Les hommes de droit et la crise ivoirienne

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Texte dédié à Dr Louis Nando, secrétaire technique de l’Institut Politique du RHDP

La crise ivoirienne est survenue du choc des ambitions personnelles (chacun veut être président et chacun veut écarter l’autre). L’élaboration de stratégies vicieuses pour écarter des potentiels adversaires a priori redoutables, politise la crise. La crise devient davantage politique parce que chaque leader quasiment vénéré par sa base, réussit, soit à manipuler l’opinion, à instrumentaliser son « peuple » pour sa cause ; soit à bénéficier du soutien de son « peuple » qui se sent tout aussi victime que son leader. La crise individuelle devient politique parce qu’elle embrase le peuple et elle devient ultra sociale ou sociétale par l’ethnicisme, par l’identitaire, le clanisme. La crise ivoirienne est donc partie des individus pour devenir une crise sociopolitique. La dimension militaire fut un simple succédané. De façon phénoménologique, c’est le conflit des individus qui devint une crise d’individus puis crise politique, ensuite sociale et enfin militaire. Que faire aujourd’hui face à la montée de violence verbale liée à la résurgence du choc des ambitions politiques personnelles ?

La principale arme politique utilisée par les uns contre les autres fut le droit. Ce procédé de lutte politique n’est pas nouveau. Contrairement à ce que beaucoup peuvent s’imaginer, la force brutale n’est pas la première arme préconisée pour mener la bataille politique. Même Machiavel n’était pas machiavélique sur la question. L’on a recours à la force brutale et à la ruse parce que les armes juridiques sont épuisées. En dépit de sa propension à recourir à la force et à la ruse, le droit reste ainsi pour Machiavel la première arme politique.

Au chapitre 18 §2 de son ouvrage majeur Le prince, Machiavel affirme : « vous devez donc savoir comment il y a deux façon de combattre : l’une avec les lois, l’autre avec la force ; la première est propre à l’homme, la deuxième aux bêtes. Mais, parce que très souvent la première ne suffit pas, il convient de recourir à la seconde ». La force n’est donc pas la première arme politique. Elle le devient qu’après que l’on ait épuisé les artifices juridiques. C’est pourquoi, au paragraphe suivant, l’homme politique italien, victime d’un coup d’État, finit par dire, qu’il faut savoir user de la force et de la ruse. Voici un des points clés du machiavélisme auquel la crise ivoirienne donne de l’écho.

Vous pourriez remarquer que c’est l’usage inique du droit, l’instrumentalisation de la loi utilisée comme arme politique, qui nous fit chaque fois entrer de façon effective dans la crise et la violence politique. La stratégie consista à faire des hommes de droit des acteurs politiques déguisés. Le droit ne fut donc qu’un prétexte. La loi parle un langage plus politique que juridique parce que ses porte-voix sont les gardiens des fétiches des temples politiques. On peut s’interroger si Tia Koné était juriste ou politique. On peut se demander si Yao N’dré était juriste ou politique. Et c’est sûr que certains s’interroge si Mamadou Koné est juriste ou politique, d’autant plus que le président du conseil constitutionnel est nommé par le président de la république. Nous en sommes là, où le droit ne rassure personne. Les acteurs politiques ne se fient pas à la loi, mais plutôt à celui qui est habilité à dire la loi. Bien sûr, chacun d’eux a sa propre lecture de la loi et chacun veut faire dire au juge constitutionnel sa propre lecture de la loi. Dans ces conditions, pourquoi parler de droit ?

En vérité, le droit tel qu’il est pris de l’éthos politique, est lu dans des regards croisés. Son sens n’est plus dans le droit lui-même, mais dans l’œil qui le regarde. Il pourra être lu dans un sens comme dans un autre selon les juristes, les constitutionnalistes ou les politiques. Dans ces conditions, arrêtons de fétichiser le droit car le fétiche est en nous même avant d’être dans le droit !Arrêtons de faire du droit, le masque qui cache nos fétiches !

À trois mois de la présidentielle du 31 octobre 2020, chaque chapelle politique, chaque juriste (politique), chaque constitutionnaliste veut faire sortir son masque et le faire danser à son propre rythme, son propre chant. Pour le président Bédié et certains juristes, le président Ouattara n’aurait pas droit de faire acte de candidature parce qu’il serait frappé d’illégitimité pour avoir déjà fait « ses » deux mandats. Cela pouvait-il en être autrement ? Le président Bédié n’a pas attendu la constitution de 2016 pour écarter Monsieur Ouattara du jeu politique. Au moment où j’écris ce texte, j’ai en écho dans mes oreilles son dernier discours au cours duquel il définissait les Ivoiriens des jours pairs et les Ivoiriens des jours impairs.

Il est évident que pour nous, militants et sympathisants du RHDP et pour les citoyens ivoiriens séduits par le bilan honorable du président Ouattara, celui-ci demeure éligible à un autre mandat parce que nous sommes dans une nouvelle République et le droit n’est pas rétroactif. Les juristes et constitutionnalistes qui défendent cette thèse ne manquent non plus. C’est pourquoi, le fétichisme juridique ne me semble pas judicieux. Encore une fois, je le dis : le rigorisme juridique ne peut être qu’injuste. Montesquieu nous rappelle dans ses cahiers ceci : « la loi n’est pas juste parce qu’elle est loi, elle est loi parce qu’elle est juste ». Au-delà de la lettre que l’on tente de robotiser, et si nous visions tous le juste ? L’objectif du droit est la justice qui par essence est morale.

Qu’est-ce serait juste aujourd’hui ? Que tous les ivoiriens jouissant de leur liberté civique et civile, parrainés par des ivoiriens conformément aux dispositions du code électoral, puissent faire acte de candidature et que le peuple souverain choisisse son dirigent. Sinon, l’ultra juridisme provoquera les mêmes déboires antérieurs.

Souvenons-nous des excuses publiques de Tia Koné ! souvenons-nous de la formule de Yao N’dré qui reconnut publiquement avoir été possédé par le diable. Allons-nous nous laisser encore une fois prendre au jeu de la passion des feuilletons juridico-politiques, qui firent tant de tort à notre pays ? Allons-nous, à nouveau nous laisser méduser par des juristes possédés par le diable ? NON ! Efforçons-nous à les délivrer avant que le pire se produise. Le langage de l’imbroglio juridique s’installe. Des juristes soupçonnent Bédié de n’avoir pas renoncé à son statut de membre de droit du conseil constitutionnel, en conformité avec les dispositions du code électoral. Face à cette alchimie juridique inextricable, un ami me dit : « c’est devenu une sorcellerie politique ». Et, c’est ce à quoi renvoie l’usage commercial du droit en politique.

Cette politisation du droit ou de son interprétation pose un autre problème beaucoup plus complexe, celui de la confusion entre la légalité et la légitimité. Si la légalité pouvait résumer la légitimité, on aurait demandé aux juristes de se substituer au peuple et de désigner le président. La légitimité ne peut pas non plus remplacer la légalité, sinon on aurait pas besoin d’écrire le droit. Le propre de la démocratie moderne est de ne pas les éloigner, l’une de l’autre. Pour que la légalité et la légitimité se rencontre, le juriste doit toujours s’efforcer de rechercher le juste, qui réside fondamentalement dans la paix et l’harmonie sociale. 

La Côte produise d’Ivoire a assez souffert de ses juristes politiques. Nous sommes moins à la recherche d’homme de droit qu’à la recherche d’homme droit. Nous n’avons plus besoin de lire le droit pour le droit, mais de le lire pour la paix et l’harmonie sociale. Nous avons moins besoin de technicien que de spiritualiste du droit.

Dr Gaoussou KARAMOKO

Enseignant-chercheur, Philosophe et politiste

Auteur de Comprendre l’houphouétisme

Auteur : Dr Gaoussou KARAMOKO

Source : Enseignant-chercheur, Philosophe et politiste

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