La présidentielle du 31 octobre 2020 : les enseignements d’un scrutin

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Les résultats provisoires donnés par la Commission Électorale Indépendante, le 3 novembre 2020, indiquent que sur 17 601bureaux de vote ouverts et une population électorale de 6 066 441, il y a eu 3 269 813 votants et 3 215 909 suffrages exprimés dont 3 031 483 en faveur du candidat Alassane Ouattara, soit 94,27%. Le taux de participation s’élève à 53,90%. Les autres scores : Affi 0,99% ; HKB 1,66% ; KKB 1,99%.

1.     Y a-t-il eu oui ou non élection ?

La thèse des frondeurs est bien connue. Ayant appelé à la désobéissance civile et au boycott actif du scrutin, les candidats Affi et Bédié estiment qu’il n’y a pas eu d’élection. À quelle condition cette thèse pourrait être soutenue ? L’on aurait effectivement pu dire cela si les bureaux de vote n’ouvraient pas, si le processus du vote, du dépouillement et de la proclamation n’aboutissait pas à son terme. On pourrait dire que le scrutin a été une parodie si les tentatives d’empêcher le processus l’emportaient sur la volonté de le réaliser.

Or, sur 22 381 bureaux de vote, 17 601 ont ouverts. Il y a donc eu environ 4/5 bureaux qui ont ouverts. Le scrutin a donc eu lieu car on peut le dire, l’impact du boycott a été d’empêcher l’ouverture d’1bureau sur 5, de provoquer la réduction du nombre d’inscrit de 7 495 082 à 6 066 441. En dépit des désagréments causés par le boycott actif, la plupart des observateurs pensent que le scrutin s’est globalement bien passé (UE ; UA ; CEDEAO …). Il y a donc eu élection.

2.     Qui sont les vainqueurs et les vaincus de ce scrutin ?

En réalité cette élection connait trois vainqueurs et deux vaincus.

–         Les vainqueurs

Le candidat Alassane Ouattara est le principal vainqueur de cette élection pour avoir su maintenir contre vents et marrées la date constitutionnelle du 31 octobre 2020. Le taux de participation est en soit un motif de satisfaction pour lui car il montre la mobilisation des électeurs qui ont braver la peur, la psychose cultivée par les boycotteurs. Alassane Ouattara peut se satisfaire également de son score de 94,27% des suffrages exprimés, qui révèle en partie l’implantation et la mobilisation de son parti le RHDP. Je dis en partie parce que des ivoiriens d’autres bords politiques ou des citoyens tout simplement pourraient faire partie de ce score de 94, 27%.

Kouadio Konan Bertin est le second vainqueur de cette élection. En dépit de son score aussi minime de 1, 99%, KKB peut se satisfaire d’avoir réussi son pari. Sa victoire réside dans la tenue du scrutin, car il s’est voulu comme une alternative à ceux qui voulaient empêcher la tenue du scrutin. Sa présence a permis de faire fonctionner la notion de « compétition électorale ». Il a été l’adversaire principal en dépit de son poids électorale minime. La participation de KKB montre à ceux qui ont choisi le boycott, qu’il n’était pas impossible de participer à ce scrutin.

Le troisième vainqueur de ce scrutin est sans conteste Laurent Gbagbo. Cette lecture pourrait surprendre certains, mais il n’y a aucun doute que la non-participation d’Affi N’guessan, candidat officiel du FPI à ce scrutin, est en soi une victoire pour Laurent Gbagbo. Elle peut aussi être considérée comme une victoire pour Affi N’guessan lui-même si l’on considère que la réconciliation du FPI a plus d’importance que sa propre candidature qui n’aurait pas pu mobiliser les GOR, qui constituent la partie invisible de l’iceberg. La participation d’Affi N’guessan aurait accentué la fracture du FPI. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’il soit pour une fois au moins en harmonie avec tous les GOR, y compris Simone Gbagbo.

Laurent Gbagbo, sorti de prison, pourrait effectivement retrouver sa famille politique telle qu’il l’a laissée. L’interview qu’il a accordé à TV5 Monde à deux jours du scrutin présidentiel indique qu’il n’entrevoit pas une retraite politique dès sa sortie de prison. Pour jouer ce rôle politique, il aura nécessairement besoin de son appareil politique intact. En réalité, ce qui préoccupe un leader politique emprisonné, c’est le risque de se voir anéantir politiquement, le risque de la mort politique sa mort politique. Ce qui importe le leader emprisonné va au-delà du besoin de retrouver la liberté, c’est sa survie politique. Affi N’guessan qui a voulu être une alternative momentanée à l’emprisonnement de Laurent Gbagbo, n’a jamais bénéficié du soutien de celui-ci pour ces raisons sus-indiquées. Cette élection a permis au FPI de se réunifier, avant que Gbagbo n’est l’occasion de le retrouver physiquement.

–          Les vaincus

Le principal vaincu du scrutin du 31 octobre 2020 est incontestablement Henri Konan Bédié. HKB avait pour stratégie de réunir l’opposition autour de sa candidature.   À défaut de pouvoir mobiliser les énergies de l’opposition autour de sa personne, Henri Konan Bédié a été aspiré par ceux dont la victoire réside dans la non-participation, le FPI légal, le FPI légitime et GPS.

 L’autre grand perdant de ce scrutin est le président de Génération et Peuple Solidaire (GPS).  Guillaume Soro n’a de cesse martelé que le scrutin du 31 octobre n’aura pas lieu et que le président Ouattara ne sera pas le prochain président. Le scrutin a eu lieu et Ouattara a été élu. Guillaume Soro a tout de même une victoire sur Henri Konan Bédié qu’il a réussi à aspirer par ses appels incessants à l’unification de l’opposition en vue d’empêcher le scrutin.

3.     Quel sens démocratique accordé à ce scrutin ?

Le scrutin du 31 octobre 2020 fut problématique. Ce fut un scrutin qui posait un problème démocratique de fond : celui de la conciliation entre la légalité et la légitimité. Le premier problème que résout la démocratie est celui de la légitimité du pouvoir politique. Le pouvoir tire sa légitimité du peuple, du suffrage universel. Outre la légitimité si chère à la démocratie ancienne, la démocratie moderne accorde une très grande importance à la légalité (État de droit). Le pouvoir démocratique doit donc être conforme à la légalité et à la légitimité.

La candidature du président Ouattara, candidat du RHDP, partie majoritaire aux élections antérieures (législatives, sénatoriales, municipales et régionales), en apparence légitime, avait besoin de conquérir la légalité sous le scribe d’une nouvelle constitution, celle de la troisième république. La candidature du président Bédié, candidat du PDCI-RDA, en apparence légaledu fait de la suppression de la limite d’âge par la nouvelle constitution, devait conquérir la légitimité populaire. Après la recevabilité de leurs candidatures par le conseil constitutionnel, le problème de la légalité était censé résolu et dépassé. La décision du conseil constitutionnelle relève de l’autorité de la chose jugée.  Il ne restait donc que la bataille de la légitimité à travers le suffrage universel pour accéder au pouvoir d’État.

Malheureusement, le président Bédié s’est soustrait du scrutin sous le prétexte que Ouattara n’aurait pas dû être candidat à cette élection. Affi qui n’avait pas intérêt à trahir son mentor désormais libre de ses mouvements, se met sous l’ombre de Bédié pour mieux s’éloigner du scrutin et mieux s’approcher de son mentor. Guillaume Soro, qui ne voulait qu’empêcher le scrutin, entraine le vieil homme à se radicaliser.  Il faut bien qu’il ait quelqu’un pour sauver le vieil homme. Sauvons le vieil homme de l’égarement politique. Le Conseil National de Transition (CNT) qu’il veut diriger est un cauchemar politique. Bédié est hanté par le Comité National de Salut Public (CNSP) qui le renversa en 1999. Pendant la précampagne, il qualifiait d’ailleurs sa candidature de salut public. Les psychologues pourront l’examiner. Le CNT est le CNSP du subconscient du vieil homme. Qui pourrait réveiller le vieil homme de ce cauchemar, le remettre de ce traumatisme politique ?

Il est souhaitable que le président Ouattara qui l’a toujours appelé grand frère, sache prendre le vieil homme par la main. Bédié a nécessairement besoin d’une béquille, une canne politique. Traumatisé et emporté par la rage de la revanche sur le passé, le vieil homme est télécommandé par le jeune homme. Quelle tragédie !

4.     Quel processus postélectoral pour consolider la paix en Côte d’Ivoire?

Beaucoup d’ivoiriens pensent que la Côte d’Ivoire est si divisée qu’elle a besoin d’un processus de réconciliation nationale. Cela me semble être une erreur politique. À la vérité, il n’y a pas de crise de la nation ivoirienne. La nation n’est pas en crise. La Côte d’Ivoire a plutôt un problème de paradigme politique démocratique. Ce sont les conflits entre les leaders politiques qui a des effets néfastes sur le vivre-ensemble, sur la cohésion sociale. Ce qui est donc considéré comme une crise nationale est l’effet d’une cause et non une cause. La cause est l’animosité entretenue par les leaders politiques les uns vis-à-vis des autres, et qui ont réussi à construire des bastions ethniques ou régionaux.

Quand ils sont en conflit, leurs bastions ont tendance à s’affronter. Ces bastions étant ethnicisés, cela donne l’impression d’une crise nationale. Quand les leaders se retrouvent et qu’ils se congratulent, leurs bastions s’entremêlent comme par enchantement. Il n’y a pas de crise de la nation, il n’y a donc pas un besoin de réconciliation nationale. Quand nos idoles, nos leaders incontestés, réussiront à privilégier l’intérêt de la nation, à se retrouver en frère, on constatera tous que la nation n’a pas de problème. Quand le plus jeune Laurent Gbagbo appellera son grand frère Alassane Ouattara et que Ouattara saura consoler son grand frère Bédié, qui parait pour l’instant perdu voir incontrôlable, les ivoiriens se rendront compte que leurs affrontements n’ont pas de raison réelles.

Dr Gaoussou KARAMOKO

Philosophe et politiste

Auteur de Qu’est-ce que l’houphouétisme ?

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