L’Afrique Face à La Diagonale Terroriste 2ème Partie : « Que Faire Maintenant Et Demain ? »

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« Le gouvernance internationale doit s’internationaliser. »

S.E. Alassane Ouattara, Discours à l’ONU, septembre 2013

 L’une des plus grandes difficultés de l’adversité politique consiste, on le sait, dans le risque de perdre son âme dans la confrontation contre l’adversaire, surtout quand cet adversaire se dresse dans la posture de l’ennemi, avec lequel aucune négociation n’est envisageable. Or le terrorisme, en tant qu’instrumentalisation outrancière de la peur et du sang des innocents, en tant que surmédiatisation de l’horreur et de la banalité du mal, impose aux Africains une adversité absolument sans règles.  En affrontant un adversaire qui n’a pas de règles, donc l’ennemi, on risque de se prendre à son jeu et de surprendre à l’imiter. Que l’on gagne ou non le combat momentané contre l’adversaire devenu ennemi, on aura dans le fonds, perdu la raison d’être de la lutte, et l’on combattra désormais pour la coquille vide du pouvoir, et non pour la substance morale de l’engagement initial.  On aura perdu l’avenir en sacrifiant les valeurs qui fondèrent l’engagement passé. N’est-ce pas le défi spirituel lancé par le terrorisme  à notre époque ? En devenant l’ennemi de l’ennemi, n’est-il pas tentant de basculer dans un terrorisme anti-terroriste qui consacrerait la victoire morale du terrorisme sur la scène historique africaine ? Voici la quadrature du cercle ! Telle est en tout cas la situation de l’Afrique contemporaine face à la montée, et notamment à la dissémination du terrorisme qui s’internationalise dangereusement à travers les cinq grandes régions de l’Afrique du nord, de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique centrale, de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Sud. C’est pour envisager des remédiations à ce grand malaise au cœur des sociétés africaines contemporaines que j’ai essayé, dans la 1ère partie de la présente analyse, d’écarter les fausses lumières de l’afro-pessimisme, de l’anticolonialisme dogmatique et de l’athéisme gauchiste dans l’équation terroriste à résoudre. Ce faisant, je déblayais le terrain pour la question que voici : que faire maintenant que nous sommes mis en demeure de combattre la Terreur qui s’internationalise au cœur de l’Afrique ? J’essaie dans la présente tribune, d’exposer par anticipation, quelques résultats de mes Méditations sur le terrorisme en Afrique, essai en cours de rédaction qui sera prochainement soumis à l’opinion. La réplique africaine contre le terrorisme doit procéder de trois gestes fondamentaux, à mon sens : 1) Faire de la démocratisation de nos républiques une exigence constante afin que l’usage des armes soit soumis partout en Afrique au primat du droit ; 2) Mettre en cohésion et en cohérence internationales les politiques sécuritaires des Etats africains afin d’aboutir au plus tôt à la mutualisation des moyens de lutte contre le terrorisme en Afrique, notamment à travers une réforme pragmatique du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine ; 3) Soutenir les religions en Afrique et les religions africaines dans leur effort de transmission d’une vision de la cité incompatible avec les fondamentalismes de tous bords, dans le cadre d’une Charte de la Pax Religiosa Africana à concevoir. Je montrerai pourquoi on pourrait ramasser tout ceci dans la formule expérimentée d’Alassane Ouattara : « La gouvernance internationale doit s’internationaliser ».

ILa démocratie comme but et moyen de la paix et de la sécurité en Afrique

On a voulu trop longtemps laisser croire que la paix et la sécurité des Etats africains ne tenaient qu’à leur direction par des hommes forts, craints de leurs peuples, à la têtes d’armées redoutables, bien entraînées, opérationnelles et expérimentées, qui maintiendraient habilement les territoires nationaux à l’abri de la sédition, et notamment du terrorisme. Selon ce modèle, le despotisme éclairé dont un Mobutu Sese Seko ou un Kaddafi exprimaient bien la notion, l’absolutisme des pères de la Nation ou l’inamovibilité des guides de la révolution étaient la voie assurée pour de longs siècles africains de tranquillité insouciante et de développement harmonieux dans la succession réussie des générations. Les nations africaines, maintenues ainsi en état de minorité spirituelle dans le cocon des dictateurs éclairés qui  semblaient leur aller comme un gant, pouvaient dormir longtemps sur leurs deux oreilles. Or que s’avère-t-il aujourd’hui ?  Que les forces armées ont davantage servi, dans les soixante années africaines qui précèdent, à réprimer les Africains qu’à les protéger contre le tissage lent et efficace des mailles du terrorisme à travers les continents. Que l’usage des armées contre les citoyens, tels qu’on l’a observé dans la plupart des Etats africains où la démocratie continue d’être considérée comme un luxe occidentalisant ou une rhétorique de façade déguisant un immobilisme institutionnel bien huilé, cet usage antipopulaire des armées a fini par créer un divorce entre les forces de sécurité et les peuples en Afrique, les unes et les autres se regardant davantage en chiens de faïence qu’en partenaires pour l’intérêt général. Il s’avère très clairement aujourd’hui que les régimes despotiques ont si bien dressé les armées contre les peuples que l’agression terroriste trouve la plupart des armées africaines prises entre deux feux : d’une part la méfiance légitime des citoyens envers leur propension à la brutalité démesurée, et d’autre part la volonté des groupes terroristes de s’engouffrer dans ce déficit de légitimité morale des armées africaines pour les pulvériser et installer l’ordre immoral encore plus archaïque de la peur et de l’ensanglantement permanents.

Comment dès lors les Africains vont-ils affronter le terrorisme s’ils s’ont littéralement mis en demeure de choisir entre le terrorisme d’Etat, perpétré par des régimes non-élus, corrompus, sans autre vision du pouvoir que sa jouissance, et le terrorisme religieux, non moins illégitime, corrompu par l’argent de la drogue et du trafic d’armes, obnubilé par le désir de toute-puissance, comme les despotes Africains ou les Etats fragiles qu’il veut désosser ? Je ne vois pas d’autre issue  cette impasse que l’internationalisation de la démocratie en Afrique, à travers la mutualisation des moyens de pression, des aides aux partis démocratiques, du soutien aux sociétés civiles en lutte pour l’obtention d’institutions politiques africaines qui émanent réellement de la libre volonté des citoyens africains eux-mêmes et non du diktat des coteries despotiques qui tiennent le continent en tenailles depuis les indépendances. Pour ressouder les armées et les gouvernements, afin de bâtir des Etats africains capables de se défendre efficacement contre l’internationalisation du terrorisme, il faut donc que les démocraties nationales soient renforcées, car seules des institutions émanant réellement des peuples à travers des élections justes et transparentes, des contre-pouvoirs fonctionnels, des pratiques de gouvernance économique prévoyantes, contrôlables et efficaces, peuvent efficacement faire face au caractère tentaculaire du terrorisme, qui se glisse dans les failles que sont précisément : le manque de confiance des Africains en leurs gouvernements et armées, la pauvreté qui expose à l’humanitarisme tactique des fondamentalistes, la tentation d’ enrichissement illicite que propose l’usage des armes contre le droits des gens, le règne de l’impunité que garantit l’absence de justice politique, économique et sociale fiable dans la plupart des Etats africains. On peut donc conclure ce premier point dans les termes suivants : la démocratie ne doit pas seulement être un but idéal des sociétés africaines contemporaines, mais le moyen idoine pour qu’elles gagnent confiance en elles-mêmes afin d’affronter avec cohérence, cohésion et efficacité, les antivaleurs du crime, de la lâcheté, et de l’obscurantisme promues par le terrorisme. La paix et la sécurité des Africains contre le terrorisme passent nécessairement par la paix et la sécurité entre les Africains et leurs propres institutions. Sans cette consolidation intérieure du consensus éthique autour des institutions de la démocratie représentative moderne qui mettent la force au service du droit et non l’inverse, le terrorisme à un avenir assuré contre les nations africaines. L’internationalisation de la démocratie en Afrique est donc l’une des conditions de la lutte contre le terrorisme fondamentaliste qui lui-même s’internationalise pour doper sa capacité de nuisance. Soutenir les luttes nationales pour l’instauration de régimes réellement démocratiques en Afrique, c’est lutter par anticipation et avec efficacité contre le terrorisme fondamentaliste en sapant les bases du terrorisme d’Etat.

IIMettre en cohésion et en cohérence internationales les politiques nationales sécuritaires

Les démocraties ne peuvent sérieusement mettre leurs moyens sécuritaires en commun avec les dictatures. Entre démocratie et dictature, il y a un abîme moral, une différence d’intentionnalité éthique et de vision du politique, un conflit d’agendas et de cibles de l’action publique qui ne sauraient se traduire par une coopération partenariale des forces stratégiques de part et d’autre. Toute coopération politique contre-nature est un pis-aller qui aboutit bien souvent – pas systématiquement, bien sûr –  à de nouvelles catastrophes d’échelle. On l’aura bien compris à partir du moment précédent de la présente réflexion. Ferons-nous cependant mine d’oublier que c’est ce bric-à-brac géopolitique entre démocraties et dictatures qui aura dominé tout le 20ème siècle précédent ? Soyons davantage précis. Des régimes occidentaux rompus en interne au respect de la bonne gouvernance et des droits humains, se seront régulièrement acoquinés avec des républiques bananières d’Afrique, d’Asie et d’Amérique qu’ils auront par ailleurs contribué à fragiliser pour s’assurer l’exploitation sans vergogne des matières premières de leurs territoires, la mainmise sur la main d’œuvre taillable et corvéable à merci des pays pauvres, et leur soumission muette aux desiderata des multinationales complices des élites dirigeantes des deux rives. Cette stratégie de l’attelage mal assorti aura amplement montré ses limites dans les soixante premières années des indépendances africaines : la pauvreté du grand nombre, due à l’exploitation sans contrepartie des richesses naturelles a conduit à l’exode rural, puis à l’émigration des masses, que précède toujours la fuite des cerveaux ou qu’elle accompagne ; les armées africaines, cristallisées autour des hommes-forts prétendument providentiels, se sont déshabituées au service de l’intérêt général, au point d’atteindre une porosité catastrophique face aux infiltrations terroristes à tous les niveaux de leurs hiérarchies.

Dans ces conditions, c’est la cohésion démocratique interne des nations africaines qui préparera et légitimera la cohésion d’une internationale des nations démocratiques africaines contre le terrorisme. Partout où des Etats démocratiques seront en situation ou en contrainte de coopérer avec des Etats non-démocratiques contre le terrorisme, il est certain que leur action se retournera souvent en son contraire. Les Etats non démocratiques, on l’a vu, pratiquent le terrorisme d’Etat et sont déjà gouvernés par des élites qui sont en rupture de ban avec leurs peuples.  Pire encore, ces Etats et leurs gouvernements, donc aussi leurs forces sécuritaires sont infiltrés, en raison de leur corruption et de leur corruptibilité vertigineuses, par des filières des internationales du terrorisme, qui oeuvrent dans les sillages de la drogue, de la vente d’armes, de la piraterie maritime, du commerce des organes humains, des réseaux de prostitution,  et des trafics d’influence en tous genres. Dès lors, n’importe-t-il pas au plus haut point de consolider prioritairement les relations de coopération sécuritaire entre Etats africains réellement démocratiques, afin que ce collectif, en connaissance de cause, puisse de proche en proche tisser la toile d’une autodéfense stratégique d’importance continentale, mais en en confiant les clés pour ainsi dire, à de bonnes mains ?

L’un des enseignements majeurs de l’alliance atlantique de l’OTAN aux Africains réside à mon sens dans cette voie de la coopération étroite des démocraties contre les dictatures, comme base de la défense mutuelle des démocraties contre le terrorisme. Les grandes démocraties occidentales coopèrent d’abord entre elles, et accessoirement avec des Etats non-démocratiques du monde, pour leur propre sécurité.  De même, les démocraties africaines devraient prioritairement coopérer entre elles, et accessoirement coopérer avec les Etats africains non-démocratiques, afin non seulement que la démocratie s’internationalise en Afrique, mais aussi pour consolider la sécurité globale du continent africain contre le terrorisme. J’aimerais être bien compris ici, à partir d’une distinction entre la tactique et la stratégie d’une nouvelle autodéfense antiterroriste africaine. Bien qu’il soit en effet incontournable, sur le plan tactique, de coopérer dans une mesure plus ou moins importante avec tous les Etats dont la position géostratrégique est déterminante dans la protection des territoires africains contre les internationales terroristes, il est stratégiquement peu recommandable de mettre au même plan de ladite coopération antiterroriste, les démocraties et les dictatures africaines. C’est ainsi que, progressivement et résolument,  la Terreur sera soumise par la Justice, la Force ordonnée au Droit, à travers l’Afrique contemporaine.

Il faut donc, impérativement, créer au cœur de l’Union Africaine, un rapport de forces favorable aux démocraties africaines et défavorable aux dictatures, afin que les politiques de sécurité mises en place gagnent en même temps en cohésion et en cohérence. Cohésion ici signifie que par la démocratie interne, les citoyens africains soient en phase avec leurs armées par la démocratisation des institutions. Cohérence ici veut dire mise en phase des politiques sécuritaires des Etats démocratiques pour que par la mutualisation de leurs moyens d’information, de leurs armes, de leurs armées et de leurs énergies civiles contre le terrorisme, ce dernier ne se retrouve pas paradoxalement nourri par la mamelle qui devrait aider à le combattre : l’Etat de droit. N’avons-nous pas en vue la nécessité d’un droit d’ingérence démocratique des Africains par-delà les appartenances nationales, droit d’ingérence démocratique que légitimerait la menace communément subie de l’internationale terroriste ? Peut-être faut-il aussi pour cela que l’Afrique ait confiance en sa capacité de faire émerger des valeurs de civilisation universelles.

IIIDéfendre les religions contre l’obscurantisme matérialiste et fondamentaliste en Afrique

Les Africains ne peuvent pas continuer à considérer les religions avec complaisance dans la sphère de la cité où elles déploient toutes leurs prétentions. Le désir religieux, cette quête de sens qui enjoint des milliards d’êtres humains à se donner une image du sacré pour déterminer leurs raisons ultimes de vivre ou de mourir, est une force sociopolitique de premier rang, qu’il ne faut surtout pas laisser dans les mains des apprentis-sorciers. Les hommes mettent dans leur foi, dans leurs cultes et dans leurs sacrifices pour la divinité, ce qu’ils ont de plus cher : leurs relations aux choses et leurs relations aux personnes en sont configurées. L’ impact des croyances religieuses dans les ordres de l’économie, de la politique, de la vie associative civile, des sports et loisirs, des institutions culturelles, est avéré. Point besoin ici d’évoquer l’un des acquis du maître-ouvrage de Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, pour se convaincre de l’indiscutable opérationnalité de la force de moulage conscient et inconscient des collectivités humaines par leurs pratiques religieuses. La religion est avant tout ce souci de l’Autre auquel nous initie la reconnaissance envers la Transcendance Créatrice et inspiratrice de nos vies.

Pourtant, que de fausses pistes empruntées par les Africains dans l’articulation des religions avec le bien commun que représente la cité ! La première fausse piste est celle des Etats théocratiques africains. Ces républiques africaines qui s’annoncent d’emblée islamiques ou chrétiennes, mettent la charrue avant les bœufs. Sans avoir pensé mûrement le rapport de leurs croyances religieuses avec la modernité politique massivement revendiquée par les citoyens africains, elles bouchent les horizons de créativité qu’une dédramatisation du fait religieux par l’éducation publique à son histoire devrait rendre possible. La seconde fausse piste est celle des associations politiques africaines qui revendiquent l’abolition des religions sur la base d’une conception matérialiste de l’être en général. En criminalisant la croyance religieuse en tant que telle, ces gauchistes marxisants appauvrissent de fait la créativité spirituelle des sociétés qu’ils admonestent, au mépris de la très fondamentale liberté démocratique de croyance, elle-même chevillée sur la liberté de conscience.  La troisième fausse piste est celle de certains membres des sociétés initiatiques présentes en Afrique francophone, notamment de la franc-maçonnerie, qui transforment ces espaces de quête spirituelle en officines de cooptations antirépublicaines finissant par nuire autant à la noblesse du projet spirituel initiatique bien compris, qu’au projet démocratique dans la cité africaine elle-même.

Que faire ? Organiser et soutenir, partout à travers l’Afrique les croyances religieuses compatibles avec la démocratie moderne. Combattre et récuser, par les moyens de la loi et par ceux de l’éducation critique, les pratiques religieuses incompatibles avec le respect scrupuleux des libertés démocratiques fondamentales. Vigoureusement mettre en lumière, les pratiques d’entraide,   de créativité, de développement, de réconciliation, de recueillement, de réflexion et de quête de vérité à l’œuvre dans de nombreuses associations religieuses africaines, qu’elles ressortissent du monothéisme judéo-chrétien ou islamique, ou qu’elles relèvent des domaines de la religion traditionnelle africaine ou des sociétés initiatiques de toutes origines. En un mot, internationaliser la critique de l’obscurantisme religieux en Afrique pour rendre les temples hostiles à la haine de la liberté, de la fraternité et de l’égalité à travers le continent.  Unifier la lutte pour la démocratie avec la lutte contre l’obscurantisme en Afrique, tel est l’enjeu essentiel d’une Pax Religiosa Africana à concevoir et à méditer. N’est-ce pas à cette profondeur qu’il faudrait entendre le mot d’Alassane Ouattara, s’adressant aux Nations Unies en ce mois de septembre ? « La gouvernance internationale doit s’internationaliser ».[1]


[1] Discours du Président Alassane Ouattara à l’ONU, septembre 2013,  http://news.abidjan.net/v/13570.html

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