Enquête-Traites des jeunes filles en Côte d’Ivoire : au cœur d’un crime sournois, aux multiples visages

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AIP, 20 juil(AIP)- Proxénétisme, pires formes du travail des enfants, esclavage. En Côte d’Ivoire, pays phare de  l’Afrique de l’Ouest francophone, le phénomène de la traite des jeunes filles fait rage. En provenance essentiellement de pays de la sous-région, tantôt appâtées par de fausses promesses de travail dans l’eldorado éburnéen, tantôt victimes de leur naïveté, ou même enlevées, elles se retrouvent piégées, sans repère ni soutien, dans les filets de véritables réseaux mafieux. A travers les mésaventures de cinq filles, enquête sur un crime sournois aux multiples visages, qui sévit tranquillement.

Le 6 mars  2015 au siège de l’ONG Caoequiva à Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Dame Djenéba, toute en larmes, retrouve enfin sa fille KM, 8 ans, victime depuis trois ans de maltraitance et d’exploitation abusives par une de ses tantes partie la chercher à l’âge de 5 ans au Mali pour, selon elle, la scolariser à Abidjan. Une atmosphère étreinte d’émotions, qui marque l’épilogue d’une procédure entamée il y a quatre mois en arrière.

11 Novembre 2014. Il est presque 20 heures quand KM, fillette de 8 ans, seule et affamée, déambule aux abords des locaux de l’Agence ivoirienne de presse (AIP) au Plateau (Abidjan). Dans sa main droite, un petit morceau de pain qu’elle vient de piocher dans une poubelle.

Visage creux aux yeux jaunâtres et larmoyants, un corps frêle dans une robe        au tissu rêche, sombre et délavée, elle est dans un état crasseux qui reste bien visible par ses cheveux courts poussiéreux malgré la tombée de la nuit.

La peau sèche et les pieds dans les sandales, elle est recueillie aussitôt par les derniers agents de l’AIP encore au bureau. Après l’avoir mise en confiance en lui donnant à manger, la petite fille, naguère apeurée, s’ouvre peu à peu à ses bienfaiteurs, qui se rendent compte très vite qu’ils ont affaire à un cas de fugue pour maltraitance. Car selon KM, elle s’est enfuie de chez sa tante à Abobo où elle vivait parce que maltraitée par cette dernière qui l’affame, et la contraint aux travaux domestiques sans repos, mais aussi à la vente de jus de fruits. Chose plus grave, c’est qu’elle était régulièrement battue par sa tante.

Pour mettre fin à cette vie infernale, elle décide alors de s’enfuir et de trouver refuge chez une  autre parente à Anyama, commune voisine au nord d’Abobo. Mais ne connaissant pas la ville, une fois sur le boulevard principal d’Abobo, elle se dirige plutôt vers le sud au lieu du nord. Une marche à l’inverse qui la conduit à Adjamé, une autre commune voisine d’Abobo mais du côté sud. Perdue, sans repère, elle se retrouve à déambuler dans les rues de la ville commerciale, fouillant les poubelles pour se nourrir. Une errance qui, après trois jours passés à la belle étoile, la conduit au Plateau, quartier administratif et des affaires d’Abidjan.

Après ce récit  pathétique de la gamine, les agents de l’AIP décident de la conduire à la sous-direction de la lutte contre la traite des enfants et de la délinquance juvénile de la police nationale, sise à la préfecture de police d’Abidjan au Plateau. Une fois là-bas, les agents en poste affirment ne pas pouvoir la garder pour la nuit, car ce service n’est pas encore équipé à garder les enfants pendant ce temps. Alors, c’est le lendemain, 12 novembre 2014, que la petite KM a est accueillie par ce service de police, qui la réfère par la suite à l’ONG Cavoequiva, une organisation engagée dans la promotion du bien-être et la défense des droits de l’Homme et en particulier ceux de l’Enfant et de la Femme.

Dès les premiers moments passés par la fillette au centre de transit communautaire de l’ONG, les experts des lieux, habitués à ce genre de cas, pensent savoir qu’elle a été victime  d’abus de confiance et de fausses promesses de sa tante vis-à-vis de ses parents. « Il y a plein de filles qui se retrouvent dans cette situation, cette fille n’est pas la seule. C’est un cas de traite de personne « , affirme un responsable de l’ONG. Des propos qui suscitent en nous intérêt et curiosité pour mener une investigation plus approfondie sur cette question de traite des jeunes filles en Côte d’Ivoire, dont les cas les plus récurrents sont ceux de fausses promesses.

Entre abus de confiance et fausses promesses 

Quatre mois plus tard, le temps s’est écoulé, KM, plus épanouie que la dernière fois avec un embonpoint plus affirmé, a repris confiance et sérénité au centre de transit communautaire de l’ONG Cavoequiva, où elle joue, toute souriante, avec ses nouvelles amies qu’elle a trouvées sur place. Elle suit même des cours d’alphabétisation de base. Mais surtout elle a eu le temps de parler, d’être écoutée, de raconter son histoire, sa mésaventure.

En effet, selon le président de l’ONG Caoequiva, Irié Bi Tra Clément, il ressort de l’écoute de KM que sa tante en question est une parente à son père. Cette dernière, qui s’était rendue au Mali, son pays, pour une cérémonie familiale a convaincu le père de KM  de lui laisser sa fille, afin qu’elle l’emmène à Abidjan pour la scolariser. Djénéba, la mère de la petite, qui vit désormais à Garalo dans le département de Bougouni au sud du Mali, n’y voit pas d’inconvénient. KM n’a que 5 ans à cette période.

Mais une fois au bord de la lagune Ebrié, la petite ne verra jamais le chemin de l’école. En lieu et place de la scolarisation promise, KM se voit utilisée à d’autres fins : vaisselle, lessive, vente de jus de fruits, etc. Au bout de trois ans de corvée, le petit corps de la fillette, qui a désormais 8 ans, n’arrive plus à supporter la violence physique dont elle régulièrement victime de la part sa tante. « J’ai été  maltraitée par ma tante et je ne veux plus retourner vivre avec elle (…) ; elle me battait beaucoup, je ne mangeais qu’une fois par jour », a-t-elle relaté.

Comme elle, deux jeunes nigérianes que l’on nommera Sophy et Angela se sont retrouvées dans une situation similaire, arnaquées, piégées dans les filets d’une proxénète dans le Nord ivoirien.    

En effet, Sophy, 29 ans et mère d’une fille, et Angela, 15 ans, rencontrées début mai au centre Caoequiva, vivaient toutes deux à Karaba, ville de la région de Kaduna au Nigéria. Issues de familles pauvres, elles sont approchées en octobre 2014 par une compatriote vivant en Côte d’Ivoire qui leur propose de les envoyer dans son pays de résidence pour vendre dans son supermarché contre rémunération. Une offre que les deux familles acceptent.

Cette dame, nommée Rose Mary James, établit les pièces administratives des deux jeunes filles, qu’elle fait quitter le Nigéria à moto en passant la frontière du Bénin, avant d’emprunter un car pour la Côte d’Ivoire. Une fois sur place, elles  sont conduites dans une zone minière de Korhogo (Nord, région du Poro), où au lieu d’être dans le supermarché comme prévu, elles sont placées dans des maisons closes, où on leur remet des préservatifs. Leurs papiers leur sont immédiatement retirés. Elles sont forcées à se prostituer. C’est le début de la désillusion pour Sophy et Angela.

La proxénète les oblige  à « travailler dur » afin de lui ramener la somme de 10.000 F CFA chacune par jour à raison de 1.000 F CFA par client. Chaque matin, elle passe faire son encaissement. Selon elle, les filles devaient à travers la vente de leur corps lui rembourser chacune, la somme de 1,5 million de FCFA, avant de retrouver leur liberté, ce qui représenterait les frais de voyage et de séjour qu’elle a déboursés pour les faire venir en Côte d’Ivoire.

Ainsi, Sophy et Angela seront exploitées sexuellement  jusqu’en janvier 2015, quand un homme va dénoncer Rose Marie et ses activités auprès des forces de l’ordre locales. Grâce à l’implication de la police des Nations Unies en Côte d’Ivoire (UNPOL)  et à l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), elle a été arrêtée et incarcérée à la  prison de Korhogo.

Ses victimes, Sophy et Angela, ont quant à elles dans un premier temps confiées à une une famille volontaire à Korhogo par le Pool genre de l’ONUCI et l’Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) qui les ont assistées puis référées au centre de transit communautaire de  Cavoequiva en mars 2015. Quant à Rose Mary James, elle était encore dans l’attente de son procès en mai 2015.

« Je regrette d’avoir fait confiance à cette dame », affirme, l’air triste, Sophy, une fille de teint claire et au regard vif qui retrouve peu à peu le sourire. Elle a le moral haut malgré les péripéties de sa récente  vie de prostituée qui l’ont plongée dans l’engrenage d’un trafic juteux dont les auteurs n’hésitent pas quelques fois à kidnapper leurs victimes.

Ce fut le cas de la jeune burkinabé que nous nommerons OA, et qui s’est retrouvée en Côte d’Ivoire après avoir été l’objet d’un rapt à Bobodioulasso, dans le Sud du Burkina Faso.

Des enlèvements aussi

Agée de 19 ans, OA, rencontrée en mai 2015 à Cavoequiva raconte son histoire : « Je vivais avec mes parents au Burkina Faso, précisément à Bobo-Dioulasso. Je suis mère de deux enfants de 4  et 2 ans. Un jour, un monsieur nommé Traoré Vié est venu me dire qu’il voulait me faire venir à Abidjan pour travailler pour sa sœur. Alors que mes parents n’étaient même pas encore informés,il m’a enlevée à leur insu et m’a mise dans une voiture, puis dans un train. Le temps de m’en rendre compte, j’étais déjà à Abidjan », relate la jeune fille, d’un teint noir pâle, aux cheveux coupés et au un regard triste.

Une fois dans la capitale économique, OA est placée chez une dame nommée Fatou, chez laquelle elle s’occupe des tâches ménagères. « Je me levais très tôt le matin, je lavais les habits, les toilettes, l’enfant de la dame, et après, j’allais vendre dans son magasin. J’ai travaillé tout ce temps sans être payée », raconte-t-elle. Pis, en plus de la corvée aggravée par l’absence de nouvelles de ses parents au Burkina Faso, OA doit subir au quotidien les humeurs d’une patronne très irascible qui la menace, l’injurie et la prive de nourriture à chaque fois qu’elle casse par inadvertance un ustensile ou un récipient.

Face à tant de tourments qui s’apparentent à de l’esclavage des temps modernes, OA, s’enfuit et se refugie chez un homme. Ce dernier la conduit au centre social d’Adjamé Santé qui à son tour la réfère à la sous-direction de la lutte contre la traite des enfants et la délinquance juvénile. Ainsi de suite, elle finit  par se retrouver à Cavoequiva. Ce, au bout d’une chaine de prise en charge qui implique à la fois l’Etat ivoirien, le système des Nations-Unies ainsi que des ONG nationales et internationales.

Un dispositif de prise en charge national concerté

Pour se prémunir contre toute forme de trafic d’être humain sur son sol, la Côte d’Ivoire dont le gouvernement se veut « ferme et déterminé » contre ce fléau s’est dotée d’un plan d’action national de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants, mais aussi de dispositifs légaux contre la traite des personnes. C’est sur la base de ces dispositions que l’Etat et ses partenaires nationaux et internationaux coopèrent en matière de prise en charge des victimes de traite.

Ainsi, grâce au projet de lutte contre la traite des personnes (TDP) financé par l’ONUDC, des filles en transit à Cavoequiva bénéficient d’une prise en charge holistique, notamment psychologique, alimentaire, vestimentaire et sanitaire,  durant leur séjour à Cavoequiva. Une fois à l’ONG, les victimes de traite sont mises en confiance. Ce qui leur permet de parler de ce qui leur est arrivé et de donner des renseignements utiles permettant de retrouver leurs parents. Dans le cas des filles  d’autres nations, leurs ambassades sont informées afin qu’elles soient protégées une fois de retour dans leur pays.

« Sous prétexte qu’on va prendre soin de l’enfant d’une sœur, d’un frère, des enfants sont maltraités et se retrouvent donc dans la rue », regrette le président de Cavoequiva, Irié Bi Tra, dont l’ONG est aussi soutenue financièrement par d’autres organisations et structures étatiques au nombre desquelles Save The Children, le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), le Fonds national de lutte contre le Sida ( FNLS).

Par ailleurs l’ONUDC finance le projet « Séguikô » destiné à mener des recherches pour retrouver les parents des victimes. C’est ce qui va permettre à Cavoequiva , en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), de retrouver la famille d’OA au Burkina Faso et celles de Sophy et d’Angela au Nigéria.

L’OIM, en plus d’aider à retrouver les parents des filles,  intervient à trois jours de leur départ vers leurs pays d’origine en leur permettant entre autres de faire un bilan médical et en prenant en charge les frais de transport par voie aérienne. Une fois à destination, les filles reçoivent la somme de 1500 dollars (environ 800 000 FCFA) pour leur scolarisation ou pour leur permettre d’entreprendre des activités génératrices de revenus. Une manne dont devraient bénéficier les jeunes nigérianes Sophy et Angela, et la Burkinabé OA. Mais pas la petite malienne KM, dans la mesure où sa mère a effectué le déplacement jusqu’à Abidjan pour venir la chercher.

« Quand l’OIM se charge elle-même des frais de voyage des personnes victimes de traite vers leur pays d’origine, c’est dans ce cas qu’elle leur permet de bénéficier de ce soutien. Or, dans le cas de cette petite, c’est sa mère qui est venue la chercher et qui s’est chargée de son transport », explique Molo Kadio Ruffin, assistant logistique à l’OIM Côte d’Ivoire.

 Pourtant, l’une des causes du phénomène de traite étant la pauvreté, KM qui avait commencé avec enthousiasme des cours d’alphabétisation à Cavoequiva, aurait eu bien besoin de cette aide pour goûter aux délices de l’école ou apprendre un métier.

« Pour les filles nigérianes et burkinabé parties par l’OIM,  elles auront 1500 dollars (environ 800 000 FCFA) comme projet de réinsertion que l’IOM va s’atteler à mettre à leur disposition pour l’achat de ce dont elles ont besoin pour mener une activité génératrice de revenus. On leur pose des questions pour savoir ce qu’elles veulent faire.  On rédige ce projet pour  elles si elles ne savent pas écrire », poursuit M. Molo.

Par ailleurs, à côté de la prise en charge des victimes de traite par l’ensemble des partenaires qui interviennent dans le domaine, l’Etat ivoirien intensifie les mesures de répression pour prévenir le fléau. Ainsi le Comité national de surveillance des actions de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants (CNS), présidé par la Première dame Dominique Ouattara, s’attèle de son côté, à faire appliquer la loi de septembre 2010 portant interdiction de la traite et des pires formes de travail des enfants. Une loi qui prévoit des poursuites judiciaires pouvant aller jusqu’à des peines d’emprisonnement contre toute personne reconnue coupable de traite d’enfant.

Bien plus, un dispositif législatif et un plan national d’action prenant en compte désormais la traite des personnes et la lutte contre le travail des enfants, sont en cours d’élaboration dans le pays. Des mesures  malgré lesquelles nombre d’auteurs de ce crime restent impunis, tant la pratique, désignée par l’ONUDC comme le troisième crime le plus rentable au monde après le trafic de drogue et d’armes, s’apparente à un véritable système mafieux.

 Un système mafieux fait d’intimidations et de menaces

Selon l’ONUDC, 25 millions de personnes à travers le monde sont victimes de traite, un commerce qui génère près de 32 milliards de dollars de revenus illicites par an. Un rapport publié en 2014 par la même organisation indique qu’en Afrique et au Moyen Orient, l’exploitation sexuelle représente 53% des cas, le travail forcé 37% et les autres formes d’exploitations comme la mendicité forcée des enfants ou l’enrôlement des enfants soldats, 10%. Ce rapport révèle qu’au moins 152 pays d’origine et 124 pays de destination sont affectés par la traite des personnes, et qu’il y’a plus de 510 flux de traites identifiés à travers le monde.

A l’instar des autres pays touchés par la traite des personnes, en Côte d’Ivoire, ce phénomène, spécifiquement la traite des jeune filles, est une nébuleuse qui  part souvent même des cellules familiales jusque dans les secteurs économiques et sociaux. Selon un président d’ONG, certains vont même jusqu’à menacer des parents de victimes, des acteurs sociaux, et n’hésitent pas à vouloir corrompre les pouvoirs publics et sécuritaires pour protéger leur business.

Ainsi, une jeune ivoirienne de 14 ans que nous appellerons Kady, a été contrainte pendant deux ans par une certaine Sidibé Tenin, quinquagénaire, de travailler comme servante dans des ménages à Abidjan sans toucher le moindre salaire, pour apurer une dette de 550 000 FCFA due par sa mère, S. Aissatou, à cette femme.

 Se targuant d’avoir des relations haut placées, Sidibé menaçait régulièrement la mère de Kady de la faire emprisonner pour dette impayées en cas de dénonciation. Un martyr vécu durant de longs mois par Aïssatou depuis le village de V3, dans la sous-préfecture de Buyo (Sud-Ouest) où elle réside, tout comme ces autres filles forcées à la prostitution et à la servitude.

L’on a affaire à des groupes criminels organisés autour de la traite des jeunes filles, pour s’accorder avec Pierre Lapaque, représentant régional de l’ONUDC pour l’Afrique de l’ouest et du Centre, qui disait au cours d’un atelier organisé à Abidjan le 10 juin 2015 : « En raison des effets graves pour les victimes, la traite des personnes est une forme particulièrement grave de criminalité organisée qui a des effets dévastateurs sur la vie et le bien-être des victimes. L’ampleur du phénomène et le nombre réel de victimes sont toutefois inconnus et très probablement sous-estimés, en raison de la nature cachée du phénomène ».

C’est pourquoi, la tante de la petite KM a pu produire, en un temps record, un extrait de naissance pour sa nièce pour prouver qu’elle l’a scolarisée. Ce qui n’a jamais été le  cas. C’est  également pourquoi les jeunes nigérianes ont pu traverser à moto la frontière de leur pays pour se retrouver au Bénin avant de prendre le car jusqu’à Korhogo, sans attirer la moindre attention. Mais aussi que la jeune burkinabé OA ait pu être enlevée depuis Bobodioulasso jusqu’à Abidjan aussi facilement.

C’est aussi pour toutes ces raisons que, sans repère, sans espoir dans ce traquenard, la fugue devient par moment l’ultime salut pour les victimes de traite.

La fugue, l’ultime salut

Après plusieurs tentatives en vain,  Kady a enfin réussi à s’échapper des griffes de son bourreau Sidibé.

« Je lavais les assiettes, vendais de l’eau et autres. Je me levais tous les jours à 4 heures du matin, dès que le muezzin commençait à appeler à la prière. Je dormais vers 22 H ou 23 heures. On me frappait quelque fois quand l’argent de l’eau que je vendais n’était pas suffisant », rapporte la jeune Kady, trop tôt arrachée à l’enfance pour des labeurs d’adulte.

« Durant ces deux ans, j’ai vecu un vrai supplice. Je me demandais si ma fille n’allait pas finir par en mourir », affirme pour sa part sa mère Aïssatou.

Comme sa fille, les autres victimes ne cessent de bénir ce jour où elles ont pu se libérer de ce carcan. Elles n’en reviennent toujours pas de leur courage, cette force intérieure qui leur a permis de franchir le pas. C’est pourquoi, les moments de réunification familiale sont des instants empreints de vives émotions.

La réunification familiale, fin du calvaire

Après le calvaire, les filles doivent rejoindre leurs parents qui ont été retrouvés dans leurs pays et villes respectifs grâce à l’OIM. La simple idée de revoir les leurs est déjà une motivation de plus pour savourer la joie de leur liberté retrouvée. Surtout qu’elles sont, pour la plupart, assurées de recevoir une aide de 1500 dollars, à leur arrivée au bercail, pour se lancer dans des activités économiques.

Après avoir été assistée par l’OIM dans l’établissement de ses documents administratifs, OA est retournée dans son Burkina natal le 26 mai 2015. « Je suis impatiente et heureuse de retrouver mes deux enfants », confiait-elle avant son départ pour l’aéroport international Félix Houphouët Boigny à bord d’un vol Air Burkina.

Quant à Sophy et Angela qui ne font que « remercier Dieu d’être en vie » et espèrent « un nouveau départ  auprès de leurs parents », elles ont quitté Abidjan pour le Nigéria  le 29 mai 2015, également par voie aérienne.

Le 30 juin 2015, Kady qui souhaite vendre des produits cosmétiques a été remise à sa mère par Cavoéquiva, en présence des représentants du ministère de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant ainsi que de celui de l’Intérieur et de la Sécurité à travers sa sous- direction de la lutte  contre le traite des enfants et la délinquance juvénile.

Mais bien avant les quatre autres, la petite KM avait déjà fait ses adieux à la Côte d’Ivoire, ainsi qu’à l’ONG Cavoéquiva et ses partenaires. C’était début mars 2015, quand elle et sa mère Djénéba se revoyaient après leur séparation à Garalo. En larmes, Djénéba promet de ne plus se laisser appâter avec de fausses promesses. KM s’en sort mieux que beaucoup d’autres jeunes filles qui ne revoient plus jamais leurs proches une fois dans les filets de ces réseaux de traite des personnes. Un mal qui, selon Yury Fedotov, directeur exécutif de l’ONUDC, reste « une tâche sombre » de l’humanité.

Enquête réalisée par Marie Ange Kouassi

 AIP

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