Une semaine aux Etats-Unis : réflexions sur la puissance américaine (I & II)

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Chaque séjour réflexif dans un grand pays de ce monde est une véritable épreuve de pensée. Le vertige de l’espace occupé par la puissance visitée inflige à l’esprit qui veut comprendre son environnement la pire des épreuves : dégager de l’afflux des images, des pensées, des propositions d’interprétations qui lui brouillent la vue et la réflexion, des axes de compréhension qui ramènent le complexe au simple, sans pour autant simplifier la complexité. Séjournant du 11 au 19 juillet 2015 aux Etats-Unis, moins d’un an après ma précédente visite, j’ai en effet eu le sentiment de refaire face à l’inquiétante étrangeté qui m’envahit chaque fois que je mets les pieds dans l’Hinterland de cette très grande puissance mondiale, au coude-à-coude permanent avec la fédération russe, la Chine, l’Union Européenne et les nombreux Etats émergents d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique que sont l’Inde, l’Indonésie, l’Iran, le Brésil ou l’Afrique du Sud. Comment donc surmonter ce vertige généré par le gigantisme des choses américaines, en ce mois de juillet 2015 ? J’ai choisi de faire mienne la maxime de Goethe qui nous conseille de savoir nous limiter si nous voulons aller très loin. Quatre axes de réflexion se sont imposés à moi, au moment de faire un bilan de mon séjour. Il aura suffi que j’observe simplement les notes haletantes que la diversité des personnes et des espaces parcourus m’inspirait au fil des jours. Je vous parlerai donc : I) De la question raciale ; II) De l’accord irano-américain sur le nucléaire ; III) De la renaissance économique américaine après la crise financière de 2008 ; IV) De l’ambiance des rivalités républicano-démocrates en vue des élections présidentielles américaines prévues en 2016. J’espère pouvoir dégager de ces quatre axes de réflexions rétrospectives, une analyse des conditions d’accès à la puissance politique dans le monde contemporain.

IDe la question raciale aux Etats-Unis : le talon d’Achille intérieur de l’Amérique

Le voyageur de peau noire qui se rend aux Etats-Unis par les temps qui courent ne manque pas d’être obsédé par les images de la répression policière extraordinaire que subissent régulièrement les habitants noirs de ce pays, qu’ils soient d’origine américaine ou étrangère. Le sentiment d’insécurité que ces faits divers sanglants inspirent est d’autant plus aggravé par le contraste paradoxal des deux faits suivants : une grande puissance dirigée par un Chef d’Etat[1] de peau noire est responsable, au quotidien, de la répression barbare des noirs en Amérique. Comment comprendre ce paradoxe ? Comment se gérer au quotidien comme personne de peau noire aux Etats-Unis, pendant que les faits divers les plus affligeants convainquent les plus sceptiques et modérés des noirs d’Amérique que la proximité d’un policier est malgré tout certitude de risque mortel ? On a au préalable, trois mauvaises attitudes à éviter tout de suite : 1) basculer dans une paranoïa qui rendrait autant impossible la vie quotidienne des Noirs que celle des Américains de toute autre apparence physique, puisque la méfiance structurelle multiplierait en raison de la peur, des comportements violents ; 2) se réfugier au contraire dans un déni forcené de la réalité de la répression policière anti-noire aux Etats-Unis, par adhésion naïve au mythe de la bonne intention des flics et des circonstances atténuantes de leurs actes criminels contre de nombreux civils innocents ; 3) ou embrancher naturellement les thèses de la revanche raciale supposée nécessaire  des Noirs sur les Blancs, au risque de faire soi-même ce que l’on condamne chez les autres.

Ces trois manières de penser, cela est incontestable,  seraient infécondes en liberté, en justice et en paix civile pour la puissance américaine. La première conduirait au chaos de la « guerre de tous contre tous » redoutée à juste titre par Thomas Hobbes et qui se traduit en Amérique par les incertitudes que crée le droit des citoyens de porter des armes hautement létales. La deuxième approche renforcerait les thèses criminelles de la supériorité raciale blanche, qui prospèrent malheureusement en ce moment même derrière de nombreux discours du camp républicain américain. La troisième manière imprudente de penser aboutirait au racisme antiraciste des Noirs envers les Blancs, reconduisant le mal radical de la bêtise discriminatoire universelle qu’il faut pourtant combattre. Comme l’ont clairement montré, parmi tant d’autres,  les événements de Baltimore en avril 2015 après l’assassinat ubuesque de Freddie Gray le 12 avril, comme les émeutes de Ferguson en 2014 l’ont durement rappelé, les mauvaises relations qui règnent entre les populations noires américaines et la police de ce pays s’enracine absolument dans la longue histoire de mépris de l’Homme Noir au pays de l’Oncle Sam depuis la Traite des Noirs des 15ème -19ème siècles. C’est le démantèlement[2] des structures économiques, sociales, culturelles et mentales de cette ancienne abomination qui doit se poursuivre par une fermeté de la justice envers les policiers criminels et un recrutement préventif et très sélectif de policiers républicains par les Etats américains. La misère des ghettos et bidonvilles noirs, leur sous-éducation massive, leur faible représentation politique et leur déficit d’accès à l’ascenseur socioéconomique requièrent encore davantage de proactivité de l’Etat américain. Par ailleurs, l’on s’accorde à constater que sans la démilitarisation de la police américaine, il y a fort à parier que les bavures policières décriées se poursuivront, avec le cortège de réactions vengeresses qu’elles inspireront. La question raciale, c’est évident, demeure dès lors le talon d’Achille intérieur de l’Amérique, le caillou dans sa chaussure. Véritable entorse dans son regard sur elle-même, source de honte dans son regard vers le reste du monde, la répression policière discriminatoire envers les Noirs[3] d’Amérique ne devrait-elle pas devenir avec la santé et l’éducation pour tous, l’une des grandes causes nationales américaines du futur mandat présidentiel ?[4]

II-L’accord américano-iranien sur le nucléaire

Il est clair que seule une Amérique unie et sincère envers ses propres concitoyens pourrait tenir un langage de vérité convainquant le reste du monde. L’exemple ne nous est-il pas donné par le succès diplomatique remarquable que signe l’administration Obama en signant un accord avec l’Iran sur la non-prolifération des armes nucléaires ? On aurait pu défendre aisément deux positions difficilement tenables dans cette affaire : 1) La première consiste à dire que la fin du nucléaire militaire supposerait le démantèlement concomitant de toutes les armes nucléaires détenues par les principales puissances. L’inefficacité d’une telle solution, on le voit bien, tient au fait qu’aucune puissance détentrice d’une arme équivalente à celle de ses rivales n’acceptera sans doute jamais de les laisser l’en déposséder. 2) La seconde approche est celle qui consisterait pour la puissance détentrice des armes nucléaires, à interdire de force la possession desdites armes par d’autres puissances. Qui ne voit pas l’injustice d’une telle démarche ? De quel droit interdirait-on à une Nation de développer des armes dont notre propre Nation aurait librement acquis l’usage et la propriété ? Ce ne serait qu’un bien provisoire équilibre de la terreur. Une politique de la confiance semble dès lors devoir émerger ici. L’accord américano-iranien[5] a en réalité été également endossé par la Grande Bretagne, la Chine, la Russie, la France et l’Allemagne, dans une logique de soft power face aux Iraniens. L’Allemagne, faut-il le rappeler, n’a pas développé d’arme nucléaire depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, mais a parfaitement pu profiter des acquis du nucléaire civil. Sa présence aux côtés des pays nucléairement armés aura ainsi contribué à rassurer les Iraniens. En obtenant de ces derniers qu’ils renoncent à militariser leur système nucléaire en échange de la levée des sanctions politico-économiques qu’ils subissent depuis pratiquement 1979, les pays nucléo-militaires ont cependant aussi compris que sans des conventions politiques de plus en plus déterminées par le souci de l’espèce humaine dans son ensemble, la prolifération nucléaire débouchera partout dans le monde sur le nucléaire militaire, qu’on le veuille ou non. Mieux encore, l’accord irano-américain ne nous apprend-il pas que le véritable gage de l’échappement de l’humanité du péril que la course aux armes nucléaires lui fait courir,  passe par le triomphe dans toutes les nations du monde, de l’Etat de droit démocratique, caractérisé par l’existence de contre-pouvoirs, le respect des droits humains, la pratique de l’alternance démocratique par des élections transparentes, le bien-être partagé par tous les citoyens ? C’est sans doute parce que les Iraniens sont en marche vers cet idéal que le monde peut désormais leur accorder sa confiance. Mais en retour, tant que les Cinq +1 qui ont négocié avec l’Iran ne seront pas tous, dans leurs politiques nationales respectives, des modèles d’humanité, autant qu’ils devront l’être en politique internationale, il est à prévoir que la confiscation de la dissuasion nucléaire par les seuls vainqueurs de la seconde guerre mondiale fasse rapidement long feu.

La suite de la présente tribune, les parties III et IV, suivra prochainement sur guillaumesoro.ci

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi Professeur agrégé de philosophie

[1] Selon le Professeur Pap Ndiaye, par exemple,  Obama est rattrapé par la question raciale. Voir son analyse in http://www.liberation.fr/monde/2015/04/28/obama-est-rattrapé-par-la-question-raciale

[2] http://www.lejdd.fr/International/USA/Emeutes-de-Ferguson-pourquoi-la-question-raciale-gene-t-elle-Barack-Obama-681510 Par Thomas Liabot, le 20 août 2014

[3] Voir le livre de Nicole Bacharan, Les Noirs américains : des champs de coton à la Maison Blanche, Editions du Panama, 2008, ou celui de Pap N’diaye, Les Noirs américains en marche pour l’égalité, Editions de Poche, 2009.

[4] http://www.lepoint.fr/monde/etats-unis-l-impunite-de-la-police-reveille-la-question-raciale-09-12-2014-1888074_24.php Par Hélène Vissière, le 9 décembre 2014

[5]  Voir l’analyse proposée sur http://www.huffingtonpost.fr/karim-noujaim/accord-nucleaire-les-enjeux-et-perspectives-iraniennes-et-americaines_b_7610110.html  par Karim Noujaïm

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