Lettre ouverte d’un confrère africain aux journalistes de Côte d’Ivoire : Ça suffit, voici vrai problème

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Un journaliste africain résidant aux USA a décidé de prendre part au débat sur la nouvelles lois sur la presse en Côte d’Ivoire. Nous publions sa lettre ouverte pour contribuer au débat d’idées. Des contributions contraires sont attendues. 

En Côte d’Ivoire un projet de modification d’une nouvelle loi sur la presse défraie à tort la chronique. J’ai un peu du mal à comprendre la colère de mes confrères journalistes de ce pays face à une loi qui n’est dans une certaine façon, que le clone de la loi actuelle jugée pourtant comme une loi progressiste.. Les organisations professionnelles se seraient réunies et auraient produit une déclaration, de façon unanime contre le nouveau projet de loi, après avoir protesté bruyamment au sein de l’Assemblée nationale.

Entre l’ancienne et la nouvelle loi , je ne vois vraiment pas ce qui a vraiment changé sur la question de la répression, alors qu’au niveau des bons points , il y’a des avancées. Je note , en attendant de faire une analyse comparée approfondie , que la garde à vue est désormais interdite. Puisque les délits de presse ne font pas l’objet d’emprisonnement, le gouvernement ivoirien a estimé qu’il ne sert à rien de permettre la garde à vue. Comment qualifier de liberticide un projet de loi, qui « acte » une telle avancée au sujet des « simples et stricts » délits de presse , n’ayant aucun rapport avec les délits commis par voie de presse, qui ne sont pas considérés par le code pénal comme des délits de presse classique. 

Dans le projet de nouvelle loi sur la presse, la presse en ligne ou numérique est désormais régulée et prise en compte. Cette presse, selon ma compréhension du projet, sera maintiennent prise en compte dans l’aide à la presse, alors qu’elle était livrée à elle-même et sans avenir depuis plusieurs années, malgré le développement de ces médias.

D’autres avancées demandées par les professionnels ont été prises en compte dans la foulée des États généraux tenus à Yamoussoukro sous la houlette de l’ancien ministre Diakité Coty.  Parti du gouvernement, celui-ci avait été remplacé par l’ex ministre Affoussiata-Bamba Lamine qui s’était appuyée sur le rapport de ces États Généraux pour convoquer un séminaire, dans la ville balnéaire de Grand-Bassam, deux ans avant les attentats.

Il m’est revenu de mes sources , qui sont excellentes en Côte d’Ivoire, que les professionnels et acteurs du secteur des médias, ont été consultés ; et leurs observations prises en compte. Des réunions ont été organisées avec tous les acteurs. C’est même l’ensemble de tous ces échanges, qui a permis la rédaction d’un texte consensuel, à la demande des professionnels qui avaient demandé de faire avancer une loi jugée avant-gardiste, mais qui une dizaine d’années après, marquait ses limites.

Adopté par le gouvernement ivoirien conformément à un mode opératoire impliquant tous les acteurs , le nouveau texte de loi a été transmis à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire dès septembre 2016.

Lors de l’adoption de la loi par le gouvernement ivoirien, le ministre Bruno Koné en sa qualité de porte-parole avait dévoilé à la satisfaction de tous les avancées. Il ne savait pas quelques mois plus tard , il remplacerait sa collègue Affoussiata Bamba pour défendre le même texte que celle-ci devait présenter en commission en décembre 2016.

La date des débats avait été programmé et sur les réseaux sociaux , il me souvient avoir lu des commentaires positifs et enthousiastes au sujet de ce texte. À cette période , aucune critique ne s’était fait entendre. N’eut été la campagne électorale pour les législatives mobilisant la ministre Affoussiata Bamba en qualité de candidate à Cocody , la loi aurait été votée depuis décembre 2016. 

Le projet de loi portant régime juridique de la presse que l’ex ministre Affoussiata devait présenter au nom du président ivoirien Alassane Ouattara,  aux parlementaires , pour la deuxième session ordinaire 2016 , comportait 101 articles, tandis que celui de 2004 en contenait 106.

« La loi du 14 décembre 2004 , qui à l’époque de son adoption paraissait telle une loi avant-gardiste, se révèle aujourd’hui, inadaptée aux exigences du moment», soulignait Alassane Ouattara , dans l’exposé des motifs.

Tenant compte des recommandations formulées lors des États Généraux de la presse ivoirienne , tenus à Yamoussoukro du 29 au 31 Août 2012, le nouveau projet de la loi sur la presse visait dans son projet d’adoption à participer au renforcement du principe de la liberté de la presse.

L’article 24 du titre IV relatif au directeur de publication stipulait que le directeur de publication doit être un journaliste professionnel de nationalité ivoirienne ; avoir une expérience professionnelle d’au moins dix ans, être majeure et jouir de ses droits civils et civiques , alors que la loi de 2004 faisait pas obligation des deux premiers points en son article 20. Une disposition un peu discutable, mais proposée par les professionnels qui trouvaient anormal qu’un menuisier , un jardinier , un médecin , un politicien , bref quiconque, puisse être patron légal d’un journaliste sans rien connaître au journalisme. 

Les conditions de création de l’entreprise de presse avaient été assouplies , avec pour objectif de les rendre conformes au cadre légal en vigueur en matière de création d’entreprise, notamment l’Acte Uniforme du traité OHADA relatif aux droits des sociétés commerciales et aux groupements d’intérêt économique. Toute entreprise de presse devrait être désormais créée sous la forme d’une société commerciale conformément aux dispositions légales en vigueur dans l’article 3 du TitreII qui ne fait plus mention d’un capital social comme dans l’ancien projet où il était exigé au moins à cinq millions(5.000.000f) de francs.

La garde à vue, la détention préventive et la peine d’emprisonnement pour les infractions commises par voie de presse ou par tout autre moyen de publication sous réserve des dispositions de l’article 90 ( article x ancien ) qui punit d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 300.000 à 3.000.000 de francs , quiconque par voie de presse ou par tout autre moyen de publication incite au vol et au pillage, au meurtre , à l’incendie et la destruction par quelque moyen que ce soit , de biens publics et privés (…), incite à la xénophobie, à la haine tribale, à la haine religieuse, à la haine raciale sous toutes ses formes etc.

La réduction des amendes pour toutes offenses était remarquable dans le nouveau projet de loi qui part de 300.000f à 5.000.000f, par rapport à la loi de 2004 où les amendes s’élevaient jusqu’à 15.000.000 de francs.

Le Conseil national de la presse(CNP) qui était composé de onze(11) membres dans l’ancienne loi passait à douze(12) membres avec la suppression du poste du représentant des associations de consommateurs.

Dorénavant, une personne désignée par les agences conseil en communication et une autre désignée par les producteurs d’informations numériques devaient en être membres.

Le nouveau projet de loi proposait également dans sa mouture de septembre transmise au parlement deux autres amendements relatifs aux nouveaux types de médias notamment l’information numérique, celle diffusée par le biais de l’internet ou encore par les réseaux de téléphonie mobile ; la qualité de journaliste professionnel étant exigée à tout ivoirien qui doit occuper cette fonction.

C’est ce projet de lois qui comportait treize(13) titres et 101 articles, devait être adopté par les députés ivoiriens dans les jours à venir , en tout cas avant la fin de l’actuelle législature.

D’où vient-il que les journalistes ivoiriens se réveillent seulement maintenant, pour liberticide cette loi applaudie et salué hier  ?  La nouvelle loi adoptée récemment en commissions par les députés ivoiriens , est bel et bien la même que celle transmise depuis septembre 2016 au Parlement .

 » Rien n’a changé ! Rien n’a été tripatouillé ! Bruno Koné, a juste ajouté des points omis, une virgule et quelques fautes de frappe dans le document. Rien d’autre », m’a confié un ami sur place à Abidjan. 

C’est deux ans avant, notamment en décembre 2014 que l’actuel projet de loi avait été mis en route au cours d’un séminaire à Grand-Bassam,  sur la révision de la loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire. C’est à ce séminaire que les participants avaient adopté un projet de loi qui intègre des dispositions destinées à réglementer les services de l’information numérique.

« Ces dispositions nouvelles viennent combler un vide, et placent la Côte d’Ivoire au rang des premiers pays africains à légiférer en la matière », avait relevé la ministre ivoirienne alors en charge de la Communication, Affoussiata Bamba-Lamine, dans un discours lu par son chef de cabinet, Marie-Paule Yacé, lors de la clôture de ce séminaire auquel avaient participé une soixantaine d’acteurs du secteur de la presse.

Les participants, notamment des consultants nationaux et internationaux, des agents et dirigeants de médias publics et privés, des dirigeants de structures de régulation et sous tutelle du ministère de la Communication ainsi que des membres d’organisations professionnelles du secteur, avaient alors salué le projet d’érection du Conseil national de la presse en une Haute autorité de la presse qui devrait, au-delà de la presse écrite, co-réguler la presse numérique avec la Haute autorité de la communication audiovisuelle. Mais cette disposition avait été ensuite rétoquée, compte tenu des coûts élevés pour le fonctionnement. 

Que reprochent donc les journalistes à la loi avec l’article 90 rejetée : tout simplement d’avoir voulu mettre fin aux ambiguïtés entretenues par la loi-référence de 2004? 

Cette loi dite de référence, n’a pourtant pas empêché aussi bien sous le régime de l’ex Président Laurent Gbagbo, que sous celui du Président Ouattara, des poursuites contre les journalistes sur la base des dispositions du code pénal qui sont applicables aux journalistes, comme à « quiconque » et à tout citoyen ou habitant de Côte d’Ivoire.

En intégrant les dispositions du code pénal dans le nouveau projet de loi, il s’est s’agit pour les autorités ivoiriennes de mettre fin aux ambiguïtés, puisque ce sont les dispositions de l’article ancien, qui sont devenues l’article 90 nouveau. Rien n’a été inventé. Où se trouve alors le problème puisque rien n’a changé, puisqu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil ?

Ou bien mes confrères journalistes ivoiriens veulent donner raison à ceux qui affirment qu’ils n’ont pas apprécié la « dilution » du ministère de la communication au sein d’un autre ministère ?

Si tel est là cas, qu’ils posent clairement le problème et comprennent que Bruno Koné n’était pas demandeur , que cet serviteur de l’État avait déjà assez à faire avec les anciennnes attributions, en plus du porte-parolat. En réalité, le ministre Bruno Koné ne fait que porter un texte qu’il n’a pas élaboré, qui a été transmis aux députés depuis septembre 2016. Et qui avait été alors applaudi par ceux-là même qui semblent être victimes de leurs propres turpitudes…

Alors qu’elle a toujours été applaudie comme une avancée,  la fameuse loi de 2004 qui faisait peser une épée de Damoclès sur leurs têtes , et dont le projet de modification querellée n’est que la copie presque conforme sur le plan du rapport au code pénal, tout en comportant de véritables avancées sur lesquelles nous reviendrons., est pourtant le vrai problème pour les journalistes. 

J’en appelle à la responsabilité des journalistes et des acteurs des médias en Côte d’Ivoire. Je leur demande de sortir de l’émotion pour des débats de fonds en admettant que le vrai problème c’est la loi de 2004.

 La preuve elle permet jusqu’à ce jour des emprisonnements sur la base des dispositions du code pénal qui y sont contenues.  Si cest pour mettre en prison les journalistes, le gouvernement ivoirien de Laurent Gbagbo  à Alassane Ouattara n’a pas besoin de faire une nouvelle loi, puisque celle de 2004 règle le problème avec l’article ancien qui est devenu l’article 90 de la nouvelle loi. 

Dans mes recherches, je suis tombé sur cette contribution de l’ex ministre Affoussiata Bamba qui avait clôt le débat à sa façon :  » 1) Principe : la suppression de la peine d’emprisonnement. Aux termes de l’article 68 alinéa 1 de la loi n° 2004-643 du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse, « la peine d’emprisonnement est exclue pour les délits de presse ». L’article 68, alinéa 3 de la loi précitée énumère expressément les délits de presse pour lesquels la peine d’emprisonnement est exclue. Il s’agit de :

– délits contre la chose publique, notamment le délit d’offense au chef de l’Etat puni à l’article74 de la loi précitée ;

-délits contre les personnes et les biens, telles que les infractions de diffamation et d’injures punies à l’article 78 ;

-délits contre les chefs d’Etat et les agents diplomatiques étrangers réprimés à l’article 76 ; 
-contraventions aux publications interdites, notamment la violation de l’article 73 qui interdit la publication des secrets de la Défense nationale, du contenu des dossiers d’instruction, etc. ;

-délits contre les Institutions et leurs membres sanctionnés aux articles 79 et 80, à savoir les outrages aux membres du Gouvernement, aux membres de l’Assemblée nationale, au citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public, temporaire ou permanent, au juré ou à un témoin en raison de sa déposition.

Pour ces délits, la peine encourue est l’amende dont les montants sont déterminés aux articles 77,79 et 81 à 84 de la loi portant régime juridique de la presse. Toutefois, les journalistes qui se rendraient coupables des délits susvisés pourraient faire l’objet d’une garde à vue pour nécessité d’enquête.

2) Exception : le maintien de la peine d’emprisonnement

Les professionnels des médias sont avant tout des citoyens comme les autres. A ce titre, ils répondent de leurs actes en cas de commission de délits de droit commun. En conséquence, la qualité de journaliste ne peut constituer un moyen d’exonération.

Ainsi, certaines infractions, bien que constituant des délits de presse, demeurent punissables de la peine d’emprisonnement en application des dispositions de l’article 69 de la loi portant régime juridique de la presse. Ces délits de presse soumis au droit pénal commun sont :

-l’incitation au vol et au pillage, aux coups et blessures volontaires et au meurtre, à l’incendie et à la destruction par quelque moyen que ce soit, de biens publics et privés, à toutes formes de violences exercées à l’encontre de personnes physiques et morales ainsi que sur leurs biens, ou à l’apologie des mêmes crimes et délits : 
-l’incitation à la xénophobie, à la haine tribale, à la haine religieuse, à la haine raciale et à la haine sous toutes ses formes ; 
– l’apologie des crimes de guerre ou de collaboration avec l’ennemi ; 
-l’incitation des militaires et des forces de l’ordre à l’insoumission et à la rébellion ; 
-l’atteinte à l’intégrité du territoire national, à la sûreté intérieure et extérieure de l’État « . Quel talent, Madame ! Respect !

On ne peut pas dire que la nouvelle loi est liberticide et ouvre la porte à la dictature.  ! Non ça suffit chers confrères ! 

Maxwells B, New-York 

Samedi 06 mai 2017 

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