Côte d’Ivoire : le nouveau système Ouattara.

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Devant le Congrès réuni à Yamoussoukro, le 19 avril 2022, le Premier ministre, Patrick Achi, le vice-président, Tiémoko Meyliet Koné, le président, Alassane Ouattara, ainsi que Jeannot Ahoussou Kouadio et Adama Bictogo, respectivement présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. Avec ses grandes allées rarement embouteillées, ses larges trottoirs et ses luxueuses villas, le quartier de Beverly Hills, dans la commune de cocody à Abidjan, regroupe quelques-unes des plus grosses fortunes du pays. Hommes d’affaires, directeurs généraux, hommes et femmes politiques de premier plan y ont élu domicile : la ministre des Affaires étrangères, Kandia Kamara, ou l’actuel chef du gouvernement, Patrick Achi. Tiémoko Meyliet Koné, le tout nouveau vice-président, est son voisin.  

En cette soirée du 23 avril, Achi parcourt les quelques mètres qui séparent leurs résidences pour une réunion au sommet. Le 15 avril à Abidjan, puis le 21 à San Pedro, les services de sécurité ivoiriens ont mis la main sur une importante cargaison de drogue, plus de 2 tonnes de cocaïne en provenance d’Amerique latine. Elle a été estimée à 41,1 milliards de F CFA (62,6 millions d’euros). Informé, Alassane Ouattara (ADO) a décidé de confier ce dossier sensible à Tiémoko Meyliet Koné. C’est la raison de la présence d’Achi chez lui. Le secrétaire général de la présidence, Abdourahmane Cissé, ainsi que les ministres Birahima Téné Ouattara (Défense) et Vagondo Diomandé (Intérieur et Sécurité) sont de la partie.  

FMI et BCEAO.

Pour Tiémoko Meyliet Koné, c’est non seulement un sacré baptême du feu quelques jours seulement après quitté le siège dakorois de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) , dont il était le gouverneur depuis 2011, mais aussi le signe de la place que compte lui accorder Alassane Ouattara. « Symboliquement, voir le Premier ministre se déplacer chez lui, c’était important. Ça a donné le ton », analyse un membre du gouvernement.  

Tout juste après sa nomination, Tiémoko Meyliet Koné s’est rendu dans plusieurs capitales ouest-africaines afin de faire ses adieux aux autorités locales et, parfois, de transmettre un message du chef de l’État. De retour à Abidjan, il a reçu le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Mahamat Saleh Annadif Khatir, avant de représenter le président lors de la célébration de la Nuit du destin.  

Par le flou dont elle entoure le poste de vice-président, la Constitution permet à ADO de lui donner le poids qu’il souhaite. Mais le chef de l’État n’entend pas faire de Tiémoko Meyliet Koné un nouveau Les deux hommes ont pourtant certains points communs, comme celui d’être de bons technocrates passés par le FMI et la BCEAO. Ce qui est également le cas d’Alassane Ouattara. 

Tiémoko Meyliet Koné applaudi lors de sa désignation, à Yamoussoukro, le 19 avril 2022.

À 72 ans, Tiémoko Meyliet Koné sait que sa nomination ne doit pas être vue comme un possible tremplin vers une candidature à la présidentielle de 2025. « Le chef de l’État ne voulait pas nommer de personnalité politique à ce poste pour éviter toute interprétation, comme ce fut le cas avec Duncan », explique l’un de ses vieux amis.  

Cette absence d’ambition politique semble pousser ADO à lui confier un certain nombre de dossiers importants. Le président veut qu’il se familiarise rapidement avec leur contenu. C’est pour cette raison qu’il a tenu à choisir le directeur de cabinet du vice-président, Emmanuel Ahoutou Koffi, qui a assuré cette fonction auprès de ses trois derniers Premiers ministres (Amadou Gon Coulibaly, Hamed Bakayoko et Patrick Achi). 

ADO désire également échapper à certaines contraintes, notamment des obligations nationales, continentales ou internationales. Il reste néanmoins à la manœuvre. Le 15 avril, il a quitté Abidjan pour aller passer une semaine en France. En son absence, le Conseil des ministres hebdomadaire n’a pas eu lieu.   

Cercle rapproché

Le chef de l’État est un homme qui prend rarement des décisions dans la précipitation. « Il a le temps pour lui. Et le temps lui a jusque-là donné raison », assure l’un de ses visiteurs du soir. ADO prend également un malin plaisir à surprendre. À dire une chose et à faire son contraire. Mi-mars, il avait confié en privé vouloir attendre juillet pour remanier son gouvernement. De plus, il concédait à certains ses réticences à nommer un nouveau vice-président, poste resté vacant depuis la démission de Daniel Kablan Duncan, en juillet 2020. « En laissant filtrer ces informations, il voulait tester les réactions. En réalité, il avait déjà défini son calendrier : réaménager le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), puis le gouvernement, et nommer un vice-président dans la foulée », assure l’un de ses proches.   

En procédant de la sorte, Alassane Ouattara achève de remodeler un système bouleversé par la mort d’Amadou Gon Coulibaly, en juillet 2020, et de Hamed Bakayoko, en mars 2021. Avant cela, ADO avait perdu le soutien de Duncan et celui de Marcel Amon Tanoh, son ancien directeur de cabinet, qui a depuis fait amende honorable et été nommé au Conseil de l’entente. En juin 2021, il avait nommé Claude Sahi chef de cabinet, fonction assumée jadis par le ministre Sidi Tiémoko Touré et inoccupée depuis plusieurs mois. Ancien proche d’Ibrahim Coulibaly, Sahi est un bon connaisseur de l’administration. Il fut l’un des piliers du ministère de l’Intérieur, où il était le directeur des affaires politiques. Hamed Bakayoko l’avait recruté en 2014. 

Ben Yahmed

L’arrivée de Tiémoko Meyliet Koné redéfinit légèrement le rapport des forces entre les membres de son cercle rapproché. C’est tout particulièrement le cas de son Premier ministre. Relégué d’un rang dans l’ordre protocolaire, Patrick Achi doit-il s’inquiéter de l’arrivée d’une nouvelle personnalité de poids dans l’entourage du chef de l’État ? Depuis sa nomination, il est soumis à une forte pression et a parfois montré certaines difficultés à imposer son autorité sur un gouvernement pléthorique.  

Selon nos informations, ses relations se seraient compliquées avec Abdourahmane Cissé, secrétaire général de la Présidence depuis fin mars 2021 et autre élément essentiel du nouveau système Ouattara. Courroie de transmission entre la Présidence et le gouvernement, il est au cœur de l’appareil exécutif. Il s’entretient quotidiennement avec le chef de l’État.   

En privé, Achi s’est plaint de voir Cissé s’immiscer régulièrement dans ses dossiers. Il juge trop ambitieux celui que certains, dans les couloirs de la présidence, surnomment même « Macron », en référence à son jeune âge et à ses potentielles envies présidentielles.  

« Même s’il aura une certaine autorité, Koné ne va pas faire d’ombre à Achi. Ils ne sont pas concurrents. Le vice-président va assister le Premier ministre dans certains dossiers et lui permettre de se concentrer sur d’autres sujets. Le président veut le mettre dans les meilleures conditions », souligne un intime d’Alassane Ouattara qui rappelle qu’Achi et Koné se connaissent et s’apprécient. Ils ont déjà travaillé ensemble, notamment lors de la préparation de la réforme du franc CFA, annoncée en décembre 2020 à Abidjan par Alassane Ouattara et Emmanuel Macron.  

Bien que Tiémoko Meyliet Koné ne soit pas un pur politicien, son entrée en scène pourrait aussi avoir une incidence sur la géopolitique électorale. Depuis le décès d’AGC et de Hamed Bakayoko, aucun cadre du nord de la Côte d’Ivoire n’a réellement émergé pour le moment. Originaire de Ferkessédougou par son père et de Tarifé, où il possède un ranch, une résidence secondaire et un complexe hôtelier, par sa mère, l’ancien gouverneur de la BCEAO est un éminent représentant du septentrion. Sa zone d’influence est mitoyenne de celle d’un autre proche chef del’Etat , fidele Sarassoro, Lui aussi est cité comme l’un des potentiels successeurs d’ADO, dont il est le discret directeur de cabinet depuis cinq ans. C’est d’ailleurs à la demande de ce dernier qu’il s’était présenté aux dernières élections législatives dans son fief de Sinématiali (Nord), où il a été élu facilement. Une manière pour le président de faire apparaître une nouvelle figure en pays sénoufo. Sarassoro, qui cumule déjà sa fonction à la présidence avec celle de secrétaire du Conseil national de sécurité (CNS), avait également vu ses compétences élargies.  

L’émergence d’une autre personnalité du Nord pourrait-elle contrarier sa montée en puissance ? « Sarassoro est jeune. Il a le temps, contrairement à Koné. Et puis le boss n’a pas joué sa dernière carte. Alassane Ouattara va sûrement tester son nouveau système pendant un ou deux ans. Il n’est pas exclu qu’il effectue par la suite un autre remaniement plus important que le dernier et nomme un autre vice-président avant 2025 », précise-t-on dans l’entourage du chef de l’État. Encore une fois, ADO reste le maître des horloges du temps politique de son pays. 

Auteur : Vincent Duhem

Source : Jeune Afrique

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