Éditorial: Ivoirien nouveau = sanction

0
7

C’était en 1990. Nous étions au début de notre démocratisation. Et les affrontements entre partis politiques, par étudiants interposés, commencèrent à l’université. Le premier mort fut un certain Thierry Zébié. Tué à coups de pierres par ses camarades étudiants. Qui fut  sanctionné véritablement? Personne  à ma connaissance.

Zébié est le nom que ma mémoire a retenu. Mais il y eut toutes ces personnes lynchées par des étudiants dans des cités universitaires, parce que soupçonnées de vol. Sans que personne fronce le sourcil. Je me souviens de cet homme présenté comme un malade mental que des étudiants de Port-Bouët avaient tué, parce qu’il aurait volé un T-shirt.  Puis il y eut Habib Dodo. C’était vers la fin de 2004 ou en janvier 2005, je me souviens seulement avoir écrit ces lignes dans Fraternité Matin, le 15 janvier 2005: «  Il s’appelait Habib Dodo et était étudiant.

D’après ce qui a été rapporté dans la presse, il aurait été enlevé au domicile d’un leader politique par d’autres étudiants, emmené sur le campus où il aurait subi un simulacre de procès au terme duquel il aurait été condamné à mort et pendu publiquement devant d’autres étudiants. Son corps a été retrouvé, quelques jours plus tard, dans un sac, près de la clôture du campus. Que s’est-il passé ensuite ? Rien! Ou si peu. Quelques organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé ce crime et la vie a suivi son cours normal. Jusqu’à ce jour, aucune arrestation n’a eu lieu.

Y a-t-il seulement une enquête pour essayer de retrouver les assassins de Habib Dodo ? L’état ne s’est pas senti concerné. A-t-on entendu un intellectuel, un leader politique ou religieux dénoncer ce crime abominable ? Ce n’était sans doute pas nécessaire, puisqu’il s’agissait d’une histoire d’étudiants. Mais lorsqu’une histoire d’étudiants se termine de cette façon, cela devient une histoire de notre société. Dans quelle société sommes-nous ? On dira que nous avons fabriqué des monstres. Mais les monstres ne naissent-ils pas aussi parfois de monstres ? Quelle société avons-nous fabriquée ? N’est-ce pas parce que notre société est devenue elle-même monstrueuse qu’elle crée de tels monstres ? »

A cette époque, personne n’avait réagi. Aucun magistrat, aucun ministre, aucune autorité. Et les étudiants continuèrent leurs forfaits. Ce fut, par la suite, une jeune fille qu’ils violèrent sur le campus. Puis, lorsque le pouvoir de Laurent Gbagbo prit fin, on découvrit plusieurs tombes et ossements sur le campus et à la cité universitaire Port-Bouët 3. Oh! il y eut beaucoup d’autres crimes encore plus horribles dans le pays à cette époque. Mais nous nous en tenons aujourd’hui à ceux commis par les étudiants dont nous avons eu connaissance. Jusqu’à ce jour, aucun magistrat n’a jugé utile d’ouvrir le dossier Habib Dodo. Y a-t-il eu prescription ? Pas du tout ! Le procès des présumés assassins de Robert Guéï vient de s’ouvrir. Son meurtre est antérieur à celui d’Habib Dodo. Mais, sans doute, se dit-on que l’affaire de ce jeune homme est une histoire d’étudiants. Il n’y a donc pas de quoi gâcher la sieste d’un magistrat.

En son temps, on n’avait pas jugé les meurtriers de Thierry Zébié. Alors, pourquoi veut-on que les étudiants arrêtent de commettre des crimes ? L’un d’entre eux, Christian Wilfried Konin, a été tué, il y a  un mois, par ses camarades. Et cela n’a ému absolument personne dans ce pays. à part, peut-être, mon confrère et ami André Silver Konan. Aucun magistrat ne s’est senti concerné. Ni aucun leader politique ou religieux. Comme lorsque Habib Dodo avait été assassiné. Aujourd’hui, on parle de dissoudre des syndicats d’étudiants, d’exclure des étudiants de l’université ; il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre, et personne ne parle du plus facile, du plus simple à faire dans un État qui se veut de droit et qui est la poursuite des assassins.

Oui, André Silver Konan le répète tous les jours dans son billet : le plus simple à faire qui résoudrait tous les problèmes du même coup est de rechercher et sanctionner ceux qui ont tué cet étudiant, comme le prévoient nos lois. Est-il impossible, dans ce pays, de rechercher et d’arrêter les  assassins de Christian Wilfried Konin ? Quel est donc cet Ivoirien nouveau que l’on veut voir émerger si l’on n’est pas capable de sanctionner nos enfants lorsqu’ils commettent des fautes aussi graves que des meurtres ? Croyons-nous vraiment que nous pourrons faire émerger notre pays si nous bannissons le mot « sanction » de notre vocabulaire ? Quelle société voulons-nous donc bâtir si nous autorisons nos étudiants à tuer, à violer en toute impunité ? Est-ce cela la recherche de l’émergence ? En vérité, en vérité, je vous le dis, tant que nous n’aurons pas mis définitivement fin à l’impunité dans ce pays, nos enfants deviendront de plus en plus monstrueux et ce sera cela, l’Ivoirien nouveau dont on parle depuis quelque temps.

Venance Konan

Frat-Mat

 

Auteur :

Source :

Commentaires facebook

Mettez votre commentaire

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here