Ouattara, Gbagbo, Soro, les forces nouvelles et le contexte de l’élection présidentielle de 2010

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« À force d’avoir voulu, selon eux, rassurer Laurent Gbagbo pour l’inciter à aller à l’élection, à force de lui avoir dit qu’il gagnerait, les cadres des Forces nouvelles et Guillaume Soro qui ont collaboré avec lui, n’ont-ils pas fini par être eux-mêmes convaincus de cette victoire de Laurent Gbagbo ?

Entre les deux tours de la présidentielle, au cours d’un échange avec des collaborateurs du Président Alassane Ouattara, le Premier ministre Guillaume Soro avait-il affirmé que selon des sondages différents à sa disposition, le Président sortant pourrait remporter l’élection?

Selon ce témoignage, l’arbitre Guillaume Soro aurait demandé aux hommes d’Alassane Ouattara de préparer leur leader à cette réalité  pour éviter toute contestation, en disant que si tel était vraiment le cas, le système de transparence mis en place sous son contrôle n’aurait pas été pris à défaut par une quelconque fraude en faveur de Laurent Gbagbo.

Peut-on estimer qu’il a pu pousser la neutralité jusqu’à faire dire également à Laurent Gbagbo que le candidat Alassane Ouattara pouvait objectivement gagner ?

Quelques mois après la crise postélectorale, le Premier ministre Guillaume Soro entendant les rumeurs et soupçons sur sa collusion supposée avec Laurent Gbagbo, aurait montré à Alassane Ouattara une photo prise avec son téléphone portable pendant qu’il votait lors du second tour de la présidentielle.

L’image prise par lui dans l’isoloir indiquait qu’il avait coché le nom du candidat Ouattara Alassane sur le bulletin unique, qu’il devait déposer dans l’enveloppe avant d’aller dans l’urne.

Le vote étant secret, il ne revient à aucun citoyen, fut-il chef du gouvernement, d’être tenu de s’expliquer sur le choix qu’il a fait, en toute conscience et de façon libre.

Les témoignages reçus sur la question indiquent qu’il s’agissait de montrer pattes blanches et de prouver que Guillaume Soro  avait bel et bien voté Alassane Ouattara, contrairement aux allégations disant qu’il avait fait dans les urnes le choix de Laurent Gbagbo.

Mais était-ce là encore le rôle d’un arbitre ?

Un arbitre reste arbitre, jusqu’au bout. Il ne célèbre pas la victoire d’un camp, et ne participe pas à la gestion des choses par les vainqueurs.

Ce sont seulement les circonstances qui ont dicté le choix de Guillaume Soro pour diriger le gouvernement de crise et d’urgence du Président Alassane Ouattara au Golf.

Les choses ne paraissaient pas aussi évidentes que le croyaient alors  les partisans de Laurent Gbagbo. LMP a plutôt perçu la preuve de la collusion de Guillaume Soro et des « rebelles » avec le RDR.

S’il est vrai que cette nouvelle posture ouvertement pro-Ouattara du patron des Forces nouvelles à partir de Décembre 2010, a porté un coup terrible au moral et à la stratégie  de Laurent Gbagbo, qui comptait davantage sur sa neutralité jusqu’au bout, pourtant rien, rien absolument rien n’était évident si l’on sait les calculs et intentions des tenants de la refondation.

Laurent Gbagbo voulait jouer son plan  jusqu’au bout avec Blaise Compaoré et Guillaume Soro. Il voulait se faire investir par Yao N’Dré, maintenir Guillaume Soro à la Primature, en lui confiant pour continuer, les autres  aspects de l’Accord de Ouagadougou.

La ruse visait à pousser le chef du gouvernement-arbitre, à prendre acte du fait accompli et du hold-up, comme il le fit quelques mois plus tôt, avec la double dissolution.

Quand Guillaume Soro part pour parler à Laurent Gbagbo avant la rupture et la crise, c’est aussi pour s’assurer du degré de détermination du Président sortant.

Les résultats ne sont pas encore proclamés.

Le Premier ministre issu des Accords de Ouaga, plaide pour que Laurent Gbagbo joue le jeu avec la CEI jusqu’au bout, mais n’ose pas encore lui annoncer qu’il a perdu puisque tout le monde est au stade des tendances et qu’aucun résultat consensuel ni formel n’est établi.

Dans l’esprit toujours du Président Laurent Gbagbo, l’arbitre Guillaume Soro n’a pas à prendre position ni à lui dire qu’il a perdu.

Ayant pris la mesure de la détermination de son allié de l’Accord de Ouagadougou, le Premier ministre n’est pas chaud au départ quand l’idée de diriger le gouvernement Ouattara au Golf lui est soufflée.

Il ne veut pas juste être le planton de service dont on va se débarrasser dès que possible, même s’il n’a pas la possibilité en ce moment là de poser des conditions.

Guillaume Soro demande une nuit de réflexion, en disant presque non sur le champ, à la proposition émanant du président Alassane Ouattara le premier jour.

Il sent qu’il peut être un intrus dans cette alliance RHDP, à la victoire électorale de laquelle les Forces nouvelles n’ont pas participé pendant les élections, en  affichant officiellement et ouvertement une irritante neutralité, que chacun des camps estimait être un signal de soutien.

Après la proclamation de la victoire du candidat Ouattara Alassane par Youssouf Bakayoko, Guillaume Soro espère encore rester dans la neutralité et dans la peau de l’arbitre.

Dans le même temps, de fortes pressions du camp Gbagbo et des amis du Président pas encore sorti se font sur lui, pour demander au patron des Forces nouvelles, de venir assister à l’investiture de celui que Paul Yao N’dré avait désigné Président élu.

Des contacts sont même pris dans ce sens, pour voir comment Guillaume Soro peut aller au Palais et revenir au Golf.

En sa qualité de Premier ministre et chef du gouvernement et avec la promesse que Laurent Gbagbo avait besoin de lui, comme en Février 2010, pour calmer le RHDP, des émissaires locaux et parisiens, des lobbyistes au service du leader charismatique des refondateurs affirmaient à Guillaume Soro, qu’il pouvait encore jouer un rôle crucial, même après l’investiture de Laurent Gbagbo.

À défaut de pousser Guillaume Soro à chercher à convaincre Alassane Ouattara de  renoncer à sa revendication de la victoire, ces lobbyistes estimaient que sa position auprès de Laurent Gbagbo, pouvait aider à renverser les tendances, en attendant le cas échéant une démission fracassante plus tard.

Au bout de quelques heures de réflexions et d’échanges profonds avec Blaise Compaoré, son mentor que Laurent Gbagbo a tenté,  en vain, de mettre dans son coup pour amadouer Nicolas Sarkozy, et , convaincre la France, de l’idée que le candidat Ouattara avait bel et bien fraudé, Guillaume Soro donne fermement son accord pour aller avec armes et bagages dans le camp Ouattara.

C’est le Président Alassane Ouattara qui est allé voir le président Bédié pour obtenir son accord sur la pertinence de la nomination de Guillaume Soro, compte tenu de l’ampleur et de la nature de la crise qu’ils allaient être amenés à affronter à cause du refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite.

Très vite, le président du Pdci perçoit les enjeux et donne son accord pratiquement aussitôt.

Pourtant au départ, une nomination de Guillaume Soro comme Premier ministre n’était pas dans les schémas d’Alassane Ouattara, qui était soucieux de tenir son engagement avec le PDCI, avec qui, il comptait renforcer l’alliance et l’union sacrée dans la gestion des affaires de l’Etat pour combattre Laurent Gbagbo de façon pacifique et démocratique.

Estimant avoir été élu par les Ivoiriens et assuré d’avoir été reconnu par toute la communauté internationale malgré la décision du Conseil constitutionnel qui était considérée par lui, comme une  tentative de passage en force et de confiscation du pouvoir par Laurent Gbagbo, le Président Alassane Ouattara pouvait s’attendre à ce que Guillaume Soro se mette simplement à sa disposition, comme tous les autres fonctionnaires, les FDS et en particulier les Forces armées des forces nouvelles qui avaient bien joué leur partition.

Alassane Ouattara avait certes besoin des troupes des chefs de guerre, de la police, la gendarmerie mais pas prioritairement de Guillaume Soro.

Cependant, compte tenu des circonstances, le chef de l’Etat élu, même s’il disposait de soldats FN fidèles à sa personne et ne jurant que par lui, admettra qu’il était mieux de privilégier la cohésion au sein des Forces nouvelles en confiant la supervision des opérations militaires à Guillaume Soro, nommé du coup, Premier ministre, ministre de la Défense.

Dès lors, l’ex-Premier ministre de Laurent Gbagbo soucieux de se laver de tout soupçon de pro-Gbagboisme pour avoir loyalement, en toute complicité et confiance collaboré avec lui jusqu’au 28 Novembre 2010, deviendra très anti-Gbagbo, prêt à casser du Gbagbo.

On n’est pas meilleur Premier ministre d’un animal de brousse en l’ayant trompé tout le temps et sans aucun engagement. À moins que le boulanger ne soit pas celui qu’on ait vraiment cru !

Sa connaissance et sa proximité avec Laurent Gbagbo au cours des années d’application de l’accord de Ouagadougou  feront du Premier ministre, ministre de la Défense, un expert aux avis très écoutés sur la conduite des opérations militaires, et sur  l’usage de la force pour vaincre Laurent Gbagbo.

Le Premier ministre Guillaume Soro et le camp Ouattara ont-ils suffisamment mesuré  l’ampleur de la force dont disposait  Laurent Gbagbo ?

Dès le début, Guillaume Soro choisit la pression psychologique et espère déstabiliser psychologiquement et même militairement,  avec l’appui des unités combattantes des FN venues à Abidjan, l’administration Gbagbo.

On le verra avec les assauts lancés pour libérer la RTI et la tentative de se faire installer à la Primature en boutant hors Aké N’gbo.

Cela n’a pas ébranlé le camp en face et conduira à la prise de mesures comme le blocus du Golf Hôtel, qui n’avait pas été envisagé par le camp Ouattara dans toutes ses stratégies du départ.

Une mesure contournée certes grâce à la Licorne et à l’Onu par la voie aérienne et maritime souvent, mais qui restera pendant longtemps, comme le symbole de la maîtrise d’Abidjan et du bon contrôle des opérations par le camp Gbagbo.

Plus tard la chute et la levée du blocus signeront le début de la fin du régime Gbagbo.

Aujourd’hui, des observateurs se posent la question suivante : la crise aurait-elle été différente, la détermination de Laurent Gbagbo et des siens aurait-elle été autre si Alassane Ouattara ne lui avait pas fait mal en arrachant son meilleur Premier ministre, si Guillaume Soro s’était installé à Ouagadougou, ou à Bouaké pour regarder les deux candidats se battre, tout en prenant le soin de préciser que pour lui, le vainqueur c’est Alassane Ouattara, et que même si Laurent Gbagbo gagnait la guerre d’Abidjan à venir, il le trouverait encore sur son chemin, puisqu’il n’était question pour les Forces nouvelles que de remettre le Nord du pays à  Alassane Ouattara, le vainqueur légitime du scrutin ?

Sortant d’un pays coupé en deux, qu’il a tenté de réunifier par l’Accord de Ouagadougou, Laurent Gbagbo aurait-il pris le risque de reprendre tout à zéro ? Après avoir gagné éventuellement contre Alassane Ouattara, il aurait alors encore poursuivi la crise contre le même Alassane Ouattara, contre  Blaise Compaoré via Guillaume Soro et les Forces nouvelles qui se seraient repliées à Bouaké pour être prêtes éventuellement à lancer l’assaut final et fatal sur Abidjan.

Avec la posture prise par Guillaume Soro d’intégrer le système Ouattara et le Rhdp qui venaient de gagner l’élection présidentielle,  sans le soutien militant, partisan et officiel des Forces nouvelles, il suffisait pour Laurent Gbagbo de neutraliser Alassane Ouattara à Abidjan pour remporter, une première partie décisive, à l’exclusion des frappes aériennes et de l’intervention française et onusienne.

D’où l’enjeu crucial de la bataille d’Abidjan sérieusement préparée par le camp Gbagbo qui y avait concentré toutes ses forces, rêvant de contre-offensive et d’une longue marche de reconquête et de libération à la Mao Tsé Toung. C’était sans compter avec les frappes aériennes et sur la détermination de la communauté internationale », extraits de « Notre Histoire avec Laurent Gbagbo ».

Ouattara, Gbagbo, Soro, les forces nouvelles et le contexte de l’élection présidentielle de 2010 ( Un extrait de Notre Histoire avec Laurent Gbagbo, de Alafé Wakili, paru en Mai 2013, aux éditions Harmattan, Paris)

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