Pacification des campus universitaires ivoiriens : pourvu que les acteurs soient de bonne foi

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A l’initiative de Sa Majesté Jean Gervais Tchiffi Zié, Secrétaire général permanent du Forum des Rois, Sultans et Leaders traditionnels d’Afrique, une dizaine d’associations ou de syndicats ivoiriens d’étudiants a signé une charte à l’effet de pacifier les campus universitaires. Cet acte est une bonne chose. Il l’est d’autant plus que le texte a été rédigé de manière consensuelle par les responsables des syndicats. Tout en n’écartant pas l’hypothèse que le pouvoir ivoirien pourrait avoir suscité l’initiative du secrétaire général permanent des Rois, sultans et leaders traditionnels d’Afrique, Sa Majesté Tchiffi Zié, force est de reconnaître que la signature de cette charte, en elle-même, représente un pas dans la bonne direction. En effet, depuis pratiquement 1990, date à laquelle, sous l’effet conjugué de la rue ivoirienne et de la communauté internationale, notamment la France de François Mitterrand, la Côte d’Ivoire s’est pliée au principe du multipartisme, les campus ivoiriens se sont transformés en chaudrons.

Houphouët Boigny avait mis un point d’honneur à garantir un minimum aux étudiants

Avant 1990, le parti unique de l’époque, le PDCI/RDA, via le Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire, le MEECI, avait réussi, tant bien que mal, à contenir les ardeurs des étudiants, si fait que les campus universitaires présentaient un visage relativement civilisé. En plus de l’action du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire), il faut ajouter que ce climat a été rendu possible par le fait que le pouvoir de Félix Houphouët Boigny avait mis un point d’honneur à garantir un minimum aux étudiants tant du point de vue de leurs conditions d’études que de vie. Mais après le « vieux », la précarité et la misère ont pris possession des campus universitaires. Cette clochardisation des étudiants ivoiriens a eu pour conséquences, entre autres, de les  pousser à jeter leur dévolu sur le mouvement syndical à l’effet d’inverser la tendance. Cette mutation vient illustrer la thèse des marxistes selon laquelle, ce sont les conditions d’existence des hommes qui déterminent leur conscience. Dans le cas d’espèce, c’est le Front populaire ivoirien (FPI) de l’ancien président Laurent Gbagbo, qui a exploité la situation en sa faveur en suscitant l’avènement de la célèbre FESCI (Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire), consacrant ainsi l’entrée de la politique dans les campus universitaires. Dès lors, les partis rivaux du FPI, notamment le RDR d’Alassane Ouattara, ont voulu équilibrer les choses en suscitant la création d’autres syndicats acquis à leur cause. Naturellement, tout le monde s’en défend, mais à l’analyse, l’on peut se rendre vite compte que « c’est cela qui est la vérité », pour reprendre une expression dont les Ivoiriens sont friands. A partir de là, les syndicats d’étudiants se sont transformés pour devenir des endroits où l’on fait la politique par procuration. Et pour ne rien arranger, la crise ivoirienne est passée par là, avec ses relents d’ivoirité et de tribalisme. Dès lors, l’argument des gourdins et des machettes a pris le pas sur le discours de la défense des intérêts matériels et moraux des étudiants. Ce glissement mortifère avait fini par faire des espaces universitaires, des sanctuaires du racket, du viol et des pratiques addictives. Toutes choses qui sont aux antipodes de l’essence d’une université digne de ce nom.

Le plus grand danger qui guette la charte pourrait être la mauvaise foi des signataires

En effet, cet endroit, par définition, ne peut pas s’accommoder de la violence telle que l’on l’observe sur les campus universitaires ivoiriens depuis pratiquement deux décennies. La préoccupation n’est pas de transformer les campus en des cathédrales, mais de faire d’eux des véritables temples du savoir, de la dialectique constructive et du savoir-être. En tout état de cause, il était grand temps de mettre le holà sur cette sorte de « favélisation » des campus universitaires ivoiriens. Maintenant, une chose est de signer une charte allant dans ce sens, une autre en est de la mettre en application. Et le fait d’amener les signataires à jurer sur le Coran ou la Bible ne garantit absolument rien. D’ailleurs, l’on peut se risquer à dire que ce geste, dans une République qui a opté pour le paradigme de la laïcité, est une incongruité. En outre, il ne lie aucunement personne, en dehors de sa dimension morale. C’est dire si le plus grand danger qui guette la charte, pourrait être la mauvaise foi des signataires. Il n’est donc pas exclu que les clivages politiques refassent surface pour la mettre en péril. Ce risque est d’autant plus grand que la Côte d’Ivoire n’est pas encore parvenue à réconcilier ses fils et filles, malgré certains discours optimistes ambiants. Et dans ce contexte, toutes les revendications, même celles qui sont en phase avec les intérêts matériels et moraux des étudiants, courent le risque d’être interprétées en fonction des chapelles politiques. Car, en Côte d’Ivoire, l’on a coutume d’entendre une boutade qui dit ceci à propos de la politisation à l’extrême des campus universitaires : « Dis-moi de quel syndicat tu es, et je te dirai de quel bord politique tu réponds ». Et cette boutade pourrait se vérifier au regard de la foultitude de syndicats qui écument aujourd’hui les campus universitaires ivoiriens. Car, si tous ces syndicats avaient pour vocation de défendre les véritables intérêts des étudiants, un et un seul aurait suffi.

« Le Pays » (Burkina Faso)

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