En Afrique, le fardeau « caché » de la surmortalité due au Covid-19.

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The grave of a man who, according to his son, died from the coronavirus disease (COVID-19) is seen at the Christian Saint-Lazare Cemetery as Senegal records more COVID-19 deaths, Dakar, Senegal August 4, 2021. Picture taken August 4, 2021. REUTERS/Zohra Bensemra

Entre 2020 et 2021, le nombre d’Africains décédés du SARS-CoV-2 s’élèverait à 1,24 million selon l’OMS, soit cinq fois et demie plus que les 229 197 décès officiellement répertoriés.
La tombe d’un homme mort du Covid-19 au cimetière Saint-Lazare de Dakar, le 4 août 2021.
C’est l’heure des comptes. Si à travers le monde, la pandémie de Covid-19 a causé, directement et indirectement, presque trois fois plus de décès que le nombre de morts officiellement recensés, comme l’a rapporté le 5 mai l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Afrique ne fait pas exception. Entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2021, le nombre d’Africains décédés du Covid-19 s’élèverait à 1,24 million, soit cinq fois et demie plus que les 229 197 décès officiellement répertoriés au 4 janvier 2022 par le bureau africain des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) de l’Union africaine.

Malgré cela, les pays du continent, à l’instar de ceux à faibles et moyens revenus dans le reste du monde, ne portent « que » 19 % de ce fardeau « caché », les plus grands excès de mortalité constatés se concentrant en Asie du Sud-Est, en Europe de l’Est, en Amérique du Nord et en Amérique latine. Dans le monde, le SARS-CoV-2 et ses multiples variants sont responsables de la mort de 13,3 à 16,6 millions de personnes. Bien plus que les 5,5 millions de décès officiellement recensés sur la même période, selon l’OMS, dont les chiffres confirment les réévaluations spectaculaires annoncées dans une étude parue début mars dans la revue scientifique The Lancet.

Pour réaliser ces modélisations, l’agence onusienne a comparé le nombre de décès survenus dans chaque pays à ceux des années précédentes. Des chiffres qu’il faut toutefois faire parler avec prudence, a expliqué l’OMS lors de la présentation des résultats. « Les estimations africaines ont été présentées sans que nous ayons pu avoir toutes les données nécessaires, a reconnu William Msemburi, analyste à l’OMS. Seuls cinq pays ont pu fournir des données consolidées, 42 n’en ont pas suffisamment et quelques-uns pas du tout. Nous sommes donc face à une véritable difficulté de modélisation », qui pourrait faire redouter un nombre plus important de ces décès « cachés ».

« Les lacunes révélées par la pandémie de Covid-19 indiquent qu’un des enjeux cruciaux des années à venir sera de renforcer les systèmes d’information sanitaires, partout dans le monde, pour pouvoir mieux protéger et prévenir », a renchéri la docteure Samira Asma, chargée du dossier à l’OMS.

L’Afrique australe paie le plus lourd tribut

Pour expliquer le différentiel entre le nombre de décès annoncé quotidiennement par le CDC Afrique et ces modélisations mathématiques complexes, il faut d’abord rappeler que la surmortalité comptabilise non seulement les morts directement imputables au SARS-CoV-2 – courbe sur laquelle l’opinion mondiale a les yeux rivés depuis le début de la crise –, mais aussi celles qui lui sont indirectement associées, toutes causes confondues, « résultant de l’impact de la pandémie sur les systèmes de santé et la société », explique l’OMS.

Sur le continent, et généralement pour les pays en développement, les chiffres laissent entrevoir que les Africains sont morts autant du Covid-19 en lui-même que de ses conséquences. Car la pandémie a entraîné une crise économique et sociale d’ampleur : systèmes sanitaires déjà fragiles ébranlés, renoncement aux soins, retards et résistances à la vaccination anti-Covid, éloignement des populations des centres de santé dont les ressources financières et les personnels ont été massivement réaffectés à la riposte, routine vaccinale interrompue pour d’autres maladies « grandes tueuses » (sida, tuberculose, paludisme, rougeole), accès restreint à certains traitements et médicaments, paupérisation brutale des foyers. Selon les Nations unies, le nombre de personnes vivant avec moins de 1,90 dollar par jour – le seuil de l’extrême pauvreté – en Afrique subsaharienne a augmenté de 37 millions en 2021.

En matière de surmortalité, de fortes disparités s’observent à travers le continent, dont la moyenne se situe à 61 décès « excédentaires » pour 100 000 habitants, selon les modélisations de l’OMS, alors que la moyenne mondiale est de 82. L’Afrique australe paie le plus lourd tribut, avec des taux de 200 pour l’Afrique du Sud, 164 pour l’Eswatini, 156 pour le Bostwana, 151 pour la Namibie, 93 pour le Lesotho, 67 pour le Mozambique, 63 pour le Zimbabwe et 62 pour la Zambie. Au Maghreb, la Tunisie (160) et l’Egypte (122) à elles deux ont connu une surmortalité supérieure à celles du Maroc (47), de l’Algérie (79) et de la Libye (57) réunies.

« En Afrique australe, où les saisons sont beaucoup plus marquées, on a vu des phénomènes de saturation des hôpitaux lors des vagues hivernales », décrypte le professeur Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur de Paris, spécialiste du Covid-19 : « Ce qui a moins été le cas en Afrique intertropicale, où le virus a circulé de manière plus constante. » La surmortalité y a été à la fois moins visible et moins importante. Du Sénégal à l’Ethiopie, en passant par la Côte d’Ivoire ou le Nigeria, pratiquement tous les pays de la bande subsaharienne présentent des chiffres plus faibles que la moyenne continentale, à l’exception du Cameroun (66), de la Centrafrique (64), de la Somalie (110) et de la République démocratique du Congo (65).

Une majorité de décès à domicile

Dans cette équation, il est cependant difficile de déterminer précisément pour chaque pays le supplément de décès directement imputables au nouveau coronavirus : un certain nombre de cas mortels de Covid-19 ont été « manqués », comme le souligne l’étude, faute d’avoir testé les personnes ante ou post mortem ou parce que les systèmes statistiques nationaux ne sont pas suffisamment robustes.

Une étude rendue publique fin mars et réalisée en Zambie sur 1 118 personnes testées post mortem avait révélé la présence du virus dans 90 % des cas en période de pic épidémique, ce qui ne signifie toutefois pas que ces personnes sont toutes décédées du SARS-CoV-2. « Grâce aux nombreuses études de séroprévalence réalisées sur le continent, on sait que le virus y a circulé autant qu’ailleurs, rappelle Arnaud Fontanet. Mais le cas de la Zambie est intéressant parce qu’il a aussi montré que 80 % des morts du Covid-19 étaient décédés à domicile. C’est la pièce du puzzle qui manquait pour expliquer une grande partie de ces cas cachés, même s’il y a encore eu peu de d’études de ce type en Afrique. »

Une autre étude de méta-analyses, dirigée par Andrew Levin et présentée en 2021 dans le British Medical Journal, avait démontré que le risque de mourir (taux de létalité) était deux fois plus élevé dans les pays en développement que dans les pays à revenu élevé, notamment à cause des difficultés d’accès aux soins. Un effet compensé, voire contrebalancé, par la jeunesse de la population en Afrique. Sur 1,3 milliard d’habitants, seuls 3,5 % sont âgés de plus de 65 ans.

Auteur : Sandrine Berthaud-Clair

Source : Lemonde

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