuent, comme vous le  dites avec les conflits fonciers et autres. Mais, les conflits se sont atténués. Nous parcourons l’ensemble du territoire. Les conflits fonciers, faisant allusion aux agriculteurs-éleveurs, entre agriculteurs et les populations, à propos de la gestion des terres, de lots, etc. Les conflits, de mon point de vue, se sont atténués. Il y a des jours où on ne pouvait pas circuler. Aujourd’hui, on peut circuler sur l’ensemble du territoire national. Il y avait des catégorisations qui se faisaient, en tout cas de façon ouverte, qui ne se font plus. Avant, il y avait les pros-Gbagbo, les pros-Ouattara. Celui-là c’est un dioula, etc. Même si cela se fait, ce n’est plus au grand jour comme par le passé. Cette stigmatisation se fait peut-être sous cape, mais pas de façon visible comme cela se faisait à un moment donné. Pour moi, ce sont des résultats que nous pouvons inscrire à nos actifs.

Il y a également le fait que beaucoup de nos frères étaient exilés. Mais si vous regardez, sur 240.000 exilés, les 2/3 sont rentrés. Tout cela, ce sont des actions visibles mêmes souterraines que nous menons, pour que chaque Ivoirien puisse regagner son pays.  Aujourd’hui, il y a des gens qui sont à la frontière du Libéria et autres, prêts à rentrer, mais le virus Ebola avait freiné leur arrivée. Ils frappent à la porte, et bientôt ceux-là vont rentrer. Nous travaillons avec le SAARA, le service qui est au ministère des affaires étrangères. Régulièrement, les réfugiés rentraient au pays. Mais à cause de cette crise d’Ebola, certains sont encore là-bas.

Toujours à propos des exilés, vous voyez, le gros lot rentre ; même au niveau des cadres politiques, certains sont en train de renter. On a vu Marcel Gossio qui est rentré, et qui est même passé non seulement à l’écran, mais il s’est inscrit dans le train de la cohésion sociale et de la paix dans sa région. Il a passé un message, nous étions en mission avec l’ADDR, et les gens sont venus déposer des armes. Tout cela, ce sont des actes qui sont positifs, qui montrent que chacun a compris la leçon, en matière de paix et de cohésion sociale. Donc, le bilan, nous pouvons le multiplier comme ça.

Nous avons des forums, nous faisons le renforcement des capacités, beaucoup de sensibilisations. Nous avons au Programme national de cohésion sociale, élaboré une cartographie. C’est-à-dire la carte de la Côte d’Ivoire avec les différentes zones de conflits. Donc, si vous nous rendez visite, on pourra vous la montrer. Au début, il y avait beaucoup de crises, mais aujourd’hui, cela est en train de finir. C’est une carte que nous actualisons au fur et à mesure. Voilà, c’est tout ce que je peux dire. Quand nous sentons qu’il y a la tension qui couve quelque part, toute suite, nous essayons, à travers la chefferie traditionnelle, le corps préfectoral, d’éteindre ce feu.

Vous demandez aux Ivoiriens de toutes les couches sociales de s’engager dans la paix. Pourtant, on le dit souvent au pays : « Si les hommes politiques veulent la paix et la réconciliation, il y aura la paix et la réconciliation ». N’avez-vous pas de message aux politiciens ?

Mon message aux politiciens, d’ailleurs, avant de répondre à cela, je vous dis que nous avons commencé la tournée avec la presse, et nous allons continuer avec les hommes politiques. Mon message à leur endroit, qu’ils s’inscrivent vraiment dans la paix. Parce que si aujourd’hui ils sont forts, ils se reconnaissent comme leaders de partis politiques, maires, députés, sous une bannière politique, c’est parce qu’ils ont des militants et que le pays est en paix. Mais qu’est-ce qu’un leader politique sans militants ? La politique qu’ils sont en train de faire, c’est pour les Ivoiriens. Mais faire la politique pour les Ivoiriens, il faut que ceux-ci soient en paix. Si les Ivoiriens ne sont pas en paix, ils ne peuvent pas faire leur politique. Qu’ils pensent à eux-mêmes, à la Côte d’Ivoire. Parce que le travail qu’ils font, c’est un travail pour la Côte d’Ivoire. Mais quand j’aime mon pays ou mon village, je ne le montre pas avec la main gauche. Qu’ils soient des artisans de paix, se mettent ensemble pour la construire.

Qu’ils comprennent que la politique est démocratique. Les élections doivent être démocratiques. La politique, c’est un jeu, comme le jeu d’awalé, de dame. J’ai perdu, tu as gagné, on continue de vivre ensemble. Si dans leurs points de vue, il y a des dysfonctionnements qu’ils ne comprennent pas, qu’ils fassent comme nous l’a recommandé le président Gbagbo : « Asseyons-nous et discutons ». Si on s’assoit, on peut lever les obstacles, donc on pourra « vivre ensemble », comme le recommande le président Ouattara.    

Nous souhaitons que tous les Ivoiriens, quel que soit le lieu où ils se trouvent, tissent la toile, pour que la paix soit définitive dans notre pays. Pour que chaque Ivoirien soit un artisan de paix. Si je suis dans la paix, et que je vois quelqu’un allumer ne serait-ce qu’un foyer de violence, je dois aider la personne à éteindre le feu. Pour que nous ne vivions plus avec la guerre dans notre pays.

Pourtant des hommes politiques ayant désormais des mandats dans certaines institutions, qui les obligent à un devoir de réserve, ne se gênent pas souvent à se fendre de déclarations tendancieuses. Ne pensez-vous pas qu’il serait bon que, sous l’auspice du PNCS, un texte soit pris pour éviter ce genre de dérive ?

Vous avez parfaitement raison. Je fais beaucoup de choses avec l’ONUCI et les organisations de la société civile et autres ONG. Nous sommes dans un processus depuis le mois de décembre. Nous nous adressons aux leaders politiques, au corps préfectoral, jeunes, à la chefferie, pour que chacun s’inscrive dans le train de la paix. A la faveur de cette activité que nous menons, sur les élections apaisées, nous avons, sur la proposition des leaders eux-mêmes, proposé qu’il y ait une charte de bonne conduite, signée par tous les leaders de partis politiques, qui participent à tous à nos réunions, à la plate-forme que nous avons créée. Mais, ce que nous avons dit, et sur lequel nous avons insisté, c’est qu’il ne s’agit pas d’un code de bonne conduite pour dire qu’il y en a un, comme cela a été le cas par le passé. Il faut que chacun respecte son engagement, sa signature. Être citoyen, c’est également cela. C’est celui qui pense à son pays. J’ai apposé ma signature, et je dois respecter ma parole. Respecter sa parole, c’est ce qui doit accompagner le code de bonne conduite, qui est en cours d’élaboration. Et vous serez appelés, je pense, pour la signature.       

Pour terminer, Mme la Directrice, vous avez été récemment honorée par la prestigieuse Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, à travers l’exposition « 40 femmes diplômées de l’EHESS, qu’ont-elles fait de leur diplôme ? », du 15 au 19 juin dans les locaux de l’établissement. L’exposition mettait en valeur 40 femmes ayant obtenu, entre 1952 et 2015, au moins un des diplômes délivrés par l’Ecole, et votre portrait en faisait partie. Toutefois, vous avez très peu réagi après cette distinction. Pouvez-vous aujourd’hui nous dire vos impressions à ce sujet ?

C’est un sentiment de fierté, pour moi, mais également pour mon pays. Parce qu’à travers moi, c’est la Côte d’Ivoire qui est honorée, puisque c’est le seul pays sur le continent noir qui a reçu cette distinction. Donc c’est un sentiment de fierté. Je crois que l’Etat en a mesuré la portée, c’est pour cela qu’en conseil des ministres, une délégation a été désignée pour m’accompagner pour recevoir ce prix. D’ailleurs, sur la note qui a été faite sur la photographie là-bas, cela va rentrer dans l’histoire. Ils ont mis en quête de l’excellence. Il faut toujours bien faire ce qu’on vous demande de faire. C’est ce que je retiens. C’est ce que le président Houphouët disait : « chaque ivoirien peut servir et doit servir son pays, à quelque niveau que ce soit, pourvu qu’il y mette du sien, qu’il s’y investisse ». C’est ce que j’ai essayé de faire, que j’essaie de faire au quotidien, y compris au Programme national de cohésion sociale. Faire en sorte qu’on obtienne des résultats.

Interview réalisée par la rédaction de l’AIP

AIP

Auteur :

Source :

Commentaires facebook

Mettez votre commentaire

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here