bernard houdin, ecrivain anodin, ecrivain pour rien: analyse du livre-tract du conseiller de laurent gbagbo contre le couple présidentiel ivoirien

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L’acte d’écrire, et celui, qui plus est, de publier,  sont de puissants symbolismes. On écrit parce qu’on se croit en possession de choses à dire. On publie parce qu’on croit que les choses qu’on a dites pourront se défendre par elles-mêmes, par-delà la main et le souffle vivant de l’écrivain. En publiant, on tente donc de s’inscrire dans une transmission qui participera d’une tradition. Le lecteur averti, dès lors, pour éviter de être un simple gobeur de mouches, doit s’imposer de cerner l’intention de l’écrivain et sa tradition d’appartenance, s’il ne veut pas avoir lu pour lire, avoir lu pour rien, ou avoir lu pour s’abrutir. Quand je me suis donc saisi du dernier livre de Bernard Houdin, c’était avec le principe de bienveillance herméneutique si cher au philosophe allemand Schleiermacher, pour qui un texte délivré ne peut nous être utile que si nous nous imposons de l’écouter en profondeur, de le recevoir vraiment, avant de le décevoir éventuellement, parce que nous y aurions perçu de l’ignorance feinte ou naïve, de la perfidie ou pire encore, de la bêtise. Au regard des précautions méthodologiques qui précèdent, que dire donc du livre de M. Bernard Houdin, Les Ouattara: une imposture ivoirienne, récemment publié aux Editions du Moment à Paris?  

Je m’imposerai trois tâches: I) Extraire, dans le magma d’un texte où l’autobiographie et le témoignage personnel se prennent souvent pour des preuves scientifiques irréfragables, les thèses essentielles d’un défenseur tardif de Laurent Gbagbo, manifestement prêt à faire feu de tout bois pour sanctifier son mentor et diaboliser ses adversaires politiques; II) Opposer aux thèses essentielles de Bernard Houdin, des objections fondées sur la pédagogie des faits, grâce à quoi l’écrit de Houdin s’avèrera simplement anodin, un de plus, dans la tradition de la diffamation anti-Ouattara, fort féconde en Côte d’Ivoire depuis 1989.

I – Foutaises et thèses de l’autobiographe Bernard Houdin

A lire le titre de l’oeuvre de l’ancien militant du Front National français, on s’attendrait, dès les premières lignes de l’ouvrage, à voir la mise en oeuvre des faits historiques constitutifs de son accusation explicite: « Les Ouattara: une imposture ivoirienne ». Rien ne déçoit autant que de constater que l’organisation méthodologique du livre n’a rien à voir avec les promesses offensives de son titre. Page 12, l’auteur nous avoue le point de vue subjectif qui sera le sien: « Ce livre est un témoignage qui a essentiellement pour but d’expliquer ce qui s’est réellement passé en Côte d’Ivoire pendant ce quart de siècle marqué par le décès de Félix Houphouët-Boigny, le 7 décembre 1993, et plus particulièrement les événements survenus pendant le mandat du président Laurent Gbagbo. Une période où tout a été fait pour installer au pouvoir à Abidjan un homme qui symbolise aujourd’hui l’archétype du dirigeant falot qui doit son ascension à un esprit de soumission inversement proportionnel à des qualités morales. » 

Voyons donc, dirait le lecteur. Un « témoignage qui explique »? A quel genre hybride appartient un tel écrit? Le témoignage est un point de vue qui s’avoue subjectif. Mais de là à expliquer objectivement l’histoire? A la limite, on pourrait encore s’y résoudre…Enfin, quelqu’un qui prétend nous montrer d’un bout à l’autre que le problème de la Côte d’Ivoire, c’est Alassane Ouattara! Mais, la déception est tout de suite évidente. Dans la première partie du livre, « De la colonisation à la fracture », pages 17 à 112, Bernard Houdin réussit le pari incroyable de nous raconter sa propre vie de fils de colon français de Côte d’Ivoire, introduit dans les différents milieux politiques, économiques et bourgeois d’Abidjan. A partir de la perspective privilégiée que lui offre son statut de fils de colon français, il croit pouvoir affirmer d’autorité tout ce qu’il a appris de ses incursions variées dans la classe politico-économique ivoirienne. L’angle finalement surévalué par Bernard Houdin, c’est sa collaboration avec Hamed Bassam, dont il devient le collaborateur dans l’ entreprise ASH de ramassage d’ordures en Abidjan. ASH, entreprise de ramassage d’ordures, sert en même temps d’entreprise de collecte de ragots. Comme de juste. C’est donc en collectant les ordures dans la ville d’Abidjan que Bernard Houdin, entre deux camions-poubelles, croit savoir et croit pouvoir nous dire le nec plus ultra de la politique ivoirienne. Et par ce tour de passe-passe, Houdin évite de nous parler de la colonisation, abject crime contre l’humanité dont il bénéficia sans le dénoncer. Par le même geste, Houdin éclipse la montée en puissance de l’idéologie  politique criminelle de l’ivoirité, dont le premier ministre Ouattara essuiera les premières offensives virulentes, sous les yeux scandalisés du président Houphouët-Boigny, qui dénonce solennellement la cabale anti-ADO dès 1990 à la télévision nationale ivoirienne. Or l’idéologie de l’ivoirité politique n’est-elle pas la poursuite africaine du colonialisme des Africains contre des Africains? Dans la première partie de l’ouvrage de Houdin, les Ouattara ne sont jamais le centre du sujet, mais sa périphérie. Par de vastes circonvolutions verbales, Houdin, qui n’évoque les Ouattara que par des allusions superficielles,  abuse du trop plein d’anecdotes dont sa mémoire de ramasseur d’ordures est pleine. Mais, au grand jamais il ne traite vraiment de la soi-disant imposture qui fait la Une de couverture de son livre…

On espère voir la deuxième partie du livre entrer résolument dans le vif du sujet. Houdin l’intitule «  De la déchirure à la forfaiture ». Il s’y étale des pages 113 à 226. La rime entre « déchirure » et « forfaiture » laissant croire qu’enfin la titraille et les contenus vont concorder.  Hélas, Houdin, une fois de plus, verse dans la surenchère des choses  anodines. Il s’installe dans l’écriture de l’anodin, où la bribe est surévaluée. Le détail, hypertrophié à souhait. Le livre de Houdin se donne résolument à voir comme un mauvais essai de people politics puisque le témoignage  autobiographique y cède résolument le pas au colportage des rumeurs les plus fantaisistes.  Où est donc l’imposture des Ouattara tant annoncée depuis bientôt 250 pages? Aux calendes grecques. Houdin, persistant dans la tare massive de la première partie de son ouvrage, grossit l’insignifiant pour masquer son mépris de l’essentiel. Le conseiller de Gbagbo consacre la deuxième partie de son livre à raconter comment le Christ de Mama fut injustement dépossédé du pouvoir que la Côte d’Ivoire lui devait tout naturellement en 2010. Il s’agit donc de nous servir les lieux communs des jérémiades frontistes sur les malheurs du plus grand des panafricanistes ivoiriens,du démocrate hors-pair, de l’amoureux de la constitution, que serait indiscutablement Laurent Koudou Gbagbo. Tout y passe. Le bombardement de Bouaké? la faute à Chirac. L’accord politique de Ouagadougou? En cinq petites pages, Houdin en a fini. C’est la faute à Soro et aux Français s’il a fallu trois ans pour l’appliquer. L’élection présidentielle de 2010? C’est Gbagbo qui l’a gagnée. Houdin, conseiller de Gbagbo depuis 2007, le sait par coeur. C’est Soro et ses Forces Nouvelles, Choï et son ONU, Sarkozy et ses forces armées, qui ont forcé le résultat pour Ouattara avant de défoncer le palais de Gbagbo. 

Vite fait! Houdin, alors agent double et tout à fait décomplexé de l’Etat français et de l’Etat de Côte d’Ivoire, n’hésite pas à se prévaloir de toutes les confidences, sans percer la contradiction inhérente à sa posture de cul posé entre deux chaises.  Il va de l’Elysée au palais présidentiel du Plateau d’Abidjan avec la tranquillité d’un servant de restaurant qui alterne entre les cuisines embrumées et les clients attablés. Et Houdin, au prix de toutes les confidences anodines qu’il glane çà et là, n’étant jamais au demeurant que le témoin de lui-même, peut conclure son scénario d’un Gbagbo debout envers et contre tous, entièrement écrit d’avance : « Les violences exercées lors du scrutin, la falsification grossière des chiffres n’ont pas pu avoir raison de la volonté populaire. Mais il faut donner le pouvoir à Ouattara, coûte que coûte, vingt ans après son apparition sur le devant de la scène politique à Abidjan. Endurant coups d’Etat, rébellion et partition du territoire national, avec son cortège de sang et de larmes, le peuple ivoirien va traverser, pendant quatre longs mois, une dernière crise pour installer finalement un homme qui, on le verra, a depuis, fait régresser toutes les idées démocratiques en Côte d’Ivoire et s’apprête aujourd’hui à perpétrer une nouvelle forfaiture constitutionnelle. » (p.183). Le seconde partie du livre de Houdin s’avère au final plus décevante que la première. Le lecteur, qui voit qu’une troisième partie s’annonce pourtant, ne peut dès lors que jeter son dévolu sur ce dernier espoir de sauver le soldat-écrivant Houdin de la prison définitive de l’anodin qui l’étouffe de ses serres enivrantes.

On entre dans la troisième et dernière partie du livre de Bernard Houdin avec un sentiment anticipé de « here we are, at least !».  Hélas, ce n’est une fois de plus qu’un effet d’annonce qui vous leurre! L’espoir de passer enfin des foutaises aux thèses de Houdin sera encore plus durement déçu dans la dernière partie d’un livre qui s’avère au final n’être qu’un long tract sans relief de plus, s’inscrivant benoîtement dans la tradition de la vulgate anti-Ouattara, née à la fin des années 80. Car le titre de cette dernière, encore plus pompeux que les précédents, est en redondance parfaite avec le titre général de l’ouvrage. On pourrait à la limite dire qu’en intitulant  cette partie « Le couple Ouattara, l’imposture révélée », au lieu de « Les Ouattara: une imposture révélée » comme l’annonçait le titre général de l’ouvrage, Houdin, très sibyllin, nous indique subtilement son angle d’attaque ad hominem. Loin de s’intéresser aux Ouattara en général, Houdin avoue par cette emphase qu’il va se mêler de la vie privée du couple Ouattara, mais de la façon la plus inavouée, la plus éhontée et la plus couarde que l’on puisse imaginer. Houdin se glisse ici dans la peau du romancier adepte du voyeurisme le plus délirant! La stratégie argumentaire de la dernière partie du livre de Houdin est ainsi livrée: présenter le président Alassane Ouattara comme la pure fabrication d’une femme entrée par effraction au coeur de l’Etat de Côte d’Ivoire, afin de lui dénier toute légitimité morale et politique dans la Côte d’Ivoire contemporaine. Dévoilons donc ce qui tient lieu de thèses ultimes de ce livre.

L’entrée en scène de l’actuelle première dame de Côte d’Ivoire, dans la vie de son illustre époux au milieu des années 80, est présentée par Houdin avec tous les implicites les plus diffamatoires que l’on puisse suggérer envers une femme en notre époque où l’égalité de genres est un acquis de principe du progrès humain. La thèse implicite de Houdin consiste à ne reconnaître à l’épouse du Chef de l’Etat que les vertus féminines de la beauté physique et du charme. Houdin, en véritable militant misogyne du Front National français, multiplie des allusions dégradantes de toutes sortes au fil de son livre contre Madame Ouattara, lui déniant toute instruction, toute intelligence et ambition légitimes, toute capacité entrepreneuriale, et finalement tout mérite dans la formidable carrière de femmes d’affaires qui est pourtant la sienne. Houdin, animé d’une haine irascible et à la limite de l’antisémitisme typique de sa famille politique lepéniste,  en veut personnellement à la self-made woman Dominique Nouvian-Folloroux-Ouattara et le fait savoir au monde entier.  Houdin nous avoue donc, dès l’introduction  à la dernière partie de son livre, la vraie histoire dont les deux cents trente pages précédentes n’étaient qu’un alibi:

« Mais cette histoire en cache une autre, déterminante: celle de l’ascension improbable d’une jeune femme venue de nulle part pour, finalement, régenter un pays au terme d’un parcours sublimé par une communication aussi bruyante que pernicieuse. » (p.230)

Le chapitre 2 de la troisième partie du livre est consacrée à ternir, si ce n’est diaboliser la première dame de Côte d’Ivoire. Sa jeunesse est traitée d’ « anonyme »(p.250), comme si celle de Houdin était reluisante. Houdin nie qu’elle ait de l’instruction scolaire et universitaire (p.251). Houdin lui attribue entre les lignes le « décès brutal »  en 1984 de son premier époux (p.251); lui prête des familiarités avec un autre homme, du vivant de son premier  époux (p.251); Houdin accuse Dominique Folloroux de n’avoir pas été affectée par le décès de son premier époux (p.251), en se basant volontiers sur une anecdote de barbecue qu’il tiendrait d’un ami abidjanais (p.251). Houdin attribue à la jeune veuve de 31 ans, « une force de conviction très féminine » (p.252), grâce à laquelle elle serait finalement devenue « l’incontournable maîtresse du palais ». (p.252). A cette « extrême féminité », Houdin raccroche l’amitié du gouverneur Lamine Fadiga, la rencontre avec le Dr Alassane Ouattara à Dakar, l’entrée dans les affaires du président Houphouët-Boigny comme gestionnaire de biens immobiliers. 

Niant aveuglément toute capacité professionnelle, toute saine intelligence, tout mérite personnel indépendant de son « extrême féminité » à Dominique Nouvian-Folloroux, Bernard Houdin a donc tout loisir de procéder au martèlement des quatre thèses favorites de la vulgate des Refondateurs et du camp de l’ivoiritÉ contre le Dr Alassane Ouattara depuis 1989. Elles sont déballées du chapitre 3 de la troisième partie à l’épilogue du livre:

Thèse 1: ADO devrait son ascension à la seule entregent de Dominique Nouvian-Folloroux auprès du président Félix Houphouët-Boigny.

Thèse 2: ADO aurait complètement échoué sa mission de redressement de l’économie ivoirienne dans les années 90.

Thèse 3: ADO est de mille façons possibles un citoyen burkinabé et d’aucune façon possible un citoyen ivoirien. Dès lors, il n’est pas éligible aux fonction législative ou présidentielle encadrées par l’article 35 de la constitution ivoirienne de 2000. 

Thèse 4: le héros des héros de la Côte d’Ivoire contemporaine, c’est le prisonnier de La Haye, Laurent Gbagbo, l’homme pur et sans tâche, crucifié pour son Eburnée bien-aimée. Que c’est attendrissant!

Il importe à présent de soumettre les quatre thèses-foutaises de Houdin au scalpel des réalités historiques.

IIBernard Houdin: entre complexes d’infériorité et propagande éhontée

Antithèse 1: Houdin souffre d’un double complexe d’infériorité envers les Ouattara

La première thèse de Bernard Houdin, qui sert de pilier fondamental ou de pierre angulaire à l’édifice de son livre est en réalité l’expression d’un double complexe d’infériorité, qui le travaille autant face à la carrière exceptionnelle de la française blanche Dominique Nouvian-Folloroux que devant la baraka politique incontestable du président ivoirien Alassane Ouattara. Le premier aspect du complexe s’explique par les échecs successifs de l’entrepreneur Houdin en Côte d’Ivoire. Entre expatriés français de Côte d’Ivoire, le succès ne vaut pas que des amis. Certains, beaucoup plus anciens, supportent mal que les nouveaux-venus triomphent là où eux se morfondent encore dans des galères interminables.  Lui, Houdin, le fils de colon, venu à un an en Côte d’Ivoire, le 29 juillet 1950 rougit de jalousie devant la fille d’un pied-noir d’Algérie, qui aurait dû poursuivre une vie anonyme d’exilée sans relief. Pendant que Houdin, revenu en Côte d’Ivoire après avoir échoué à se faire un nom en France, se bat comme un diable, travaille pour un Hamed Bassam qu’il idolâtre, se défonce stérilement  pour faire marcher une petite entreprise de ramassage d’ordures à Abidjan, voilà une tard-venue, Dominique Nouvian-Folloroux-Ouattara, qui devient magnat de l’immobilier en Côte d’Ivoire et sur tous les continents, avec un brio et une maestria insupportable pour le loser du Front National!  La chose se redouble d’autant plus que l’homme qu’aime Dominique Nouvian-Folloroux, Alassane Ouattara, a aussi le succès que les mentors ivoiriens de Houdin n’auront point: Hamed Bassam, Essy Amara, Aboubacar Diaby Ouattara, Mamadou Ben Soumahoro, Laurent Gbagbo, et bien d’autres figures surestimées par Bernard Houdin finissent au pied du Bravetchê, tôt ou tard dans leurs carrières. Ce sont des losers de première. Et ainsi, le couple Ouattara, par son leadership, incarne réellement le double échec français et africain de Bernard Houdin. Ce plumitif ne gagnerait-il pas à reconnaître tout simplement que Madame Dominique Ouattara doit son parcours exceptionnel à son sens des affaires, à sa persévérance entrepreneuriale et à sa force de conviction, qui ne sauraient se réduire à une beauté naturelle qu’on ne va tout de même pas lui reprocher sans choir dans une jalousie infantile?  Bernard Houdin peut-il effacer le parcours scolaire, universitaire, professionnel exceptionnel du Dr Alassane Ouattara avant son arrivée à la tête du gouvernement ivoirien à la fin des années 80? Loin de devoir son ascension professionnelle et politique à quelque corruption, le CV professionnel africain et mondial d’Alassane Ouattara fut manifestement l’argument de poids que Félix Houphouët-Boigny, à la tête d’un Etat en faillite, prit en compte pour sauver la Côte d’Ivoire de la descente aux Enfers. Peu importe que le futur premier ministre ait été introduit auprès du président Houphouët par untel ou une telle. L’objectivité de son profil atteste qu’il avait parfaitement la carrure de l’emploi. Et donc, où est le crime? Houdin aurait pu prendre la nationalité ivoirienne et venir concourir. N’était-il pas là depuis 1950? 

Antithèse 2: Houdin ignore le vrai bilan du gouvernement Ouattara 1990-1993

Page 269 de son livre, Houdin prétend donc que le bilan du gouvernement Ouattara 1990-1993 fut « peu glorieux ».  Ouattara a-t-il trouvé les vaches grasses ou les vaches maigres en Côte d’Ivoire? Pour dresser le bilan d’une situation économique, comment ne pas au départ procéder à un diagnostic de la situation prévalant avant l’entrée de l’acteur dont on dévalue volontiers l’apport? Pressé de faire feu de tout bois, Houdin escamote la description de l’économie ivoirienne d’avant Ouattara, qui était en réalité un système en chute libre et vertigineuse, après de nombreux échecs de plans économiques superficiels et improductifs, tel celui tenté par le ministre de l’économie Koumoué Koffi dès 1986, avant que le Dr Ouattara ne débarque à la demande pressante de Félix Houphouët-Boigny. Houdin, naïvement, écrit donc: « Dès la première année de prise de fonction d’Alassane Ouattara, en 1990, le taux réel de croissance du Produit intérieur brut (PIB) devient négatif, enregistrant une chute catastrophique de 3,6% en un an. Pendant tout le reste de sa mandature, interrompue par la mort du président en exercice, le taux de croissance est resté négatif ou nul, une première dans l’histoire de Côte d’Ivoire. » (p.267).  Bernard Houdin ne voit même pas qu’il reconnaît que la chute du PIB en 1990 était la résultante des politiques menées depuis 30 ans de crise en Côte d’Ivoire, et non la conséquence de l’entrée en scène d’ADO. Pis encore, Houdin ne voit pas que réussir à stabiliser le bateau Ivoire dans les conditions catastrophiques ou Ouattara le prend en main en 1990-1993, ce fut une prouesse en soi! Heureusement, des économistes plus alertes décrivent mieux que l’amateur Houdin, le contexte de l’oeuvre de sauvetage menée par ADO: 

« La décennie 1970 a été celle de l’explosion du budget d’investissement de l’État, où l’investissement public atteignait à lui seul plus de 15% du PIB. C’est l’époque des gros investissements agro-industriels : sucre, huile de palme, hévéa, mais aussi des grandes infrastructures, routes, ponts, télécommunications, logements sociaux. Avec les programmes d’ajustement structurel des années 1980, l’investissement public connaît une chute brutale: 10% du PIB en 1983, 4% en 1987,2,8% en 1991. La Banque Mondiale impose en sus de cette réduction une réorientation des flux publics d’investissement vers les secteurs de l’éducation et de la santé, au détriment du financement des infrastructures et des grandes sociétés publiques. 

En ce qui concerne les investissements privés, il est important de souligner qu’ils n’ont jamais été très élevés en Côte d’Ivoire. Culminant à 18% du PIB au plus fort du «miracle ivoirien» des années 1970, ils ont connu une dégringolade ininterrompue jusqu’en 1993, où ils étaient tombés à environ 4% du PIB. Cette faiblesse a plusieurs explications. La première est la faible contribution des investissements étrangers à l’ensemble de l’investissement privé: entre 10 et 15% de leur montant global, contre plus de 40% dans les pays émergents d’Asie. 

La deuxième, plus fondamentale, est la difficulté qu’a toujours, rencontré l’investissement privé à se financer localement. Le taux d’épargne est structurellement faible en Côte d’Ivoire, du fait du rapatriement des revenus de la main d’oeuvre immigrée et de celui des bénéfices des entreprises étrangères, mais aussi à cause des importants transferts rendus nécessaires par le remboursement de la dette. Résultat: les promoteurs privés ne peuvent se passer (cf. ci-dessous, notre article sur les entreprises en création) des financements extérieurs pour le montage de leurs investissements, financements toujours insuffisants à satisfaire la demande d’un secteur privé structurellement bridé. » (http://afriquepluriel.ruwenzori.net/cote%20d’ivoire-f.htm)

Comment Houdin peut-il faire porter au premier ministre d’Houphouët-Boigny des fragilités structurelles venues de trente ans de pilotage centraliste et psychorigide de l’économie ivoirienne?  L’impatience d’accuser est liée chez Houdin, à l’empressement d’ignorer ce dont il nous parle.

Antithèse 3: ADO est bel et bien ivoirien, mais a étudié et bénéficié des prestations étatiques de la Haute-Volta/Burkina Faso comme beaucoup d’autres ressortissants étrangers vivant dans les pays voisins de la sous-région.

Qu’on arrête de nous perdre franchement le temps avec la sempiternelle rengaine de la non-ivoirienneté d’ADO! Gbagbo, en 1995 a boycotté la présidentielle pour la simple et bonne raison qu’il voulait une présidentielle inclusive, avec ADO candidat comme lui, face à Bédié. Gbagbo savait donc ADO ivoirien. En 2000-2001, notamment au fameux forum de réconciliation organisé sous sa présidence, Gbagbo a reconnu que l’article 35 de la constitution avait été expressément interprété par ses amis de la Cour Suprême Ivoirienne comme devant servir à exclure Alassane Ouattara de la présidentielle 2000. Et longtemps avant toutes ces prises de positions des mémoires politiques les plus célèbres de Côte d’Ivoire, le président Houphouët-Boigny, dont la parole solennelle est mille fois plus valable que toutes les insinuations d’un Bernard Houdin sur les lignages ivoiriens, prévenait ses compatriotes à la télévision nationale, en 1990: 

« J’ai fait venir auprès de moi, un jeune compatriote. Mais parce que beaucoup d’entre vous ne le connaissent pas, on parle d’étranger . C’est Alassane Ouattara. C’est un originaire de la grande métropole d’Astalor, Kong. Vous savez, la guerre de Samory, n’a pas épargné cette grande cité, dont les chefs précisément étaient les Ouattara. Sa mère est d’Odiénné. L’un de ses cousins a travaillé pendant huit ans avec moi à la CEDEAO, à Lagos. On ne l’a pas taxé d’étranger. Ce sont les gens de l’opposition qui inventent tout cela! Alassane Ouattara travaille avec une petite équipe pour essayer de trouver des moyens …pour permettre à la Côte d’Ivoire de poursuivre le développement économique. Nous le connaissons tous. Nous le connaissons pour sa grande compétence, pour son sérieux, pour son honnêteté, pour ses connaissances profondes du monde financier et bancaires, pour ses amitiés extérieures, surtout pour ses relations excellentes avec les deux grandes institutions financières internationales, le Fonds Monétaire et la Banque Mondiale. Nous le soutenons dans sa tâche difficile, et je pense qu’il va réussir… Je lui fais confiance, vous lui ferez confiance! »

Houdin peut-il mieux nous dire qui est le président Alassane Ouattara que le président Félix Houphouët-Boigny? Observons que tous ceux qui ont dédit ces paroles solennelles du père de la nation ivoirienne se sont littéralement maudits sur le plan politique et ont régulièrement échoué à traduire la haine anti-Ouattara en institution républicaine.

Antithèse 4: Les trois vrais héros-piliers de la Côte d’Ivoire contemporaine sont Alassane Ouattara (1990-2015) , Guillaume Soro (1995-2015) et Henri Konan Bédié(2005-2015),  dans l’ordre et la durée historique de leur engagement contre le poison idéologique ivoiritaire. 

La bibliographie de l’ouvrage de Houdin, p. 331 témoigne éloquemment de sa partialité inexcusable. Voici un soi-disant analyste qui ne lit surtout pas ses contempteurs. Jamais, il ne prend le risque pourtant nécessaire, d’être intellectuellement contrarié. Aux yeux de Houdin, seuls comptent les Le Lidec, Charles Onana, François Mattéi et Laurent Gbagbo, Leslie Varenne. Ces auteurs sont pourtant des négateurs par excellence de la cause principale du drame ivoirien. Tous les autres ne sont cités que lorsqu’ils abondent dans le sens souhaité par l’auteur.  Le livre de Bernard Houdin est en réalité un monument de négationnisme, car il est entièrement basé sur une omission fondamentale: la description des ravages de la doctrine politique de l’ivoirité est volontairement ignorée dans tout l’ouvrage. Intellectuellement parlant, cela n’est guère surprenant d’un ancien phalangiste de l’extrême-droite française, venu des rangs du Front National, un parti où la négation et la révision partisanes de l’histoire relèvent d’une tradition persistante. En refusant de thématiser l’ivoirité politique, construite par le FPI de Gbagbo et l’aile conservatrice du PDCI-RDA dès 1989, Bernard Houdin se donne ainsi les moyens de présenter le couple présidentiel ivoirien comme coupable d’intrusion dans la scène politique ivoirienne. Or, en prenant en compte l’instrumentalisation du thème identitaire en Côte d’Ivoire comme moyen d’empêcher la saine concurrence démocratique, Bernard Houdin aurait immanquablement été amené à reconnaître les trois grands héros tutélaires de la scène politique ivoirienne contemporaine.

D’abord, pour avoir dénoncé dès les années 90, le lynchage identitaire dont il était victime de la part des chauvins du FPI et de la droite conservatrice du PDCI-RDA, le Dr Alassane Ouattara a très tôt incarné, du vivant de Félix Houphouët Boigny, la souffrance des exclus de Côte d’Ivoire. Le schisme du PDCI-RDA en 1994, d’où naîtra le RDR, mais aussi la longue lutte pour la reconnaissance de l’égalité citoyenne de tous les Ivoiriens doivent à Alassane Ouattara et au RDR, leurs premières lettres de noblesse. Le coup d’Etat de 1999, qui renverse le président Bédié, est l’une des conséquences logiques de la politique discriminatoire que son régime, inspiré par les intellectuels de la CURDIPHE, a maladroitement menée. Bédié se ravisera plus tard de cette dérive fatale. Ouattara est incontestablement le héros de la république égalitaire ivoirienne. 

Ensuite, en octobre 2000, la prise du pouvoir à la hussarde par le FPI, après une transition putschiste manipulée par le Général Guéi aux détriments du RDR et de l’espoir d’égalité citoyenne suscité le 24 décembre 1999, conduit à la criminalisation généralisée de la politique ivoiritaire. Par centaines, le pouvoir Gbagbo donne la mort aux Ivoiriens qui n’ont pas la descendance préférée. Il contraint les autres à l’exil ou à la vie dans la honte. Le RDR et le PDCI-RDA sont réduits à la marginalité politique par la terreur, comme les événements de mars 2004 en témoigneront douloureusement plus tard. En septembre 2002, surgit dès lors l’ex-secrétaire général de la FESCI, qui avait déjà mené en 1998, un combat contre la confiscation ethnique des luttes citoyennes nationales par Laurent Gbagbo. Guillaume Soro, à la tête du MPCI/FN, va rétablir le rapport géostratégique des forces politiques en Côte d’Ivoire, contraignant Gbagbo à la négociation, au compromis, au consensus et à l’entrée dans le processus démocratique vrai, matérialisé par l’APO de 2007, puis les élections de 2010. On doit donc la république démocratique ivoirienne actuelle au courage citoyen de Guillaume Soro et de ses hommes. Guillaume Soro s’impose, par son courage et sa lucidité légendaire, comme le héros de la génération ascendante du 21ème siècle ivoirien. 

En 2005, enfin, Henri Konan Bédié, à la tête du PDCI-RDA entreprend courageusement de renoncer aux dérives de l’idéologie politique de l’ivoirité. Il crée avec Ouattara à Paris, le RHDP, qui va reprendre en main les fondamentaux de la philosophie politique houphouetiste: l’espérance, la paix, la fraternité, l’hospitalité, l’union, la discipline, le travail. Le président Bedié renie ainsi l’orientation identitaire de son régime de 1993 à 1999, pour rejoindre l’idée d’une Côte d’Ivoire républicaine, cosmopolite, sereine et non frileuse dans sa relation au reste du monde. Le président Bedié est un héros moral. Il a eu le courage du remords, et la force d’âme de se corriger avec sagesse, force et beauté. Les fautes reconnues font aussi les grands hommes. 

Par voie de conséquence, que Bernard Houdin ait réussi à écrire un livre de près de trois cents pages dans cerner la fécondité de ces trois piliers de la politique ivoirienne contemporaine, voilà qui est vraiment la preuve ultime que Houdin n’est qu’un écrivain anodin. Ou pire: un écrivain pour rien. Ceux qui lisent et entendent ce conseiller de Gbagbo depuis quelques années le savent cependant: avec Bernard Houdin, tout se réduit très vite en lard et boudin…

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi

Professeur agrégé de philosophie

Paris, France

 

 

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