chronique d’une escroquerie électorale au burkina faso

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Les élections présidentielles et législatives qui auront lieu le 11 Octobre 2015 ne seront pas démocratiques. Elles marqueront simplement l’aboutissement d’une escroquerie électorale, perpétrée au grand jour par des factions politiques, avec la complicité agissante des autorités de la transition, sous le regard indifférent, si ce n’est complaisant, de la communauté internationale. 

Après l’insurrection d’Octobre 2014, qui a conduit à l’effondrement du régime du Président Blaise Compaoré,  une Charte de la transition a été adoptée, sur l’instigation des pays membres de la CEDEAO, pour maintenir l’artifice d’une continuité de l’état de droit et de la légalité constitutionnelle des institutions mises en place pour assurer la gestion de l’Etat, jusqu’à la tenue d’élections régulières. A leur corps défendant, les acteurs du mouvement insurrectionnel ont accepté, sous la pression de la communauté internationale, d’inscrire dans cette charte que les élections à venir devraient être démocratiques et inclusives. 

Cette affirmation est en soi un pléonasme. Un processus électoral qui se veut démocratique est forcément inclusif. On ne bâtit un régime démocratique en excluant d’emblée une partie des forces politiques, surtout lorsqu’elles représentent une part importante du corps électoral. Mais cette déclaration répétitive n’était pas inutile, dans le contexte post insurrectionnel où certains partis qui appartenaient précédemment à l’opposition ne cachaient pas leur volonté de profiter des circonstances pour s’accaparer du pouvoir, en écartant de façon autoritaire les représentants de l’ancienne majorité de la scène politique. 

Même s’ils ont fait mine d’accepter, du bout des lèvres, l’idée que les élections futures devaient être « inclusives », ils n’ont jamais renoncé à leur volonté d’exclusion et se sont employés avec ardeur à réaliser ce dessein, agissant de concert avec l’ensemble du système de la transition : Président de la transition, Conseil National de la transition, Gouvernement. S’y ajoute depuis peu le Conseil Constitutionnel, qui est supposé donner le sceau ultime de la légalité à ce processus de violation flagrante des droits de l’homme, des libertés politiques et des règles élémentaires de la démocratie. Besogne qu’il accomplit  avec un zèle  désordonné, en déshonorant sa vocation de juge suprême, garant de l’état de droit.

J’ai estime et respect pour certains des membres du CNT, opposants de longue date du régime déchu, dont j’ai pu apprécier le sens patriotique et la sincérité de l’engagement politique, à travers leurs actes et déclarations sous la législature précédente. Mais, comme beaucoup de burkinabé, j’ai vite réalisé que , depuis le début, cette institution, avec en tête son Président, conçoit son rôle comme celui d’une chambre insurrectionnelle, destinée à poursuivre le démantèlement de tout ce qui peut subsister de l’ancienne majorité et de l’ex Front Républicain, quitte à bafouer  les principes de la démocratie et à rompre le tissu fragile de la cohésion nationale. Tout cela sous le prétexte fallacieux de fonder  une nouvelle démocratie au Burkina, alors qu’il s’agit simplement de tronquer le suffrage des burkinabé pour installer au pouvoir des groupes politiques dont les membres n’ont jamais été connus pour leurs vertus démocratiques. 

La meilleure – ou la pire – illustration de cette supercherie grossière réside dans la révision du Code électoral, organisée pour empêcher les membres l’ancienne majorité et du front républicain de se présenter librement aux prochaines élections, comme les y autorise la Constitution de notre pays. Ce droit leur est reconnu de surcroît, au titre de la protection des droits de l’homme, par divers traités internationaux auxquels notre pays a souscrit, en reconnaissant par là même la supériorité de ces normes internationales sur toute règlementation nationale. 

On l’a souvent répété : interdire à des citoyens burkinabés de se présenter aux élections sous le motif qu’ils ont soutenu précédemment le projet de modification de l’article 37 de la Constitution, est stupide et inique :

Ceux qui ont soutenu ce projet, pour critiquable que puisse être cette démarche, n’ont violé aucune loi du Burkina Faso. Ils ont simplement usé de la liberté d’opinion qui leur est reconnue par l’article 8 de la Constitution. Car si le fait d’avoir soutenu ce projet de réforme constitutionnel constituait un délit puni par les lois burkinabé, alors il aurait fallu traduire en justice les personnes présumées coupables de cette infraction. Ce qui, dans cette hypothèse absurde, aurait peut être conduit à une condamnation pénale qui justifierait leur inéligibilité.

Certains parmi les membres du Front Républicain, tout en exprimant leur opposition au principe de la modification du régime de la limitation du nombre des mandats présidentiels, s’étaient simplement déclarés favorables à l’organisation d’un référendum, pour laisser au peuple burkinabé le soin de trancher cette question. Est-ce un crime de proposer de consulter le peuple burkinabé sur une question qui divise la classe politique ?

Parmi les personnes visées par les mesures d’inéligibilité figurent d’anciens députés, à qui il est reproché d’avoir, à l’occasion de l’exercice de leur mandat parlementaire, pris ouvertement position en faveur de la révision constitutionnelle. C’est une règle fondatrice de la vie parlementaire que les députés ne peuvent pas être poursuivis pour les opinions et les votes qu’ils expriment dans l’exercice de leur mandat parlementaire, ou à l’occasion de celui-ci. S’ils ne peuvent pas être poursuivis en justice pour un tel motif, a fortiori, ils ne peuvent en aucune manière être privés de leurs droits de citoyen sur ce fondement. 

Ce sont toutes ces raisons, entre autres considérants, qui ont amené la Cour de Justice de la CEDEAO à rendre contre l’Etat burkinabé, le 13 juillet 2015, un jugement clair, précis et ferme, aux termes duquel cette juridiction a :

« Dit que le Code Électoral du Burkina Faso, tel que modifié, est une violation du droit de libre participation aux élections, 

Et ordonné, en conséquence, à l’Etat burkinabé de  » LEVER TOUS LES OBSTACLES À UNE PARTICIPATION AUX ÉLECTIONS CONSÉCUTIFS À CETTE MODIFICATION ». 

 Même les étudiants de première année de droit savent que  pour apprécier la portée concrète d’une décision de justice, ce qui  compte c’est le « dispositif « , dont je viens de citer les termes, lesquels ne souffrent d’aucune ambiguïté. La Cour de Justice de la CEDEAO ordonne à l’Etat burkinabé de lever purement, simplement et totalement les mesures d’exclusion introduites par le CNT, à la faveur de la révision du Code Électoral. On ne peut pas être plus clair. 

Cette décision s’impose à l’Etat burkinabé qui, en adhérant au Protocole portant création de la Cour de Justice de la CEDEAO, a accepté de reconnaître que les décisions rendues par cette juridiction internationale priment sur toutes les normes découlant du droit national de notre pays : lois, règlements, décisions émanant des juridictions nationales. L’Etat est présumé reconnaître également que les décisions de la Cour sont applicables immédiatement et directement dans l’ordonnancement juridique de notre pays, sans qu’il soit besoin de recourir à une forme quelconque d’approbation par une institution nationale. 

Dans un État « civilisé » (pour reprendre la formule utilisée à ce propos par le Président de la transition), respectueux de ses engagements internationaux et du droit, la formule la plus simple eût été que le CNT procédât à la révision du Code électoral, pour l’expurger des dispositions condamnées par la Cour de Justice de la CEDEAO. Si le Gouvernement de la transition en avait eu la volonté, un consensus aurait pu être recherché au sein de la classe politique pour opérer cette correction, nonobstant le principe de la CEDEAO qui interdit de modifier les règles électorales moins de 6 mois avant un scrutin. Car ce principe est assorti d’une réserve, qui autorise  justement que des modifications puissent intervenir hors du délai de 6 mois, lorsqu’elles reposent sur un consensus national. 

A défaut d’une telle procédure, dont je me doute bien qu’elle aurait suscité une forte résistance de la part de certains membres du CNT, l’Etat burkinabé aurait pu s’en remettre à la sagesse, à l’esprit de responsabilité et à la conscience professionnelle des membres du Conseil Constitutionnel, pour faire appliquer le droit, en respectant la décision impérative de la Cour de Justice de la CEDEAO. Il est avéré maintenant que c’était trop attendre d’un Conseil Constitutionnel qui a montré, par l’iniquité flagrante de ses décisions, qu’il agit comme un organe  supplétif de l’opération d’escroquerie électorale qui est en cours. 

Sinon comment expliquer qu’il choisisse délibérément d’ignorer le jugement rendu par la Cour de Justice de la CEDEAO sur la question des inéligibilités, en invoquant le prétext fallacieux suivant lequel l’Etat burkinabé n’aurait pas pris de mesure pour rendre applicable cette décision, qu’il sait pourtant obligatoire. Par ce déni de droit, le Conseil Constitutionnel s’est totalement déconsidéré. Il a agi comme l’ancienne Cour Suprême de Côte d’Ivoire qui, au lendemain des dernières élections présidentielles, s’est d’abord évertuée à proclamer la victoire de M. Laurent Gbagbo, au mépris du verdict des urnes, pour ensuite reconnaître piteusement l’élection du Président Alassane Ouattara, avec des explications emberlificotées. 

Il n’est pas difficile de prédire le même sort aux membres de notre Conseil Constitutionnel. Sauf que nous ne sommes qu’au début de notre processus électoral. Ils auront encore de nombreuses occasions de sévir. 

Voilà hélas où nous en sommes, avec une institution qui devait constituer, pour notre pays,  le dernier rempart de l’Etat de droit, du respect de la  Constitution et des libertés publiques.  

Que dire de l’attitude du Président de la Transition et du Gouvernement face à cette situation ?

A la suite de l’énoncé de la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO, le Président de la transition avait fait une déclaration digne, par laquelle il prenait acte du jugement condamnant l’Etat burkinabé. Il s’était engagé à faire en sorte que ce jugement  fût appliqué, se conformant par là même à la haute mission que lui assigne notre Loi fondamentale, à savoir : 

Veiller au respect de la Constitution ( art 36)

Incarner et assurer l’unité nationale (art 36)

Se porter garant du respect des accords et traités (art 36)

Garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso (art 44).

Nonobstant cette déclaration qui se voulait rassurante sur la volonté de l’Etat burkinabé de se conformer au droit dans cette matière, le Président du CDP, par mesure de précaution, a adressé un courrier au Président de la transition, pour lui demander respectueusement de prendre des dispositions pratiques, en vue d’assurer la pleine application de la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO dans la conduite du processus électoral. Bien que cette correspondance n’ait reçu aucune suite, à ma connaissance, on aurait pu s’attendre à ce que le Président de la transition  joignit ses actes à sa parole, en prenant des initiatives pour assurer le respect du droit, tel qu’il a été dit par la Cour de Justice. Or à quoi avons-nous assisté ? A un mutisme total du Chef de l’Etat et du Gouvernement, alors même que se multipliaient les déclarations et les recours tendant à faire prononcer l’inéligibilité de plusieurs candidats, au mépris de la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO.

On me dira que ce silence obéit au principe de la séparation des pouvoirs, dont on sait, par ailleurs, le peu de cas que font les autorités de la transition, en d’autres circonstances. Ce principe n’a pas empêché le Chef de l’Etat lui même de dire publiquement qu’il estimait que M. Roch Marc Christian Kaboré ne pouvait pas être déclaré inéligible, alors même que l’intéressé n’avait pas encore déposé sa candidature à l’élection présidentielle. 

Ensuite sont intervenues les décisions du Conseil Constitutionnel prononçant l’inéligibilité de plusieurs candidats, qui ont donné lieu à la publication d’un communiqué du Gouvernement qui relèverait du burlesque, si ce qui est en jeu ne concernait pas le destin de notre Nation et l’avenir de sa démocratie. 

Rappelons la chronologie des scènes de ce théâtre de l’absurde : 

Acte 1 : Le Président de la transition jure de sa bonne foi que le Burkina,  » pays civilisé « , appliquera  le jugement de la Cour de Justice de la CEDEAO, ordonnant au pays de mettre fin aux discriminations politiques qui entravent  la liberté des citoyens de participer aux élections. Mais il se garde bien de prendre la moindre initiative pour favoriser l’application de cette décision de justice. 

Acte 2 : Le Conseil Constitutionnel prononce des inéligibilités en se fondant sur les dispositions du Code Électoral condamnées par la Cour de Justice de la CEDEAO, expliquant que le Gouvernement a omis de prendre des dispositions pour rendre cette décision applicable, alors même qu’il sait que cette omission n’altère en rien le caractère immédiatement obligatoire du jugement en cause.

Acte 3 : Le Gouvernement déclare que les décisions d’inéligibilité prononcées par le Conseil Constitutionnel sont valables, bien que manifestement contraires au jugement de la Cour de Justice. Pour justifier cette assertion saugrenue, le Gouvernement extrait quelques passages du long exposé des motifs du jugement pour laisser entendre, le plus sérieusement du monde, que finalement l’arrêt de la Cour d’Abuja aurait une autre signification que celle qui est énoncée, dans un langage simple et clair, par le dispositif de cette décision. En somme, le Gouvernement du Burkina réécrit son propre jugement de la CEDEAO, à partir d’extraits des motifs de l’arrêt rendu par la Cour, sortis de leur contexte.

Quitte à invoquer des arguments farfelus pour justifier leurs positions respectives, il faudrait au moins que les autorités de la transition s’accordent pour donner un minimum de cohérence à leurs déclarations. Le Conseil Constitutionnel affirme que dans ses délibérations il n’a pas pris en considération la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO. Tandis que le Gouvernement se félicite que les mesures d’inéligibilité  prononcées par le Conseil Constitutionnel soient conformes au jugement de la Cour d’Abuja , lequel a été  revu et corrigé par ses propres soins ! 

On croirait un sketch de l’humoriste Mamane, brocardant les pratiques ubuesques de la république imaginaire du Gondwana, sur les ondes de la station de radio RFI.

Au-delà de cet aspect tragi-comique, il reste que le procédé utilisé par le Gouvernement burkinabé est obscène, parce qu’il n’est pas digne d’un État qui se respecte, respecte le peuple, respecte les traités internationaux qu’il a conclus, respecte l’Etat de droit. Nous voilà  bien devenus une république bananière. 

Depuis quand un gouvernement qui se proclame « civilisé » peut-il, sans vergogne, dénaturer le sens d’un jugement, en tirant des motifs de celui-ci une conclusion qui dit diamétralement le contraire de la décision rendue par les juges. Le Gouvernement aurait mieux fait de se taire et de continuer à couvrir de son silence cette mascarade, plutôt que de s’embrouiller dans des justifications  calamiteuses, qui font injure à l’intelligence des burkinabé et font de notre pays la risée du monde. 

Il est de règle, en matière internationale, que les Etats doivent exécuter de bonne foi les traités auxquels ils sont parties. En choisissant de donner une interprétation volontairement biaisée de la décision de la Cour de la CEDEAO, qui est pourtant limpide, le Gouvernement manque à cette obligation de bonne foi, au regard des textes de la Communauté et, ce faisant, il porte atteinte à la réputation de notre pays.

Ces propos peuvent paraître sévères, mais nous nous devons de nous dire la vérité, face à l’importance de l’enjeu que représente ce processus de sortie de transition pour notre pays.

Maintenant que faire face à cette violation flagrante de nos droits, en tant que citoyens ?

Puisque nous n’avons , ni la volonté , ni la force de répondre par la violence à la violence de l’Etat de non droit, qui nous est imposée, il ne nous reste qu’à nous battre sur le terrain politique, avec la dernière énergie. Non pas l’énergie du désespoir, car nous n’avons aucune raison d’être désespérés. Mais celle qui tire sa source dans la rage de vaincre l’injustice. 

Les formations  de l’ancienne majorité ne seront  pas directement parties prenantes  à l’élection présidentielle, en vertu des règles de l’apartheid  électoral instauré par le régime de la transition. Qu’à cela ne tienne ! Nous participerons aux élections législatives, de façon combative. Et nous les gagnerons. Le CDP, l’ADF/RDA, l’UPR, l’UNDD et les autres formations alliées sont des partis solidement implantés à travers le Burkina, disposant d’un électorat fidèle, qui n’est pas prêt de succomber aux duperies de ceux ambitionnent de  s’accaparer, par effraction, du suffrage des burkinabé. Dans bien des circonscriptions électorales,  les positions politiques que nos partis occupent sont inexpugnables. Nous n’avons pas volé le statut de majorité qui fut le notre sous le régime précédent. Nous l’avons gagné, largement, au terme d’élections dont la régularité n’a été contestée, ni par nos adversaires, ni par les observateurs de ces scrutins. Nous pouvons et nous allons reconquérir cette majorité. 

Les « charcutages » qui ont été opérés de façon  illégale sur nos listes  électorales et  les remplacements auxquels nous avons été contraints, loin de nous affaiblir, donneront une nouvelle vigueur à nos candidats, à nos militants et à nos sympathisants. Nos partis regorgent de patriotes capables de prendre la relève de ceux qui ont été lâchement et injustement privés du droit de se présenter aux élections.  Le peuple burkinabé, qui n’aime pas le mensonge et la tromperie, saura trier le vrai du faux. Investis à nouveau de sa confiance, nous ferons barrage à ceux qui, animés de la seule soif du pouvoir, veulent faire main basse sur le Burkina, en opposant les burkinabé les uns aux autres. 

Je porte, seul, l’entière responsabilité de la teneur de cette tribune, qui exprime mon point de vue personnel sur les conditions dans lesquelles se préparent les prochaines élections dans notre pays. Mais je sais que ce point de vue est largement partagé.

 Par Léonce Koné

Ancien Président du CDP (Congrès pour la Démocratie et la Paix) du Burkina Faso

 

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