Alexis Dieth: pourquoi j’ai dit totalement STOP à l’ivoirite et NON à GBAGBO!

0
2

1. Qui est exactement Alexis Dieth et que devient-il puisqu’on ne le lisait plus assez souvent comme avant ?

Ancien élève du Lycée Normal de Dabou de la promotion 1972 à 1975, j’ai ensuite passé mon  capes et ma maîtrise de Philosophie à l’université d’Abidjan puis une thèse de Doctorat d’Etat nouveau régime à l’Université de Poitiers en 2006 sur la philosophie morale et politique d’Emmanuel Kant. Après la Côte d’Ivoire que j’ai quitté en 2000 j’ai exercé ma fonction d’enseignant de philosophie au Liban à Beyrouth, en France à Bordeaux et en Autriche à Vienne. Vous saurez  les  raisons  de cette itinérance dans la suite de l’Interview. Fondateur et Rédacteur en chef du site Construire Ensemble la Démocratie pour l’Emergence de l’Afrique (cedea.net),  je me consacre aujourd’hui  entièrement à la réflexion sur les problématiques de la Démocratie et du Développement endogène en Afrique Noire.

2. N’avez-vous pas d’autres compléments de prénoms en langue locale, en plus d’Alexis ?

Outre mon prénom Alexis j’ai un prénom ethnique Kodjo qui dénomme chez les N’zima, plus connus sous le nom d’Appoloniens, les enfants de sexe masculin nés un lundi. Je me prénomme aussi  Adunlin  du nom du chef de mon lignage maternel. Toutefois, ces noms et prénoms ne figurent sur mon état civil.

3. Même si vous n’aimez pas les références à l’ethnie, on peut dire que vous êtes ivoirien, Akan et surtout baoulé de …. ?

De père Baoulé de Tiassalé et de mère N’zima (appolonien) de Grand-Lahou, je suis né d’un métissage à l’intérieur de la communauté culturelle Akan. J’ai vu le jour à Divo en pays Dida. Je me définis donc autant par mon identité ethnique que par mon identité nationale de citoyen. Je me pense à la fois comme ethnie et comme citoyen. Je me reconnais donc à la fois  comme citoyen ivoirien et comme Baoulé-N’zima de la communauté culturelle des Akans.

4. Malgré tout ce pedigree d’origine faisant sans doute de vous un ivoirien de souche multiseculaire selon certaines expressions malheureuses de l’époque , on ne vous a jamais retrouvé dans le camp de l’ivoirité politique….Pourquoi ?

Né du métissage ethnique  et fils de l’Etat ivoirien comme citoyen,  je ne me suis jamais reconnu dans l’Ivoirité  parce que, dans cette notion artificielle, l’ethnie a été utilisée en Côte d’’Ivoire contre  la nation et contre la République. Cette version ivoirienne de la revendication identitaire oppose, à travers la notion d’ivoirien de souche multiséculaire, les ethnies entre elles et oppose l’ethnie  à la Nation. Cet affrontement entre l’ethnie et la nation brise le couple harmonieux des deux polarités d’Unité et Multiplicité, d’identité et de différence qui structurent l’âme de la Côte d’Ivoire. Elle attaque directement l’identité nationale de notre pays qui est née du mariage de l’unité et de la diversité.

 La nation ivoirienne a été créée par un mélange de peuples  tous venus d’ailleurs. Elle se définit par la citoyenneté, par la fraternité des cultures et par la coopération harmonieuse entre ces cultures et la modernité. Je me définis donc avant tout par mon appartenance citoyenne qui me permet de situer mon identité ethnique à l’intérieur de la République. Cf mes deux publications récentes dans cedea.net. La notion d’ivoirité et le national- populisme qui lui a emboîté le pas sont foncièrement désintégrants et sont une menace mortelle pour la Côte d’Ivoire. Le  FPI de Laurent Gbago  a récupéré cette revendication identitaire mortifère et l’a dissimulé  sous le manteau de l’anticolonialisme et de la lutte tiers-mondiste contre l’impérialisme du nouveau capitalisme financier pour s’en servir comme arme politique pour la conquête du pouvoir.

 Nous ne devons jamais oublier que l’ivoirité, expression d’une revendication identitaire artificielle, est  née d’une instrumentalisation politique de l’ethnicité dans un contexte de rivalité pour le pouvoir en Côte d’Ivoire. Opportuniste et artificielle, la revendication identitaire ivoirienne ne doit pas être assimilée à la résistance volontariste et spontanée d’une identité culturelle nationale contre les systèmes de pouvoir du marché international et du capitalisme financier.  La revendication identitaire ivoirienne doit être donc prise pour ce qu’elle est : le camouflage commode des intérêts particuliers individuels et factionnels de certaines classes politiques ivoiriennes

5. Dans vos textes, il vous arrive souvent de citer Augustin Diby. Pourquoi ? Qui est-il ? Que représente-t-il pour vous ?

Le Professeur Augustin Dibi incarne à mes yeux  la hauteur Morale et la hauteur du Savoir, la synthèse de la Conscience autrement dit de la raison pure pratique  et de la Raison pure comprise comme entendement. Augustin Dibi c’est une référence absolue, un Sage au sens philosophique du terme, une autorité morale et une autorité scientifique, une de ces personnes rares dont la fréquentation est la plus bénéfique, une présence qui aide chacun à s’améliorer intérieurement et à conserver bien en vue l’Orient. Je l’ai connu à mon arrivée à l’Université d’Abidjan en 1975. Il était alors en Licence  en troisième Année  et moi en 1ère Année. Je l’ai connu comme 1er de la Classe durant nos examens trimestriels. Je l’ai donc connu comme étant un étudiant d’excellence et depuis nos chemins ne se sont plus séparés. Nous avons fait chemin ensemble et j’ai appris à le connaître et à l’aimer, d’autant que nous étions voisins de pallier à la Résidence Latrille. J’ai découvert un homme de savoir et un être profondément généreux, un citoyen de la plus noble espèce.  Augustin Dibi c’est un être profondément généreux, un citoyen de la plus noble espèce.  Augustin Dibi Kouadio c’est l’Universitaire de haut vol  et le métaphysicien qui, armé de ses principes et de ses valeurs structurés par la fréquentation éthérée des Idées, a sauvegardé la fonction théorétique et la destination universaliste  de l’Université Ivoirienne lorsque nombre de ses pairs en sortaient dans les années 1998 et 2000  pour aller mettre en forme le mythe ethno-nationaliste qui allait briser la Côte d’Ivoire. Augustin Dibi Kouadio  c’est aussi l’intellectuel engagé qui a contribué activement, sur le terrain,  à sauvegarder la République lorsque les escadrons de la mort sillonnaient la Côte d’Ivoire à la recherche des défenseurs de la citoyenneté et d’une Côte d’Ivoire fraternelle. Démentant le mythe ethno-nationaliste  d’une Côte d’Ivoire divisée entre Akan et Mandé entre des autochtones multiséculaires et des étrangers, il est l’auteur de ce texte capital   « LA PIERRE REJETÉE PAR LES BÂTISSEURS DEVENUE ANGULAIRE » publié le Vendredi 19 Novembre 2010,à quelques jours du Second tour de l’élection présidentielle pour soutenir le candidat Alassane Ouattara  et paru dans par LE NOUVEAU RÉVEIL  et LE PATRIOTE. Le Sage et l’Ami au sens le plus noble du terme, le Citoyen et l’Exemple, voilà ce que représente pour moi Dibi Kouadio, Augustin. C’est un pilier moral et intellectuel de côte d’Ivoire.

6. Vous faites également souvent référence à votre épouse ? Est-elle également enseignante et peut-on savoir côté jardin combien d’enfants avez-vous, ainsi que leur actualité ?

Mon épouse, avec laquelle j’ai deux enfants,  est mon  alter ego. Nous sommes unis dans l’amour de la science, des idées,  des valeurs humanistes et spirituelles, des principes et des valeurs de la République et de la Démocratie. Agrégée d’Histoire depuis 1992,  elle est pourtant très humble à la différence de certains et vous pouvez suivre mon regard. Enseignante et Conseillère Pédagogique détachée auprès du Ministère Français des Affaires étrangères pour le compte de l’AEFE (Agence pour l’Education Française à l’Etranger), je lui dois de pouvoir  parcourir le monde à la rencontre des autres cultures et des autres visions du monde. Du Liban à L’Autriche en passant par le Sénégal, je me suis enrichi de la diversité des cultures et des perspectives et j’ai appris une leçon fondamentale : l’Unicité humaine scandée dans la diversité harmonique des cultures. Cela a renforcé mon engagement pour la défense de la fraternité humaine, de la République et de la Démocratie qui permettent de la promouvoir et d’instituer le vivre-ensemble d’une humanité similaire dans sa diversité.

7. On vous a connu pour avoir eu le verbe haut contre Laurent Gbagbo, qu’est ce qui vous motivait ?

Nourri aux mamelles de l’Houphouëtisme, ayant grandi sous les valeurs chrétiennes de générosité et de reconnaissance de l’Autre, animé par l’universalisme  humaniste de la métaphysique, la dérive xénophobe de la Côte d’Ivoire, mon pays, m’est apparue comme un scandale absolu, une sorte d’éclipse la raison. Cette dérive identitaire contre laquelle il faut  lutter au quotidien,  pied à pied, m’est apparue comme  une agression contre l’identité nationale de la Côte d’Ivoire.  Laurent Gbagbo a accentué la rupture du contrat social ivoirien en reprenant l’ivoirité dans les poubelles du courant identitaire du PDCI qui s’en était contextuellement débarrassé  en éprouvant la dangerosité de cette notion. Les Ivoiriens attendaient de Laurent Gbagbo une social-démocratie et un socialisme universaliste républicain. Il leur a servi un socialisme communautaire xénophobe et antirépublicain qui a érigé l’exclusion, le  meurtre  et la terreur en principe de gouvernement. Je me suis engagé pour dénoncer ce dévoiement du socialisme universaliste  et cette  dérive identitaire meurtrière qui menaçait l’intégrité de la Côte d’Ivoire. Je me suis engagé pour tenter de sauvegarder l’esprit libéral de la Côte d’Ivoire, son âme généreuse et universaliste, pour sauvegarder la République et la Démocratie en Côte d’Ivoire.

8. N’avez-vous pas de regret avec le recul pour cet engagement ?

Cette lutte contre l’ethno-nationalisme, cette défense de la citoyenneté et de la République est un engagement pérenne. Je regrette tout simplement que, malgré l’expérience de la dangerosité absolue du discours identitaire, certains compatriotes et certains acteurs politiques continuent d’y recourir dans la rivalité pour le pouvoir.  

9. Les résultats et le changement que vous escompteriez est-il au rendez-vous ?

En dépit des apparences, les choses avancent dans le bon sens. Lentement, petit à petit, mais sûrement les Ivoiriens se rapproprient leur espace public avec les valeurs de la République, s’engagent  pour la citoyenneté et  récusent le nationalisme identitaire. Il faut soutenir ce mouvement par une gouvernance exemplaire soucieuse du respect de la diversité mais aussi  du respect de la chose publique et de l’intérêt général. Les Ivoiriens sont en attente d’exemplarité. L’unité nationale de la Côte d’Ivoire est activement en reconstruction, il importe de soutenir ce mouvement de fond.

10. Mais comme dit plus haut, vous vous étiez retiré de la sphère publique, vous vous contentiez de publications sur votre site CEDEA, quel est l’objet et le projet de CEDEA ?

En réalité depuis mon engagement actif sur le terrain, engagement qui fut motivé par la dérive ethno-nationaliste du FPI et par la crise post-électorale meurtrière qui s’ensuivit, je ne me suis jamais retiré de la sphère publique. J’ai ouvert le site Cedea pour penser la démocratie en Afrique, pour accompagner activement le mouvement de démocratisation de nos régimes politiques. Régulièrement diffusées sur les réseaux sociaux, mes contributions ont été souvent publiées par certains quotidiens Ivoiriens dont Fraternité Matin. L’objectif de Cedea, site de participation constructive à but non lucratif, et ouvert aux contributions de tous les amis de la Démocratie républicaine et de ses valeurs, est de définir et d’analyser les situations, de proposer à partir de cette réflexion conceptuelle objective,  des solutions concrètes pour résoudre les problématiques de la démocratie et du développement endogène en Afrique.

 11. Après la France , vous seriez en ce moment au Sénégal, avez vous un problème particulier avec votre pays la Côte d’Ivoire ?

Après l’Autriche plus exactement où je menais des réflexions purement théoriques sur la démocratie en Afrique, j’ai voulu donner de la substance à mes réflexions en les confrontant à la réalité de la démocratie sur le terrain africain. J’aurais naturellement souhaité faire cette expérience concrète en Côte d’Ivoire ma patrie bien aimée. Mais il n’y avait en Afrique de l’Ouest qu’un poste de l’AEFE Agence pour l’Education française à l’Etranger disponible pour mon épouse : Dakar au Sénégal. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans ce pays. Je suis néanmoins resté attaché par le cœur et par l’esprit à mon pays, un véritable trésor en Afrique de l’Ouest. D’où mon engagement actif pour contribuer à la promotion et à l’avancement de la Démocratie républicaine dans mon pays, un régime qui j’en suis convaincu permettra d’en déployer tout le génie créateur et toutes les potentialités agricoles et minières.

12. Au delà des débats et polémiques avec votre ancien compagnon de route, on ne vous a pas lu sur certains sujets comme cela crise des inscriptions à l’école, et les microbes ? Par rapport à ceux-ci que pensez-vous de la « dénomination enfants en conflit avec la loi » ?

Vous avez raison. Concernant la « crise des inscriptions à l’école » il y a eu effectivement de ma part un silence indu qui était involontaire occupé que j’étais à articuler mes réflexions sur la problématique de la crise de la Citoyenneté dans notre pays. La concomitance dans le temps  des agressions perpétrées contre les Ministres de la République et contre des journalistes par celui que vous appelez mon « compagnon de route » et contre lequel je préparais une réponse citoyenne, m’a empêché de me prononcer sur ces deux sujets importants. Je pense néanmoins que la dénomination « enfants en conflits avec la loi » n’est pas pertinente. Savent-ils ces enfants ce qu’est la Loi ? Ne faut-il pas plutôt les considérer comme des enfants désocialisés en perte de repère, dont il faut reconstruire la personnalité par une éducation multisectorielle qui les réintègre dans la cité par la médiation de l’apprentissage de la Loi ? La présence de ces enfants, les produits de la brutalisation continue  de notre société   depuis les années 1980, pose la question de sa régénération politique, éthique et morale. Il s’agit là d’une urgence, l’urgence de l’Education nationale. J’ai encore une fois  déploré ce qui m’a paru être des tentatives de récupération et d’instrumentalisation politique de ce phénomène social grave dont il faut envisager le traitement et la solution d’un point de vue citoyen et trans-partisan.

13. Vous est-il arrivé d’écrire des contributions avec des pseudonymes ?

Si ma mémoire est bonne, je l’ai fait deux fois en écrivant sous un pseudo sud-africain « Kumalo » et aussi autrichien lors de la crise post-électorale durant laquelle je publiais quasi-quotidiennement des contributions pour dénoncer le cycle de violences meurtrières initiées par le FPI. Il s’agissait de montrer qu’en Afrique du sud, qui conserve une vive mémoire de l’apartheid, comme dans cette Autriche qui conserve une vive mémoire du génocide, la dérive identitaire meurtrière de Laurent Gbagbo et de son FPI était vivement dénoncée et condamnée.

14. Que pensez-vous du fait que le débat public ivoirien, ou du moins sur les réseaux sociaux, soit un lieu d’injure et de la violation des bonnes manière de courtoisie ? Cela doit-il inquiéter ou est- ce un épiphénomène qui passera ?

C’est malheureusement le résultat de la décennie de polarisation et de crispation identitaire qui a divisé la Côte d’Ivoire en des camps qui se considèrent comme des ennemis. Les réseaux sociaux étant un espace de rencontre, l’analogue numérique de l’agora, l’espace publique réel de la cité,  la violence des propos sur les réseaux sociaux doit inquiéter assurément car elle témoigne d’une crise grave du sens civique, de la fraternité, du respect réciproque, du sens commun qui permet aux citoyens de partager leurs différences et s’enrichir réciproquement dans cet espace de rencontre. A mon sens les réseaux sociaux sont un baromètre qui doit permettre aux pouvoir publics de mesurer les urgences.

15. Certains estiment que c’est le reflet de la haine entre populations ivoiriennes, et que les réseaux sociaux sont un exutoire, la réponse à un manque d’espace de débats publics et contradictoires, des face et face et conférences, que le public pourrait aller suivre , comme on va suivre des concerts…. ?

Les citoyens qui le pensent ont raison. L’anonymat des pseudos favorise le défoulement et les excès.  Il donc est impératif d’ouvrir le débat public ivoirien dans les espaces institutionnels de dialogue démocratique. Les débats publics et contradictoires sur les problématiques concernant la vie de la cité sont une composante vitale de la démocratie. Un espace de dialogue et d’argumentation rationnelle qui développe la raison publique grâce à laquelle l’intérêt général et le bien commun peuvent  être défendus et préservés dans la poursuite de nos intérêts particuliers. Les agoras gbagboïstes de triste mémoire n’ont rien à voir avec ce débat démocratique émancipateur. Et je pense personnellement que la Conférence nationale aurait contribué à ouvrir l’espace du dialogue, à remettre au centre du débat ivoirien la problématique du respect des principes et des valeurs de la République, à réélaborer donc le consensus républicain  à travers la confrontation argumentée.

16. D’autres plaident pour plus de débats télévisés en direct, avec toutes les sensibilités, qui se retrouvent plus souvent sur des plateaux médias extérieurs, au lieu que ce soit sur la RTI.

La RTI, la télévision nationale publique ivoirienne doit être pleinement cet espace de dialogue démocratique, d’argumentation rationnelle contradictoire relativement aux problématiques centrales de la cité. Un usage de la RTI dans ce sens, dans une perspective éducative,  aurait pu contribuer grandement à extirper le nationalisme identitaire qui a pris racine en Côte d’Ivoire grâce à un viol systématique des masses par la propagande politique, une  désinformation et une intoxication mentale systématique. L’une des urgences politiques était alors, non pas d’utiliser la télévision nationale pour faire une contre-propagande, mais de libérer l’argumentation contradictoire pour déconstruire les mensonges qui avaient servi à installer et à légitimer le national populisme en Côte d’Ivoire. Ce travail de déconstruction par le dialogue argumenté, qui contribuera à restaurer pleinement la République,  reste encore à faire

17. Seriez-vous vous-même, prêt à participer à des débats télévisés, ou dans d’autres tribunes et espaces ?

Quoique ma préférence aille à l’écriture dans le silence de mon bureau et aux publications des résultats de mes réflexions sur mon site cedea.net, dans les journaux ivoiriens et aussi internationaux, je ne me déroberai pas si je suis sollicité pour débattre à la RTI de sujets d’intérêts publics concernant la vie de la démocratie et de la République en  Côte d’Ivoire et en Afrique.

17. Il y a la question du Franc CFA, quelle est votre position là dessus ?

Entre l’activiste identitaire, le suprématiste Noire Kemi Seba brûlant spectaculairement un billet de 5000 franc  CFA et le Juge de la Cour suprême Kenyan David Maraga défendant l’autonomie du pouvoir judiciaire contre les empiètements du pouvoir exécutif, je choisis clairement et sans équivoque le geste historique du second. Ce n’est pas le spectacle de foire de Kémi Séba qui libérera l’Afrique noire de la corruption et la domination politique et économique, causes majeures du sous-développement. C’est l’action exemplaire du juge David Maraga, symbole de la rigueur morale et éthique des hommes et des institutions, qui libérera l’Afrique de ses fléaux politiques et économique.    Néanmoins, il est nécessaire d’abroger le CFA pour mettre en cohérence et en coordination la sphère politique et la sphère économique en Afrique Noire à l’ère de la démocratie représentative et de l’économie de marché. Au régime des droits de l’homme fondé sur l’autonomie des personnes et des collectivités, doit répondre en Afrique Noire un régime d’autonomie économique, un marché libre fondé sur le libre échange et l’autonomie monétaire. La problématique de l’abrogation du franc CFA est celle de l’abrogation de l’ancien régime de dépendance de la société civile par rapport un Etat tutélaire qui la tient sous sa dépendance. C’est la problématique d’une société civile transnationale d’Afrique noire qui échange librement sans être soumis à une tutelle politique et économique externe. La société civile internationale émergente d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, en tant qu’espace de marché, doit être capable de représenter une zone monétaire autonome, un espace de libre-échange unifié et libéré de la tutelle d’un Etat et d’une autorité monétaire extérieurs. A la démocratie politique fondée sur le respect des droits de l’homme et la libre expression des personnes, doit correspondre une démocratie économique, un espace de libre-échange qui mette fin au morcellement et à l’atomisation de marchés enfermés dans les territoires nationaux et monétairement dépendants d’une tutelle économique de nature étatique externe.

18. Pour revenir à l’actualité en Côte d’Ivoire, que pensez-vous de l’affaire des caches d’armes, et de la procédure en cours?

Par principe, la détention de ces tonnes d’armes de guerre dans un domicile privé pose de sérieuses questions. Il ne faut pas oublier que le gouvernement ivoirien et les organismes de l’ONU chargé de ces questions ont, dans le cadre du processus de désarmement, lancé régulièrement des appels récurrents à la restitution de toutes les armes. Il appartient donc à la justice d’instruire le dossier. Le chef d’accusation de mise en danger de la sécurité nationale qui a été retenu contre le chef du protocole du Président de l’Assemblée nationale me semble justifié. Je ne crois à l’argument du complotisme et de l’ingratitude. Il s’agit au contraire d’une action judiciaire légitime engagée pour préserver la sécurité nationale.

19. Que pensez-vous du sort actuel du Président Laurent Gbagbo ? Votre avis sur les débats relatifs à la Cpi, à sa libération?

L’ex-président Laurent Gbagbo est détenu à la CPI sous le chef d’accusation de crime contre l’humanité. Cette détention est donc  à la fois  légale et légitime au regard du droit international et du droit national ivoirien car la Côte d’Ivoire est est signataire  du statut de Rome. Les manœuvres des réseaux  tendant à délégitimer la CPI doivent être vivement dénoncées. Il ne s’agit guère d’un procès politique. Il s’agit bel et bien d’un procès judiciaire dans lequel  il est demandé au chef de l’Etat et à un de ses ministres de répondre de leur culpabilité pénale, de reconnaître leur responsabilité politique et éventuellement morale aux termes d’une guerre civile qui fit des milliers de morts. En droit, une telle situation engage la responsabilité multiforme des dirigeants de la cité et, par-dessus tout, celle de son Président. Une éventuelle demande officielle de libération de Laurent Gbagbo par l’Etat ivoirien pour des raisons de politique intérieure à savoir la réconciliation nationale  en Côte d’Ivoire, repose sur une seule et unique condition : Laurent Gbagbo doit être pardonné par les victimes et par le peuple ivoirien. Ce pardon, qui scellerait la réconciliation, repose cependant sur  ce préalable incontournable : S’assumant comme responsable suprême de l’Etat et chef des armées durant la crise post-électorale, Laurent Gbagbo doit reconnaître publiquement sa responsabilité politique et morale dans la catastrophe. C’est une question de cohérence logique, d’éthique politique et d’exigence morale. Il est à souligner que la reconnaissance de cette responsabilité morale et politique par Laurent Gbagbo et par Blé Goudé  ne saurait aucunement les disculper au plan pénal et judiciaire si toutefois leur implication directe ou indirecte dans les crimes commis était établie.

20. Que vous inspire le Pdci, et les options prises par son Président Bédié ?

En 2010, la décision du candidat  Henri Konan Bédié d’appeler l’électorat du PDCI à voter pour le candidat du RDR, Alassane Ouattara, consacra la victoire du Président Alassane Ouattara et fut un témoignage éloquent de l’engagement républicain du Président Bédié. La Côte d’Ivoire lui doit le triomphe de la République et de la citoyenneté sur l’ethno-nationalisme et la xénophobie identitaire. Cette décision républicaine salvatrice fut réitérée en 2015 manifestant sa dimension de conviction. Les Ivoiriens doivent s’en souvenir. Ce geste politique exemplaire, qui a retissé les liens de notre histoire après la rupture identitaire, est à saluer et doit figurer dans les annales de l’histoire politique de notre pays.

21. L’alternance selon la vision du Président Bédié, est-elle possible et réalisable ?

Le ressourcement des parties prenantes du RHDP dans l’Houphouëtisme conseillera des solutions de sagesse. Mais comme je l’ai souligné dans mes récentes contributions le PDCI et le RDR, enfants du PDCI-RDA, n’ont d’autres solutions que de coopérer et de s’allier pour conjurer le risque de périr ensemble.

22. Des observateurs craignent qu’une rupture de l’Alliance Rhdp, fasse revenir les vieux démons avec le retour au pouvoir des nationalistes radicaux façon Fpi,

Le risque existe bel et bien qu’une rupture du RHDP, cordon sanitaire républicain et démocratique contre le nationalisme identitaire et l’anti-démocratie, n’entraîne le retour des courants extrémistes, du national-populisme, ne réactive  la résurgence des thématiques identitaires et xénophobes qui couvent sous la braise.

23. Peut-on savoir ce que vous pensez du Président de Lider, Mamadou Koulibaly et du Président du Fpi, Affi N’Guessan notamment de leur capacité à incarner, au delà des idées, un leadership pour une offre alternative crédible à laquelle une majorité peut adhérer ?

Ayant me semble-t-il décidé de rompre avec l’extrémisme identitaire, de reconnaître la légitimité du gouvernement de jouer à cette fin  son rôle de contre-pouvoir, Affi N’guessan à la direction du FPI, me semble capable d’incarner une opposition socialiste en Côte d’Ivoire.  Il est capable d’incarner une social-démocratie en Côte d’Ivoire. La problématique est alors de structurer un programme politique et un projet sociétal social-démocrate clair à proposer aux Ivoiriens. Voir à ce propos ma contribution du 03-octobre 2016 dans cedea.net « Que faire au FPI pour réinvestir l’espace démocratique ivoirien ? ». Mamadou Koulibaly me semble plus complexe. Cf cedea.net septembre 2015 « Questions sur le libéralisme de Mamadou Koulibaly. » et Octobre 2015 « Le deal Laurent Gbagbo-mamadou Koulibaly : autopsie d’un naufrage et d’une faillite » 1ère et 2ème partie. De quelle nature est le libéralisme de Mamadou Koulibaly ? Un libéralisme à préférence nationale ? Un utra-libéralisme ?  Un libéralisme révolutionnaire ? Il y a une forme de confusion qui devrait là aussi être dénouée pour que les Ivoiriens sachent quel est le projet de société et le programme libéral que Mamadou Koulibaly chef du Lider leur propose ? Cette question est d’autant plus urgente que, lors de la Présidentielle de 2015, le programme politique du Lider de Mamadou Koulibaly s’est révélé  être pratiquement similaire à celui du candidat du RHDP ! cf Septembre 2015. cedea.net « La CNC plébiscite le programme politique de Ouattara »

24. Quel regard portez-vous sur la gouvernance du Président Alassane Ouattara, et que pensez-vous des soupçons d’un troisième mandat ?

Le Président Alassane Ouattara, conformément à son obédience idéologique clairement assumée, a gouverné la Côte d’Ivoire en libéral s’inspirant de la philosophie politique, sociale et économique de l’Houphouëtisme. Du point de vue du respect des droits de l’homme la gouvernance du Président Alassane Ouattara  a été exemplaire comparativement aux brutalités de la gouvernance de l’ex-Président Laurent Gbagbo. Du point de vue économique son libéralisme, technocratique et gestionnaire, a été d’abord prioritairement centré sur l’Investissement. Il fallait reconstruire les infrastructures économiques après plus d’une décennie de déprédation sans oublier que le régime précédent avait pratiqué une politique de la terre avant de céder le pouvoir. Laurent Gbagbo lui avait d’ailleurs demandé expressément de s’attacher à reconstruire les infrastructures un défi que le Président Alassane Ouattara a relevé avec brio. cf ma contribution blog de Médiapart Juin 2013 « Le président Alassane Ouattara sert-il l’intérêt général en Côte d’Ivoire ? ».  Les taux de croissance de notre pays sont parmi les plus élevés de la sous région. Malgré la chute des prix du cacao, des efforts ont été fait pour la redistribution dans ce contexte de reconstruction des infrastructures. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui les gouvernants doivent, dans le contexte de la globalisation, marier  deux exigences contradictoires : rendre le pays compétitif sur le marché international et répondre en même temps aux demandes sociales au niveau national. La gouvernance Ouattara a réussi ce test : marier les nécessités économiques de l’investissement à l’obligation politique de redistribution en étant à l’écoute des mouvements de revendication sociale. Les efforts de redistribution doivent néanmoins être accentués pour une croissance inclusive. Je ne doute pas que la politique gouvernementale aille dans ce sens dans les trois années à venir. En dépit des efforts  d’investissement qui doivent être soutenus pour renforcer le tissu les infrastructures économiques de notre pays la problématique sociale ne doit pas être sous-estimée. En s’appuyant sur  le taux de croissance il est possible d’espérer une politique active de lutte contre la pauvreté qui permettra de donner du contenu à l’inclusion sociale, objectif ultime de la politique économique du Président Alassane Ouattara.

La question d’un 3ème mandat relève du registre de la spéculation. Le Président Alassane Ouattara n’a fait aucune déclaration ni engagé la moindre action dans ce sens. Il a publiquement déclaré n’être pas venu pour s’éterniser au pouvoir. Cette histoire de 3ième mandat  a été selon moi inventée pour brouiller la visibilité de la gouvernance du pays et pour justifier la précoce guerre de succession, indue et inappropriée qui menace la stabilité politique de la Côte d’Ivoire.

25. À la fin de son mandat en 2020, que pensez-vous que les Ivoiriens pourront retenir : un sentiment d’échec, ou l’espérance de l’émergence, du retour de la stabilité après la série d’instabilité que l’on a commencé dans le pays à vivre à partir de 1999 ?

A la fin de son mandat en 2020, les Ivoiriens pourront retenir que la gouvernance Ouattara a remis la Côte d’Ivoire sur les rails de la République, de la démocratie, de la croissance économique et d’une politique sociale d’intégration et d’inclusion. Le retour de la stabilité politique et l’émergence promise  peuvent être raisonnablement attendus,  à condition de mutualiser nos efforts pour conserver notre pays dans les cadres de la République, d’améliorer par un engagement citoyen et par une critique constructive, les acquis économiques, sociaux et démocratiques remarquables de la Gouvernance Ouattara. Grâce à l’engagement démocratique et républicain résolu du Gouvernement RHDP, qui n’a pas cédé aux tentations répressives suites aux provocations, l’édifice de la démocratie républicaine ivoirienne a résisté aux assauts répétés des forces de l’ethno-nationalisme xénophobe et du national-populisme. Le cap de la politique nationale d’inclusion et d’intégration a été maintenu envers et contre tout. Il importe de protéger et de raffermir ce projet républicain et démocratique, de l’améliorer selon les exigences du temps et de le porter plus loin pour que se réalise progressivement  le rêve Ivoirien.   

L’intelligent d’Abidjan 

 

Auteur :

Source :

Commentaires facebook

Mettez votre commentaire

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here