Côte d’Ivoire : L’affaire de trop?

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Après la découverte d’une cache d’armes chez l’un de ses proches, Guillaume Soro se retrouve une nouvelle fois dans la tourmente. Face aux soupçons, l’entourage du président de l’Assemblée nationale dénonce une manipulation orchestrée par ses rivaux.

Le président a enfin demandé à le voir ! Ce mardi 16mai, cela fait plusieurs jours que Guillaume Soro n’a pas rencontré Alassane Dramane Ouattara(ADO). En janvier, lors du soulèvement d’anciens rebelles intégrés à l’armée, il avait été étroitement associé aux négociations. Rien de tel cette fois-ci. Alors que, quatre jours durant, le pouvoir a une nouvelle fois été défié par des mutins déterminés, le président de l’Assemblée nationale n’a pas été consulté. « Il a été mis de côté, tout a été piloté par Amadou Gon Coulibaly depuis la primature », explique un visiteur régulier du palais présidentiel. Il est près de 20heureslorsqueGuillaumeSoro arrive à la résidence du chef de l’État. L’ancien chef de la rébellion des Forces nouvelles (FN) sait qu’il est au centre des rumeurs. Deux jours plus tôt, un important stock d’armes a été retrouvé à Bouaké, dans une maison appartenant à son directeur du protocole, qui, depuis, a été entendu à plusieurs reprises par la brigade de recherche de la gendarmerie du Plateau(Abidjan). La discussion entre les deux hommes est tendue. « Les chefs militaires avaient affirmé au président qu’ils avaient dû céder face aux mutins à cause de cette cache d’armes. Selon eux, cela expliquait toute leur déconvenue militaire », rapporte un proche de Guillaume Soro. « En réalité, ils se cachent derrière cette affaire. Ils tentent de faire oublier leur débâcle ! » s’agace-t-il. Pourtant, il semble bien que cet approvisionnement inespéré, pour des mutins arrivés à court de munitions et sous la menace d’une intervention du Groupement de sécurité du président de la République (GSPR), a été décisif.

Pendant de longues minutes, l’ancien chef rebelle tente d’imposer sa version et assure que les armes étaient stockées là depuis la crise postélectorale de 2011. Cela ne suffit pas à convaincre le chef de l’État. Depuis le début de l’année, une partie de l’entourage d’Alassane Ouattara est persuadé que Guillaume Soro est derrière les mutineries. « Il n’y a pas de fumée sans feu », explique un dirigeant du Rassemblement des républicains (RDR), le parti présidentiel. « Il est légitime de se demander pourquoi son nom revient toujours lorsqu’il y a des ombres affaires. À quoi devaient servir ces armes de guerre ? À un coup d’État ? En tout cas, ce n’était pas pour tirer des pigeons ! » dénonce-t-il. « De part et d’autre, il y a beaucoup d’intox », met en garde un habitué du palais présidentiel. Mais, « pour Alassane Ouattara, cette cache d’armes a été la goutte d’eau de trop », témoigne-t-il.

Dans l’interview exclusive qu’il a accordée à Jeune Afrique, Guillaume Soro assure au contraire que ses relations avec le chef de l’État sont « bonnes ». « Je ne suis pas un homme qui pourrait poignarder dans le dos. J’ai toujours démontré ma loyauté envers le président Alassane Ouattara », s’est-il défendu ces derniers jours. Entre les deux hommes, l’alliance remonte au début des années 2000. « Ils ont été présentés l’un à l’autre par Téné Birahima Ouattara, le frère d’Alassane », raconte un de ses amis les plus proches. « Je crois que le président a apprécié son courage et sa fougue. De son côté, Guillaume admirait son élégance et son intelligence. Ils se complétaient bien. » Jusqu’ici, le pacte d’entraide ne s’est jamais démenti. Lorsque, en novembre 2015, le nom de Soro apparaît dans l’affaire des écoutes téléphoniques au Burkina Faso, Alassane Ouattara le soutient. Un mois plus tard, quand, à Paris, il se retrouve sous le coup d’un mandat d’amener après une plainte déposée en 2012 par Michel Gbagbo, le président lui envoie son avion personnel pour qu’il puisse regagner Abidjan sans être auditionné.

GAMIN EXALTÉ. Peu à peu, ces derniers mois, le président de l’Assemblée nationale a pourtant été marginalisé. Avec l’avènement de la IIIe République, il a perdu sa place de dauphin constitutionnel et n’est plus que quatrième dans l’ordre protocolaire, derrière le vice-président et le Premier ministre. À la tête de l’armée, l’un de ses proches, Soumaïla Bakayoko, l’ancien chef d’état-major des Forces nouvelles, a été limogé en janvier. « Ouattara estime qu’il n’est plus aussi indispensable qu’avant », analyse un observateur basé à Abidjan. « Certains comzones ne lui sont plus si fidèles. Soro a-t-il encore vraiment la main sur les anciennes troupes rebelles ?» s’interroge-t-il, rappelant que les mutins, s’estimant oubliés, se sont mis progressivement à fustiger leurs anciens chefs. Beaucoup continuent pourtant à se méfier de son ambition. Ses détracteurs le dépeignent comme un homme sans scrupule, prêt à user de tous les moyens pour parvenir à ses fins. « Il faut se rappeler de sa rivalité avec Ibrahim Coulibaly et de la lutte féroce qu’ils se sont livrée au sein de la rébellion », rappelle l’un d’entre eux. Pour ses soutiens, il est au contraire « le meilleur de sa génération ». « C’est un homme très intelligent, impressionnant même », reconnaît un diplomate en poste à Abidjan.Lorsqu’ilprendlatêtedelapuissanteFédérationestudiantineet scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), en 1995, Soro étonne par son charisme. « Nous succombions devant le charme de ce gamin exalté, drôle et téméraire », se souvient un de ses amis de l’époque. Ce jeune militant ancré à gauche est alors surnommé « Le Che ». « La grammaire de Laurent Gbagbo est notre langue, et Guillaume la parle parfaitement », analyse un ancien camarade.

INSAISISSABLE. Soro est devenu proche du leader socialiste, mais la rupture idéologique intervient à la fin des années 1990. « Il n’a pas supporté les discours sur l’ivoirité et les dérives identitaires dans l’entourage de Gbagbo », poursuit son vieux camarade.

En 1998, Guillaume Soro part pour la France, où il vit plusieurs mois sans papiers. Le jour, il se fait discret ; la nuit, il refait le monde au sous-sol de Chez Georges, un bistrotdeSaint-Germain-des-Prés.Unapprentissagedelaclandestinitéqui lui sera précieux par la suite. Car, en 2000, Laurent Gbagbo devient président. Et très vite Soro cherche un moyen de le renverser. Avec la bienveillance du président burkinabè Blaise Compaoré, il s’installe dans une maison modeste de Ouagadougou, où, en toute discrétion, il met sur pied une rébellion. En2002, les Forces nouvelles tentent un coup d’État à Abidjan, mais l’opération échoue. Recherché par les forces de Gbagbo, Soro quitte le pays déguisé en femme.

Quelques jours plus tard, l’ancien leader syndical se dévoile. « Quand j’ai vu que c’était lui à la tête de la rébellion, je suis tombé de ma chaise ! C’est un homme insaisissable », témoigne l’un de ses plus proches amis. Quand les FN prennent le contrôle de la moitié nord du pays, Guillaume Soro devient incontournable. En 2007, en vertu des accords de Ouagadougou, son adversaire Laurent Gbagbo–qu’il appelait « Papa » lorsqu’il était jeune – le nommePremierministre.En2010, face au refus de Gbagbo de reconnaître sa défaite à l’élection présidentielle, les Forces nouvelles marchent sur Abidjan et aident Alassane Ouattara à s’installer au pouvoir. Élevé par un père ayant milité au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), se revendiquant de gauche et aujourd’hui encarté au RDR, Guillaume Soro reste in classable. Grand amateur de séries.

Anna Sylvestre-Treiner

Jeune Afrique

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