Mgr Siméon Ahouanan: ‘’…L’indemnisation n’est pas un remboursement’’

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Mgr Ahouanan, président de la Conariv, a effectué une tournée d’information et de sensibilisation du 7 au 11 juillet dans l’ouest montagneux. Au terme de ladite tournée, l’homme de Dieu s’est confié à Fraternité Matin et parle de sa mission. « J’ai demandé pardon parce que rien ne justifie ce que nous avons vécu. L’indemnisation n’est pas un remboursement, ce n’est pas une transaction financière ».

le président de la Conariv, vous dirigez un département qui a pour but d’indemniser les victimes de guerre en Côte d’Ivoire.  A ce jour, avez-vous une idée précise du nombre de personnes à indemniser ?
Dire les choses de cette façon voudrait dire que je viens pour donner du cash ou mettre en place le mécanisme de réparation de manière effective. Je crois que c’est la deuxième phase de notre mission. La tournée que j’effectue en ce moment, est une mission de compassion, de proximité, de solidarité. Les victimes en ont besoin. Dans notre tradition, quand une personne souffre, l’on s’approche d’elle pour lui dire qu’elle n’est pas seule dans la détresse ou dans le traumatisme, que l’on partage sa souffrance. C’est ce que l’on est en train de faire. L’ouest a été impacté de manière significative. On est là pour dire qu’on peut surmonter, qu’on peut pardonner, parce que le pardon est nécessaire pour aller à la paix et à la réconciliation. On peut pardonner et on doit le faire. Pendant toute la tournée, j’ai demandé pardon et je lance encore un appel aux présumés bourreaux pour qu’ils aient l’humilité de demander pardon. Si on doit aller à la paix et à la réconciliation, il faut qu’ils aient l’honnêteté, l’humilité de dire:  »On est allé trop loin et on demande pardon ». Peut-être qu’ils n’auront pas le courage de le faire, mais moi, en leur nom et au nom de la nation, j’ai demandé pardon pour ce que les gens ont subi. Je l’ai fait parce que rien ne justifie ce que l’on a vécu.

A-t-on une idée du nombre de victimes en Côte d’Ivoire ?
Ce serait présomptueux  de ma part de donner un chiffre. Il y a eu plusieurs structures qui ont recensé les victimes. Quand je me suis retrouvé au ministère de la Solidarité, à la Direction des victimes, il y avait déjà plus de 70.000 cas. Au niveau de la Cdvr, il y a eu 74.000 personnes auditionnées. Si on prend les chiffres de la Direction des victimes et de la Cdvr, cela fait donc à peu près 150.000 victimes. Avec la Conariv, l’on a auditionné 38.365 personnes, donc quasiment 40 000. Si vous ajoutez 150 000 à ces 40 000, cela fait près de 200 000 victimes. Mais il y a encore des listes pas encore prises en compte : nous avons reçu des listes à Duékoué (le 9 juillet 2015). Chaque jour que Dieu fait, des listes nous arrivent. Il y a aussi la liste du Conseil national d’enquête… Nous avons commencé à croiser certaines données. Pour l’instant, je ne peux donc pas vous donner de manière exacte un nombre. Disons que pour l’instant on peut parler de 200 000 personnes. Je dis bien pour l’instant.

On a entendu dire que vos agents recenseurs ne sont pas allés dans toutes les villes. A Daloa, il semble il n’y ait pas eu d’agents recenseurs des victimes de guerre. Qu’en est-il ?
Dans tout mécanisme qu’on met en place, il y a des dysfonctionnements. Il y a eu des dysfonctionnements ça et là. On a eu aussi à déplorer  des enregistrements parallèles moyennant une certaine somme… alors que les auditions sont gratuites. Ce sont des dysfonctionnements.

Sur le terrain vous avez pu vous rendre compte que certaines victimes sont dans la souffrance. Vous avez même dit  qu’il faut dans l’urgence faire quelque chose pour certains cas. Qu’allez-vous faire pour eux ?

Nous allons traiter rapidement ces cas. Hier même à Duékoué, nous avons fait une assemblée avec mes collègues, et nous avons pris la ferme décision qu’on ne peut pas laisser les gens dans la souffrance. Nous avons pris une certaine décision que nous tenons à accomplir dès que nous serons de retour à Abidjan. Nous allons prendre des dispositions idoines pour que, au plus à la fin du mois, on puisse passer à l’acte. Il ne s’agit pas de dire qu’on va prendre des cas en charge et puis de laisser tomber. Nous allons prendre des dispositions particulières pour traiter ces cas d’urgence, soit entre 500 et 600 cas.

Apres la consolidation des fichiers, suivra donc l’indemnisation. Beaucoup de victimes ont par exemple perdu leur maison et se demandent si on va la leur restituer.  Que va-t-il se  passer exactement, combien touchera une victime ?

Il faut savoir ce qu’est l’indemnisation. L’indemnisation n’est pas un remboursement, ce n’est pas une transaction financière. Si on dit qu’on va rembourser, que fait-on alors pour les personnes décédées ? Comment peut-on rembourser une vie ? L’indemnisation, c’est un processus. Parce que tout dépend de  la disponibilité de l’assiette. L’indemnisation est avant tout une reconnaissance des souffrances des victimes. Dans le cadre de la justice transitionnelle, nous sommes dans l’obligation de réparer. L’indemnisation est une réparation pour permettre aux gens de cicatriser leurs plaies. Quand vous avez un ami ou frère qui a perdu son père ou sa mère, vous allez aux funérailles pour montrer que vous partagez  sa douleur. Vous faites un geste, vous donnez 1000 ou 2000 francs. C’est votre manière de poser un acte d’humanité  vis-à-vis de votre collègue, de votre ami ou votre frère. C’est ça l’indemnisation.  Ce n’est pas parce que quelqu’un dit « J’ai perdu une affaire de 20 ou 30 milliards » qu’on doit lui rembourser les 20 ou 30 milliards.  Car comment allez-vous faire pour les ayants droit qui ont perdu leurs parents? Avec quel paramètre vous pouvez calculer une vie ? La vie humaine n’a pas de prix, il faut qu’on s’entende  et que les Ivoiriens comprennent ce que veut dire indemnisation. La réparation dans la justice transitionnelle est un droit, mais cette réparation est d’abord un acte d’humanité, une reconnaissance du statut des victimes. Voilà ce que je peux  dire aux victimes. Je ne suis pas un financier. Je ne suis pas venu à la tête de la Conariv pour faire des transactions financières, mais d’abord pour manifester ma solidarité aux gens qui souffrent.

On vous a attendu dire que l’indemnisation « n’est pas une vue de l’esprit ». Que cela veut-il dire ? Qu’il faut un peu de patience aux victimes mais que cela va se faire ?

Oui. Cela va se faire et nous travaillons pour que cela se fasse. Il faut être sérieux vis-à-vis des gens. Il faut les respecter et avoir conscience de ce qu’est la dignité humaine. Il y a des gens qui ont souffert ici. Quand les choses sont sérieuses, il faut les traiter de la manière la plus sérieuse, la plus correcte et la plus digne  possible et dans le respect de la dignité humaine.

Vous dirigez une commission sensible, une commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes. Trouvez-vous cette mission difficile? 

Toute mission est difficile. Quand  le Christ envoie ces disciples en mission, il ne leur cache rien, il est réaliste. Il dit : « Je vous envoie en mission, attention ! » Mais en même temps, il leur dit : « Je serai avec vous tous les jours de ma vie ». Le Christ dit ainsi que la mission sera difficile, qu’ils vont rencontrer des difficultés. Mais il leur promet sa présence et il donne une garantie. C’est en cela qu’il faut croire. Toute mission est donc difficile. Ce qui est malheureux ici, c’est que les gens ne voient que le bon coté de l’affaire.  Quand vous demandez à quelqu’un de venir travailler avec vous, la première question qu’il  vous pose c’est : «  Combien je vais  toucher ? » Viens travailler d’abord et après on verra. C’est cela qui est important. Quand un malade arrive dans certaines structures sanitaires, on affiche ce qu’il doit payer. Or il faut s’occuper du malade et voir après la question du paiement. Peut-être que vous allez trouver que je suis idéaliste. Mais pour moi, ce qui compte, c’est l’homme avant tout.

Toutes les victimes ne sont pas en Côte d’Ivoire. Beaucoup de refugiés se trouvent au Liberia. Que fait-on pour que ces victimes potentielles soient aussi indemnisées ?

Il n’y a pas que le Liberia. Il y a encore des victimes au Ghana et dans d’autres endroits. Je suis passé plusieurs fois à la télévision et j’ai demandé aux exilés de rentrer. Je me suis engagé à faire rentrer certains exilés. Ce n’est pas facile de vivre en exil. Le président de la République a lui-même  lancé un appel demandant aux exilés de rentrer. On n’est bien que chez soi, surtout quand on a quitté son pays dans les conditions que nous connaissons  tous. Je pense que l’indemnisation est un processus. Il y a des pays qui depuis 15, 20, 30 ans sont encore dans ce processus. Un processus n’est jamais clos. Ce qui va arriver, nous allons le traiter, nous allons faire ce que nous pouvons. Puis nous allons  mettre en place un mécanisme pour que ceux qui vont revenir puissent s’inscrire. Dans  la justice transitionnelle, toutes les victimes doivent être prises en compte.

Interview réalisée à Guiglo par

Saint-Tra Bi

Correspondant régional

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