Tidjane Thiam, ancien directeur général de Credit Suisse, refuse de porter le chapeau.

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"Les questions culturelles ne peuvent pas se résoudre du jour au lendemain", selon Tidjane Thiam. "Nous avons fait ce que nous avons fait pendant cinq ans", a-t-il poursuivi, mais il faudra encore "beaucoup d'efforts permanents pour régler ces questions". (archives)

Poussé vers la sortie en 2020, le polytechnicien franco-ivoirien ne veut pas être mêlé à la crise actuelle traversée par la banque suisse.

Qu’est-il arrivé à Credit Suisse? La déroute et la reddition de cette institution vieille de 167 ans, contrainte de se vendre à prix cassé à son rival UBS le week-end dernier, n’ont pas fini de faire couler de l’encre. Dans cette histoire, Tidjane Thiam occupe un rôle, mais lequel? Le polytechnicien franco-ivoirien, recruté par le géant suisse en 2015 alors qu’il était le patron de l’assureur britannique Prudential, l’a dirigé pendant cinq ans. Il a été poussé vers la sortie en 2020, par le président du conseil à l’époque Urs Rohner. Un épisode marquant de l’instabilité managériale devenue légendaire à la tête du groupe bancaire.

Thiam a été pris dans un scandale d’espionnage privé visant notamment un dirigeant de l’activité de gestion de fortune parti chez UBS. Une histoire qui a fait les choux gras de la presse suisse, people et financière, et a pris des proportions rocambolesques sur fond de rivalités internes et parfois de racisme. Tidjane Thiam ne veut plus en parler. «Je refuse que cinq ans de travail soient réduits à cette affaire malheureuse», dit-il au Figaro.

Justement. Ses cinq ans à la tête de Credit Suisse ont-ils planté les graines des accidents industriels qui ont ensuite détruit la réputation du groupe et conduit ses clients à retirer leurs avoirs en masse? Les relations de la banque avec Greensill Capital et avec le fonds Archegos, qui ont implosé coup sur coup au printemps 2021, existaient quand il avait promis de s’attaquer à la culture du risque chez Credit Suisse. «Quand je suis devenu le directeur général de Credit Suisse, j’ai assumé les passifs. Mais je ne suis pas responsable de ce qui s’est passé après moi. Personne ne peut dire ce qui se serait passé si j’y avais encore été», affirme Tidjane Thiam. «Je venais de l’assurance. Je n’avais pas le même appétit pour le risque qu’un banquier d’investissement. J’avais dit haut et fort dès mon arrivée au début de 2016 que la culture du risque à Credit Suisse n’était pas adéquate.»

Il défend la méthode qui était la sienne. «Des problèmes, il y en a tout le temps dans une banque. La clef, c’est qu’ils soient dits, immédiatement, que rien ne soit caché. Il faut que les difficultés remontent. On en parle, en équipe. On les traite, en équipe. Il faut avoir le courage de couper vite les positions risquées, et de prendre ses pertes. Il faut avoir du capital pour cela et j’en avais levé à mon arrivée. Il faut aussi, bien sûr, s’entourer des meilleurs. J’ai travaillé de cette façon pendant cinq ans, et pendant ces cinq ans, la banque n’a pas connu d’accidents hors norme par rapport au marché. Quand je suis parti, Credit Suisse affichait 3,5 milliards de francs suisses de bénéfice net (2019).» Thiam a depuis créé un véhicule d’investissement, un Spac («special purpose aquisition company») qui a investi dans deux sociétés d’énergie solaire résidentielle aux États-Unis. Un livre est également en cours de rédaction. Le sujet? Mystère…

Dimanche 19 mars, Credit Suisse a donc été vendu à UBS. Tidjane Thiam ne commente pas. «Comme tout le monde, j’ai regardé les événements se dérouler à Zurich ces derniers jours avec incrédulité et stupéfaction», a-t-il écrit vendredi dans le Financial Times. Il ajoute tout de même qu’il «continue à penser que la banque universelle de Credit Suisse, que j’ai créée et qui est très performante, devrait être séparée d’UBS. Cela évitera des pertes d’emplois insupportables dans un pays de la taille de la Suisse et maintiendra une certaine compétition sur le marché, qui bénéficiera aussi bien aux ménages qu’aux entreprises suisses. Un sondage récent semble indiquer que 75 % des Suisses sont du même avis…»

La gestion par les autorités suisses de ce cas particulier n’en finit pas d’agiter la communauté financière. «Dès qu’il y a fuite des dépôts, la situation devient très difficile pour les régulateurs et impose des décisions rapides», explique Thiam. Les détenteurs d’obligations dites «AT1» ont tout perdu. Dix-sept milliards de dollars rayés d’un trait de plume. «La lettre de la loi le permettait, mais l’esprit était peut-être différent. La plupart de ceux qui en ont acheté ont probablement fait l’hypothèse implicite qu’ils seraient servis, en cas de problème grave, avant les actionnaires. Les autorités suisses ont choisi dans le cas de Credit Suisse de faire passer d’abord l’intérêt des actionnaires, même s’ils ont subi de fortes pertes. C’était inattendu. Les régulateurs européens et britanniques ont d’ailleurs dit qu’ils feraient autrement dans une situation similaire. Cela peut affecter la capacité des banques suisses à lever des capitaux à l’avenir. Il faudra rétablir la confiance.»

La confiance est ce qui semble manquer aujourd’hui dans le système bancaire international, frappé par quatre faillites ou quasi-faillites en l’espace de quelques jours, de Silicon Valley Bank à Credit Suisse. «On n’est pas dans une crise bancaire. Le souvenir de la crise de 2008, qui hante certains, n’a aucune raison d’être», assène Tidjane Thiam, qui minimise par exemple les doutes qui ont saisi le marché concernant la Deutsche Bank en fin de semaine. «La Deutsche Bank a une position très solide.» Pour l’ex-dirigeant de Credit Suisse, les coupables de ces turbulences sont évidents et ce sont les hedge funds.

«Nous assistons à des mouvements purement spéculatifs. Les spéculateurs prennent des positions sur des thématiques qui fonctionnent, comme celle des banques régionales américaines après la faillite de SVB. Ils se servent des CDS, les «Credit Default Swaps», contre des banques comme la Deutsche. Tout le monde interprète le prix du CDS comme la probabilité d’un défaut, alors qu’en réalité, il s’agit d’un marché si peu liquide, si dysfonctionnel, qu’il est très facile de le faire bouger et d’en profiter. Les spéculateurs sont les grands gagnants de la nervosité actuelle».

Selon Tidjane Thiam, le choc obligataire créé par le mouvement de hausse des taux impulsé par les banques centrales est gérable. La faillite de SVB a certes braqué les projecteurs sur les pertes latentes créées dans les bilans bancaires. Mais selon lui, il s’agit d’un «risque très gérable, le plus souvent très bien couvert, qui ne pose aucun problème de stabilité globale». «Les marchés sont parfois un peu paresseux. Ils s’étaient installés dans la situation de taux bas. La remontée des taux impose des ajustements, puis ils s’y habitueront. Et puis, à la fin de ce cycle, quand les taux baisseront de nouveau, on verra de nouveau, pour reprendre l’expression fétiche de Warren Buffet, qui nageait sans maillot.»

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