Roch Marc Christian Kaboré élu président du Burkina Faso: les enjeux d’un donné à penser

0
3

Il y a une fatalité du politique. Elle veut qu’on regarde le monde tel qu’il est et non tel que nous aimerions qu’il soit. C’est cela aussi, l’art de la saine appréciation des réalités. Mais c’est aussi cela, la prise en compte lucide de la marche du monde. Qui en doutera? La responsabilité des Etats a ses mystères. Les archontes des peuples surgissent parfois des plus improbables circonstances. La direction des nations échoit ainsi aux hommes dans des conditions exceptionnelles, inhabituelles, suffisamment surprenantes pour ne pas mériter une prise de conscience de l’étendue des conséquences qu’elles véhiculent. Devenir, même le temps d’une seconde, Chef d’un Etat, c’est de fait changer qualitativement de statut humain. On n’a plus simplement à répondre de soi, des siens, mais d’un pays, d’un territoire, d’un peuple, d’une nation, qui vous ont plus ou moins adoubés, mais qui, intensément, observent désormais le moindre de vos gestes, à la recherche d’un indice d’espérance. Ou d’une raison de désespérer. Qui niera que les conditions dans lesquelles Roch Marc Christian Kaboré,  ancien président de l’assemblée nationale, ancien premier ministre et ancien ministre d’Etat sous le régime du président Blaise Compaoré accède au pouvoir, imposent une réflexion sur l’étendue des responsabilités qui pèsent désormais sur ses épaules? Je voudrais dans la présente analyse, établir trois thèses: 1) Le processus politique de transition ayant conduit à l’élection du président Kaboré le 29 novembre 2015 est porteur de zones d’incertitudes et de paramètres conflictuels qu’on ne gagnerait surtout pas à ignorer ou négliger; 2) Le retour du Burkina Faso vers la stabilité politique réelle passera par une politique de réconciliation nationale hardie et sincère, qui devra en particulier liquider le péril populiste en cours au bénéfice d’un plein retour dans le giron de l’Etat de droit démocratique; 3) Une autre diplomatie sous-régionale du Burkina Faso s’impose, pour sortir de la sorte d’isolement  et de méfiance extérieure que le volontarisme des autorités de transition aura suscité parmi de nombreux partenaires traditionnels du pays de Blaise Compaoré.

IDes caractéristiques de la transition d’octobre 2014- novembre 2015 au Burkina Faso

On aurait bien tort d’oublier les événements qui viennent d’émailler l’histoire du Burkina Faso et de se contenter de l’euphorie bien compréhensible des partisans du président élu le 29 novembre 2015. Qu’ils se réjouissent est une chose normale, puisqu’ils ont gagné une bataille. Mais qu’ils en oublient l’Histoire ne leur porterait guère bonheur, car sur la planche du nouveau régime, autant dire que le pain abonde.

La crise du Faso est partie d’un différend apparent sur le droit ou non du président Compaoré de solliciter le vote référendaire ou parlementaire du peuple burkinabé à propos de l’article 37 de la constitution qui limitait les mandats présidentiels au nombre de deux. Le camp présidentiel d’alors s’est fondé sur le texte constitutionnel, en ses articles 160 à 168, qui incluait la clause de limitation de mandat parmi les articles révisables de la loi fondamentale du pays. L’opposition, notamment dirigée par le MPP, constitué essentiellement d’anciens partisans du CDP du président Compaoré, se fondait quant à elle sur la désapprobation supposée du peuple. Mais quel peuple invoquaient Marc Roch Christian Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré? Non pas celui de la constitution, qui s’exprime dans les urnes et dans le cadre de la loi, mais une  foule singulière mobilisées dans  les rues de Ouagadougou et de Bobo Dioulasso, sélectionnée et encadrée par le Balai citoyen, instrumentalisée à dessein,  foule aux ordres, avec des ennemis et des sites d’attaques bien ciblés, bien visés et bien atteints, du palais de l’Assemblée nationale aux domiciles respectifs des hiérarques du CDP du président Blaise Compaoré. Cette foule sentimentale et instrumentale des 30-31 octobre 2014 se savait encouragée, financée, approuvée, adoubée, incitée de l’intérieur et de l’extérieur à aller au bout du projet de ses mentors.  

La lucidité nous commande donc de rappeler qu’en fin octobre 2014, ce qu’on a généreusement appelé « la révolution burkinabé », avec la complaisante bénédiction de certains médias internationaux,  fut dans le fond, le résultat d’une mise en commun rationnelle de forces insurrectionnelles tapies depuis de longs mois dans l’armée, dans les partis politiques et dans les ONG de la société civile burkinabé, déterminées à renverser le président Blaise Compaoré quel que fût le résultat du débat constitutionnel. L’insurrection d’octobre 2014 fut en fait un coup d’Etat du Général Nabéré Traoré contre le président Compaoré, puis un coup d’Etat du Lieutenant-Colonel Yacouba Zida contre le Général Nabéré Traoré. La foule de ces événements tragiques, où fut incendiée l’assemblée nationale du Faso, entre autres dégâts, ne saurait dès lors remplacer le peuple du Burkina Faso, qui avait élu en 2010 le président Compaoré et les députés pour cinq ans.

Accédant dans des circonstances exceptionnelles au pouvoir, la transition Zida-Kafando se servira de la Charte de la Transition qu’elle s’est fabriquée comme d’un texte supérieur à la loi fondamentale burkinabé. Arrestations arbitraires, procès d’intentions, destructions jubilatoires de biens, harcèlement moral et violences impunies seront orchestrées contre de nombreuses figures de l’ancien pouvoir. C’est ainsi que seront successivement constitués, sans élection populaire, le gouvernement, le Conseil de Transition et l’appareil législatif d’exclusion et de coercition des nouveaux maîtres de Ouagadougou. L’exclusion du CDP et de l’ADF-RDA de la course à l’élection présidentielle dès le mois de mai 2015, bien que condamnée en juillet 2015 par un verdict en recours du tribunal de la CEDEAO, sera cyniquement maintenue par le duo transitionnaire, sans doute angoissé par la popularité demeurée intacte du CDP du président Compaoré dans les campagnes surpeuplées du Burkina Faso. Oublier ce mépris du droit national et international par le régime de transition Kafando-Zida, ce serait se priver de comprendre les sources des événements tragiques de septembre 2015.

N’est-ce pas ainsi que le Burkina Faso connaîtra son troisième coup d’Etat en moins d’un an? C’est en réalité ce processus d’exclusion politique qui alimentera la colère du Général Diendéré et de nombreux soldats du RSP, qui tenteront le 16 septembre 2015 avec le Conseil National de la Démocratie, de procéder à un redressement démocratique au forceps de la transition, avant de se heurter à trois difficultés majeures: l’absence de mobilisation populaire suffisante en leur faveur, les faiblesses structurelles de la conscience républicaine dans l’armée burkinabé, et l’hostilité affichée des puissances française et américaine à l’idée d’une remise en cause du pouvoir de transition pourtant issu du putsch-insurrection d’octobre 2014…

C’est dans ces conditions hautement instables et peu consensuelles que s’est ténu le scrutin du 29 novembre 2015. Exclus, les principaux partis de l’ex-majorité présidentielle ont de fait été mis au ban de la communauté politique nationale. Pour combien de temps l’effet assommant de cette exclusion les maintiendra-t-il sonnés groggy? A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Le président élu ne saurait ignorer qu’il n’a pas vaincu ses adversaires les plus redoutables, mais ses propres compagnons de l’opération insurrectionnelle d’octobre 2014. L’élection présidentielle 2015 se sera donc réduite au statut de partage du butin entre bénéficiaires du putsch-insurrection d’octobre 2014. Qui ne voit pas l’analogie qui s’impose ici entre la Côte d’Ivoire présidée par Laurent Gbagbo à l’issue de l’élection calamiteuse d’octobre 2000, et le Burkina Faso du socialiste Roch Marc Christian Kaboré en ce mois de novembre 2015? Le PDCI-RDA et le RDR furent exclus en octobre 2000 de la course électorale présidentielle et même des législatives, par des arguties juridiques dont le sieur Tia Koné s’est repenti depuis lors. Le Burkina Faso se paiera-t-il le luxe d’un MPP exerçant arrogamment un pouvoir d’Etat acquis dans des conditions aussi étriquées? Telle est la problématique de la réconciliation nationale en jeu.

IIDe la réconciliation nationale burkinabé: urgence, nécessité et modalités

Quand on accède au pouvoir d’Etat dans des conditions exceptionnelles, il urge d’en user avec mesure, compassion et rigueur, afin de ne pas précipiter la déception des exclus et leur radicalisation. Qu’on aime ou qu’on déteste l’auteur des présentes lignes, on ne lui niera pas que le président Roch Marc Christian Kaboré accède au pouvoir sans avoir affronté dans les urnes le CDP et l’ADF-RDA qu’il estimait pourtant impopulaires et vomis par le peuple. Il y a là, une légalité politique fortement entachée d’illégitimité, puisque la souveraineté du peuple aura été disloquée par l’exclusion des rivaux politiques les plus sérieux du nouveau régime. Nier ce différend politique fondamental, n’est-ce pas déjà fermer la voie de la réconciliation nationale?  La réconciliation, dans les circonstances actuelles, ne saurait dès lors que procéder de trois gestes de refondation: 1) Le rétablissement sans délai de l’ensemble des libertés constitutionnelles du Burkina Faso, avec l’abolition totale de la jurisprudence illégitime de la Charte de Transition et donc l’élargissement compréhensif de l’ensemble des acteurs politiques de la crise transitionnelle burkinabé, qui, soulignons-le, auront tout de même été infiniment plus économes en vies humaines que les campagnes françaises de Lybie ou les campagnes américaines en Syrie; 2) La mobilisation exceptionnelle des ressources de l’Etat pour la réussite de la jeunesse burkinabé, dont la déception par le nouveau régime serait susceptible de provoquer une dépolitisation extrême de ce pays, en présence des menaces terroristes. 3)  Une réforme urgente et apaisante de la ligne diplomatique du Burkina Faso envers ses voisins historiques. 

Rétablir l’ensemble des libertés constitutionnelles?

L’insurrection-putsch d’octobre 2014 n’eût pas été possible si le régime du Président Compaoré ne respectait pas le droit constitutionnel de manifestation publique reconnu à tous les citoyens burkinabé. Diaboliser l’ancien régime du CDP ne permettra point d’effacer le souvenir des manifestations d’opposants de janvier 2014, sous l’encadrement compréhensif de la police et de la gendarmerie nationales. Rétablir les libertés constitutionnelles au Burkina Faso, c’est libérer immédiatement l’ensemble des dirigeants du CDP, de l’ADF-RDA et globalement de l’ancienne majorité présidentielle aujourd’hui embastillés sous toutes sortes de motifs fallacieux. Que reproche-t-on au juste à un Léonce Koné ou à un Hermann Ouédraogo, si ce n’est leur liberté d’opinion et leurs critiques pertinentes des dérives de la transition? En démocratie, soutenir une réforme constitutionnelle est un droit et non une infraction. Vouloir persister dans la criminalisation de la liberté d’expression, c’est contraindre les victimes de l’arbitraire à une résistance multiforme qui ne manquera pas de perpétuer l’instabilité institutionnelle en cours au Faso. Le nouveau Chef de l’Etat burkinabé, conscient de ses failles de légitimité, doit ranger le glaive et se ranger derrière le droit, en devenir le garant, en assurant l’égalité réelle de tous devant la loi et en prenant toutes les décisions politiques d’importance sur la base d’un large consensus national débordant à chaque fois les serres du camp du seul MPP. Si par mégarde le nouveau président du Faso, s’inspirant plutôt de l’arrogance d’un Laurent Gbagbo en 2000-2001, finissait par croire que mille tomberont à sa droite, mille à sa gauche, pendant qu’il avancera, le pire serait à craindre pour ce pays.

Mobiliser des moyens exceptionnels pour la jeunesse burkinabé?

Le plus grand risque que court aujourd’hui le Burkina Faso, c’est l’instrumentalisation de la jeunesse par des acteurs politiques rompus à l’art de la propagande de masse et capables d’exploiter les angoisses, les colères, les frustrations dans un projet bénéfique à leur accession égoïste au pouvoir d’Etat. Or cette instrumentalisation des frustrations, colères, angoisses des populations par les politiques, se nomme populisme. Loin de résoudre les problèmes du chômage, de la misère, de la sous-éducation, des maladies pandémiques, de l’absence de moyens d’investissement, de la désertification , qui frappent durement l’écrasante majorité des burkinabé, le populisme consiste à dévier les problèmes sociopolitiques irrésolus en violence contre des boucs-émissaires fabriqués à tour de bras. En décrétant sans cesse de nouveaux contingents d’ « ennemis du peuple » durant toute l’année de transition 2014-2015, l’ex-opposition aujourd’hui au pouvoir n’a-t-elle pas inconsciemment initié les jeunes burkinabé à l’art de l’exutoire, à la rhétorique de la vengeance, à la facilité du pillage, de la bastonnade et de l’outrage à la pudeur? Ne doit-on pas craindre que cette brutalisation de la société se retourne  contre le nouveau pouvoir MPP qui aurait bientôt du mal à reconnaître ces mêmes jeunes qui l’ont porté au pouvoir?  La fabrique des monstres est un piège pour ceux qui ignorent le destin des apprentis-sorciers. Les créatures sont fascinées par l’âme de leur créateur.  Comment briser ce cercle vicieux? Il nous semble que c’est dans un plan Marshall pour la Jeunesse burkinabé que réside le seul espoir de sauver ce pays de la fatalité populiste qui le menace. Sinon, le pouvoir d’Etat serait bientôt remis encore au premier à savoir lever une insurrection-putsch populaire contre le pouvoir MPP. Et ainsi de suite. Comment en sortir? La voie de la vraie liberté est une pente raide et une route aussi bien longue que tortueuse. Elever le standard de vie de cette jeune population en gonflement permanent est une urgence vitale pour le pays. Bien nourris, bien éduqués, bien employés, bien responsabilisés, les jeunes burkinabé sortiront du fantasme de la rue pour affronter la réalité besogneuse du travail qui émancipe l’homme. Et dès lors, croire qu’en ce 21ème siècle bien entamé, les jeunes burkinabé se contenteront, en 2020 encore, de recycler à la tête du pays, le personnel politique formé pendant les 27 ans du régime du Président Compaoré, ne sera-ce pas l’erreur de trop du MPP des Roch Kaboré, Simon Compaoré et Salif Traoré?  L’avenir nous en édifiera…

Apaiser la diplomatie burkinabé?

Les relations entre le Burkina Faso et la CEDEAO en général, mais aussi entre le Burkina Faso et son allié naturel ivoirien tout comme de son voisin togolais,  méritent de connaître un renouveau urgent, dans l’intérêt des populations de toute la sous-région. car, disons-le tout net. La langue de bois diplomatique n’aura pas réussi à cacher tous les couacs et écarts de langage du régime de transition envers certaines figures incontournables de la Realpolitik ouest-africaine. Issu de la tradition parlementaire, plusieurs fois ministre et premier ministre, il appartient sans conteste au nouveau président du Burkina Faso de rendre tous les fils de l’apaisement, de la mesure et du dialogue constructif avec la CEDEAO, mais surtout avec la Côte d’Ivoire du Président Alassane Ouattara, pays abritant plus de trois millions de burkinabé, fait sans précédent dans toute l’histoire de l’Afrique contemporaine. Comment ne pas souligner ici la nécessité que ce renouveau diplomatique à encourager se déploie dans la sobriété des prétentions, et dans la plus profonde prise de conscience des synergies que la crise sécuritaire internationale impose? 

L’élection du nouveau président du Burkina Faso, incontestablement, ouvre des chantiers d’une nouvelle espérance: à condition que les bâtisseurs de tous pays, conscients de l’intérêt supérieur de leurs peuples, agissent avec rigueur et compassion pour la vérité, pour la justice et pour la prospérité des enfants, des femmes, des hommes qui croient encore que leur bulletin de vote peut améliorer leur sort dans ce monde. C’est l’Etat de droit africain qui est une fois de plus ici, au Burkina Faso de Roch Kaboré, l’enjeu et l’impératif catégorique d’une politique de civilisation à assumer. 

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi

Professeur agrégé de philosophie

Paris, France

Auteur :

Source :

Commentaires facebook

Mettez votre commentaire

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here