Côte d’Ivoire : une année et trois défis pour Alassane Ouattara

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En tête des priorités du président Ouattara cette année : la fusion des deux partis de la majorité, une nouvelle Constitution et des élections législatives. Réussira-t-il le triplé ?

La scène se déroule au domicile d’un baron du Rassemblement des républicains (RDR, parti présidentiel), à Abidjan, début mars. Il y a là un ancien ministre, quelques militants et des journalistes. En ce début de soirée, on se remémore la dernière campagne présidentielle et son lot de coups bas, et, surtout, on débat des stratégies à adopter dans les mois et les années à venir.

En ligne de mire : la présidentielle de 2020… Si tous reconnaissent que le second mandat d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) vient de débuter et qu’il faut, par respect et par calcul, éviter d’aborder publiquement la question de sa succession, cette dernière est déjà dans les esprits – qu’il s’agisse de ceux des membres du RDR, de ses alliés du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ou des opposants du Front populaire ivoirien (FPI, lire pp. 85-89).

Vives tensions sur la réunion des deux partis

Tous savent aussi que cette échéance majeure sera précédée d’un long chemin de croix, dont l’année 2016 sera une étape déterminante. Et pour cause, l’agenda politique de cette année s’annonce plus que chargé. À la manœuvre, le président Ouattara, qui imposera son tempo.

Première étape : la fusion de son parti, le RDR, et du PDCI, d’Henri Konan Bédié. Prévue de longue date, depuis le désormais célèbre appel de Daoukro (qui, en septembre 2014, a scellé le ralliement du PDCI à la candidature unique d’ADO à la présidentielle de 2015), cette fusion n’a toujours pas eu lieu. Elle semble même avoir du plomb dans l’aile.

Annoncée pour mars-avril par le chef de l’État lui-même, puis pour juin, l’unification pourrait n’être effective qu’en septembre. « Un délai imputable à quelques retards à l’allumage », selon des proches du président. « Qui ne remettent pas du tout en question le processus, ni la volonté des deux partis de s’unifier, s’empressent-ils d’ajouter. Le parti unifié se fera. »

Encore que la « volonté des deux partis » semble plutôt être celle de leurs deux leaders. Car, à y regarder de plus près, « l’affaire est compliquée », comme le disent les Ivoiriens. Elle tourne même au dialogue de sourds.

Au PDCI – où l’on semble davantage préoccupé par l’organisation des festivités des soixante-dix ans du parti -, l’annonce, mi-février, d’un éventuel changement de nom a été vécue comme une trahison. En interne, les jeunes, notamment, ont du mal à avaler la pilule et se rapprochent du trio des frondeurs (et candidats à la présidentielle d’octobre 2015) : Amara Essy, Charles Konan Banny et Kouadio Konan Bertin (KKB), qui, malgré leur silence, n’en sont pas moins déterminés à contrer les plans de Bédié. Tous craignent une unification qui reviendrait à une mise sous tutelle de leur parti.

Ce soir-là, toujours au domicile du cacique du RDR, on s’emporte aussi. « Il est clair qu’on ne leur donnera pas le pouvoir en 2020. Nous n’avons jamais promis cela ! »

Et qu’importe si l’appel de Daoukro comprenait bien ce passage : « L’objectif d’une telle candidature [unique, en l’occurrence celle de Ouattara] est double : d’abord, assurer le succès du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix [RHDP, dont sont membres le PDCI et le RDR] aux élections de 2015 dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire et de la paix.Ensuite, aboutir à un parti unifié, PDCI-RDR, pour gouverner la Côte d’Ivoire, étant entendu que ces deux partis sauront établir entre eux l’alternance au pouvoir dès 2020. »

Une réforme constitutionnelle controversée

La deuxième grande étape de cette année marathon sera le référendum constitutionnel. La nouvelle Constitution, promise elle aussi lors de la dernière campagne électorale, devrait être soumise à la consultation populaire dans le courant du quatrième trimestre. Son but : moderniser le texte fondamental et le débarrasser de toutes dispositions « confligènes », selon les termes du Conseil constitutionnel, telles que la fameuse clause « d’ivoirité » pour les candidats à la présidence de la République.

Que contiendra-t-elle ? La redéfinition du rôle de la Cour suprême et de la Commission électorale indépendante (CEI) ? Une modification des conditions d’éligibilité (notamment l’âge) à la magistrature suprême ? La création d’un Sénat ? Les rumeurs vont bon train. Et l’élaboration du projet de texte est entre les mains des juristes de l’équipe d’Ibrahim Cissé Bacongo, nommé mi-février conseiller spécial à la Présidence (lire p. 82), qui dit avoir abandonné l’idée de supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels, qu’il prônait encore en janvier.

Autour de la table du cadre du RDR, la question divise les convives. D’un côté, ceux qui pensent qu’ADO est le seul à pouvoir annihiler les ambitions de son camp et éviter au pays une guerre de succession en 2020. De l’autre, ceux qui rappellent qu’il a déjà affirmé plusieurs fois, et publiquement, qu’il ne se représenterait pas après deux mandats.

Parmi les possibles nouvelles dispositions constitutionnelles, la création d’un poste de vice-président alimente des débats tout aussi vifs. À qui reviendrait-il ? À un allié du PDCI ou à un fidèle du président ? Un tel poste est-il concevable sans que son détenteur ait été élu par les Ivoiriens ? Ce vice-président serait-il le deuxième personnage de l’État, avant le président de l’Assemblée nationale ? Et avant, donc, l’actuel « dauphin », Guillaume Soro ?

Des questions cruciales pour l’avenir de l’ancien chef des Forces nouvelles, mais aussi pour le rôle du Parlement, qui devrait être renouvelé en décembre. Boycottées en 2011 par le FPI de Gbagbo, les législatives devraient voir s’affronter en 2016 toutes les forces de l’échiquier politique. Un véritable test, qui permettra de mesurer le poids électoral de chacun.

Les législatives à venir, moment clé pour l’opposition

Les résultats des candidats RHDP seront examinés à la loupe. Tout comme ceux des candidats des « deux » FPI (tendance Affi N’Guessan et tendance Aboudramane Sangaré), qui ont annoncé leur participation. L’occasion pour ces derniers de s’affronter dans les urnes plutôt que dans la presse ou devant la justice, pour des plaintes – « violations des textes du parti » ou « usage abusif de logo » – qui n’ont de sérieuse que leur capacité à encombrer les tribunaux.

Qui a le soutien de l’électorat de Laurent Gbagbo ? Qui sera le véritable chef de l’opposition ? La surprise pourrait venir des indépendants. Entre les « frondeurs » de tous bords et les nombreux jeunes qui se bousculent au portillon, le banc de ceux qui se présentent sans le soutien d’un grand parti devrait être très fourni, comme à l’issue des législatives de 2011 et des municipales de 2013.

Fusion des deux partis au pouvoir, réforme constitutionnelle, élections législatives… L’organisation de ces trois échéances, qui devraient se succéder dans cet ordre, un peu comme dans un jeu de dominos, soulève déjà de multiples interrogations. De quoi donner la migraine aux Ivoiriens, qui se demandent, tout simplement, à mesure que les mois s’écoulent, si le marathon 2016 ne va pas se transformer rapidement en un sprint éreintant.

Grogne sociale à l’horizon ?

Contrairement à 2015, année de la présidentielle, 2016 devrait être marquée par une poussée des revendications sociales. En effet, si lors de son premier mandat Alassane Ouattara pouvait aisément – à tort ou à raison – expliquer la faible dimension « sociale » de sa politique par le contexte postcrise et la nécessité de reconstruire le pays, beaucoup d’Ivoiriens attendent de son second mandat une meilleure redistribution des richesses et une meilleure prise en compte de leurs doléances.

Même si, comme le rappellent ses fidèles lieutenants, les dépenses en faveur des pauvres représentent aujourd’hui près d’un tiers du budget de l’État. Rien qu’en avril, alors que les enseignants du primaire et du secondaire réclamaient des arriérés de salaires et organisaient des grèves, les étudiants de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), en grève également, ont affronté à plusieurs reprises les forces de l’ordre sur les campus du pays. Ils réclament notamment de meilleures conditions d’études et une revalorisation des bourses.

Haby Niakate

Jeuneafrique.com

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