Côte d’Ivoire : nous devons restaurer la représentativité socioprofessionnelle de nos partis politiques.

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En Côte d’Ivoire, comme partout ailleurs en Afrique Noire, l’affrontement politique inter-partisan, dans la démocratie pluraliste, est corrompu par la personnalisation des débats et par le factionnalisme, par l’ethnicisme et le régionalisme. Le débat public idéologique et l’affrontement de programmes politiques et de projets de société clairs et structurés, sont quasiment inexistants. En contradiction avec la fonction démocratique de ces institutions, la représentativité des partis politiques est largement communautaire au lieu d’être socioprofessionnelle.

Les partis politiques furent inventés au XIXème siècle, dans les démocraties pluraliste, afin de permettre aux masses de participer à la vie politique de la cité. Leur vocation politique est de représenter les catégories socio-professionnelles de la société civile, d’agréger et d’intégrer leurs demandes, de formuler leurs besoins et de défendre leurs intérêts au niveau de l’Etat. La médiation des partis, qui servent de courroie de transmission entre la société civile et l’Etat, permet de prendre en charge, au niveau politique, les besoins et les aspirations formées dans la société. Ainsi, l’Etat est mis au service de la société définie comme ensembles diversifié de catégories socio-professionnelles aux intérêts pluriels et divergents. La démocratie républicaine parlementaire est une démocratie à représentativité socioprofessionnelle. Elle n’est pas une démocratie à représentativité communautaire.

La forme communautaire, ethnique et régionaliste de la représentativité qui prévaut actuellement chez nous est une plaie et une dégradation et une déficience majeure de notre démocratie parlementaire. Car nos premiers partis politiques durant la lutte anticolonialiste et les premières années de l’Indépendance politique ne furent pas des partis à représentativité communautaire. Ils ne furent pas des partis de Krou, des partis d’Akan, des partis de Mandé, des partis de Gagou, des partis de Wè. Le PDCI-RDA de Félix Houphouët Boigny, le Mouvement Socialiste africain de Dignan Bailly, le Bloc Démocratique Eburnéen de Etienne Djaument, le Parti Progressiste de Côte d’Ivoire de Kakou Aoulou, l’Entente de Indépendants de Sékou Sanogo, pour ne citer qu’eux, ne furent pas des partis de groupes ethniques et de communautés. L’affrontement politique de ces partis fut idéologiquement et socialement structuré. Dans  la Côte d’Ivoire postcoloniale, ils représentèrent les catégories socioprofessionnelles de la société civile émergente. Le PDCI-RDA, qui regroupa ensuite l’ensemble de ces partis dans le régime de parti unique, fut un parti de planteurs, de cheminots, de fonctionnaires, d’instituteurs, de travailleurs du secteur privé, de commerçants, d’ouvriers, de dockers et j’en passe. Les syndicats qui s’affilèrent au PDCI représentèrent les intérêts de corporations professionnelles. La lutte anticolonialiste et postcoloniale des premiers partis africains fut un combat pour la défense des droits et des intérêts des diverses catégories socio-professionnelles représentées dans ces partis. Ce fut une bataille pour la liberté, pour l’égalité pour l’amélioration du pouvoir d’achat des catégories sociales, pour l’élévation de leur niveau de vie. Elle ne fut pas un affrontement de groupes communautaires opposés rivalisant pour le pouvoir politique.

D’un point de vue formel, nous sommes donc passés d’une démocratie parlementaire à représentativité socio-professionnelle à une démocratie parlementaire à représentativité communautaire, ethniciste et régionaliste. Si nous jetons un regard rétrospectif sur le passé politique de notre pays, nous voyons donc clairement que cette évolution est une dégradation et une régression de notre démocratie. Le paradoxe de la situation actuelle consiste en ce que la forme socioprofessionnelle de la représentativité, qui s’est plus ou moins maintenue sous le régime de parti unique, semble avoir complètement disparu dans notre régime de démocratie multi partisane. Nous en avons oublié la mémoire. Il s’agit là d’une évolution pathologique parce que la prédominance de la représentativité communautaire, qui est la marque distinctive de la démocratie communautaire fondée sur le nationalisme identitaire, est une menace pour la démocratie représentative pluraliste.

 Obstacle à la représentativité sociale de l’Etat, la représentativité communautaire fracture et clive la société. Elle détruit le sentiment d’appartenance commune. Elle dresse face à face les communautés culturelles. Celles-ci s’affrontent pour accaparer l’Etat et les voies d’accès aux ressources. La prédominance de la représentativité de type communautaire  empêche la formation d’une Nation moderne de type citoyen et d’un Etat-nation. Elle sape, à la base, les fondations de la République. Elle ouvre la porte à l’enracinement dans le pays des aspirations et des intérêts formés à l’étranger. Elle livre le pays à la tutelle des intérêts des puissances étrangères en quête de ressources et de territoires d’affirmation géostratégique. Elle facilite la confiscation de l’Etat par des factions et des aventuriers qui ne poursuivent que leurs intérêts strictement particuliers.

Il est donc vital de rétablir et de reconstruire, en notre démocratie, une représentativité socioprofessionnelle en lieu et place de la représentativité d’incarnation communautaire. Il nous faut pour cela renouer avec la mémoire de la nature des combats politiques de nos partis durant la lutte anticolonialiste et postcoloniale. Pour nous orienter dans cette tâche de reconstruction, nous devons avoir présent à l’esprit l’exemple de nos premiers partis politiques. Nous devons donc reconstruire nos idéologies partisanes en les accordant aux besoins des temps nouveaux. Nous devons redéfinir clairement l’identité politique de nos partis, établir clairement leurs obédiences respectives et déterminer les catégories socio-professionnelles auxquelles ils s’adressent.

Dr Alexis Dieth

Professeur de philosophie

Cedea.net

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