Jean Bonin analyse la cherté de la vie et relève les défis.

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(FILES) In this file photo taken on October 14, 2016 Ivory Coast's opposition leader, president of the Ivorian Popular Front, Pascal Affi Nguessan gestures during a press conference in Abidjan. Pascal Affi Nguessan was released and placed under judicial supervision on December 30, 2020, after two months in pre-trial detention, his lawyer told AFP. / AFP / ISSOUF SANOGO

Quand les prix des biens et services prennent l’ascenseur de façon durable, ils laminent le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises. Ils alimentent la cherté de la vie.

L’inflation affecte la rentabilité économique et financière des entreprises, la croissance économique et la compétitivité du pays. Sa persistance entraine la récession et la crise économique. L’inflation, la récession, la crise, sont des phénomènes consubstantiels à l’économie libérale.

La grande dépression de 1929 a marqué l’histoire économique du XXème siècle.

En Côte d’Ivoire, nous gardons en mémoire la crise énergétique et alimentaire de 2008, pour citer l’une des plus récentes. Elle avait donné lieu à des mouvements de grèves de transporteurs et à des manifestations populaires, entrainant de fortes perturbations de la vie économique et sociale.

En 2013, la cherté de la vie était l’une des principales revendications des travailleurs ivoiriens à l’occasion de la fête du Travail.

Depuis février 2022, le monde est à nouveau secoué par une crise, alors que les blessures économiques et financières infligées par la crise sanitaire de la COVID-19 ne sont que partiellement cicatrisées.

A l’origine, principalement la guerre en Ukraine et les sanctions prises par l’Union Européenne contre la Russie. Elles ont entrainé la perturbation de la production et de la commercialisation mondiale du pétrole, du gaz et de certaines matières premières agricoles, dont ces deux pays sont d’importants producteurs, provoquant une flambée des prix. A des degrés divers, l’inflation touche tous les pays du monde. Partout, elle affecte durablement les populations, en particulier les plus fragiles économiquement. Plus que jamais, l’inflation mérite son surnom « d’impôt pour les pauvres ».

Certains pays affectés résistent moins mal que d’autres. Les taux d’inflation apparaissent d’une extrême diversité, donnant parfois le vertige.

Dans la zone euro, la hausse des prix varie du simple au triple, entre la France (6,5%), l’Allemagne (8,8%) et les pays baltes, où le taux dépasse les 20%. Ces variations sont liées au degré de dépendance du pays aux importations d’énergies fossiles russes, à la proximité géographique avec la zone de conflit, au degré de structuration et de diversification de l’économie et au stade de développement du pays.

Importateurs nets, tous nos pays en Afrique sont par définition tributaires de l’inflation importée. Les pays aux taux de change flexibles sont les plus fortement pénalisés. Le Nigéria dépasse les 20%, pendant que le Ghana frôle les 40% d’inflation. A l’inverse, la bonne tenue de l’euro face au dollar et sa parité fixe avec le FCFA évitent aux pays de l’UMOA l’impact de la variation des taux de change et permettent de contenir dans une certaine mesure les taux d’inflation. Dans l’ensemble de la zone CFA, la hausse des prix devrait osciller entre 5% et 10%, la Côte d’Ivoire se situant au bas de cette échelle.

L’inflation, et de façon générale la crise économique, constituent à la fois une épreuve pour la pertinence d’un modèle économique et la résilience d’un pays, et un défi à la vision stratégique et à la compétence politique des pouvoirs publics.

Plus d’un demi siècle après l’indépendance, la Côte d’Ivoire importe plus de 40% de ses produits de grande consommation: près d’1 million 500.000 tonnes de riz, soit près des 2/3 de la consommation nationale; 650.000 tonnes de poisson, soit ¾ de sa consommation nationale; 500.000 tonnes de blé; 450.000 tonnes de fruits et légumes frais et secs, etc.
Avec l’inflation, ces importations coûtent plus cher.

En Afrique, la vie chère est aussi la conséquence de nos limites et de nos faiblesses: vision stratégique du développement inadaptée, production vivrière et halieutique insuffisante, dépendance saisonnière, coûts et difficultés d’acheminement, de stockage et de conservation, etc.

Nos Etats sont au pied du mur. De leur réaction et de leur capacité à surmonter l’épreuve dépendront la maîtrise de l’inflation et la prospérité économique.

Refuser la fatalité

En Côte d’Ivoire, les autorités ont pris des mesures pour atténuer l’impact de l’inflation. Après la revalorisation du salaire des fonctionnaires, des agents de l’Etat et des retraités, le chef de l’Etat a répondu à la demande que j’ai formulée lors de ma tournée politique à Divo, du relèvement du SMIG. J’avais ainsi proposé qu’il passe de 60.000 à 75.000 FCFA. La Côte d’Ivoire subventionne l’essence et les transports pour les étudiants. Les prix de certains produits alimentaires de première nécessité sont plafonnés et il est prévu des contrôles pour vérifier l’application de cette décision.
Ces mesures étaient indispensables pour atténuer l’impact immédiat de la déflagration. Il nous faut lutter énergiquement contre la fraude, la corruption, les rackets et tracasseries administratives, qui participent aussi à la hausse des prix. A court terme, nous proposons également une réduction transitoire de la TVA sur les produits importés de première nécessité, tels que le blé par exemple.
Il nous faut aussi désormais nous projeter sur le moyen terme. Placés face à notre fragilité, confrontés à l’insécurité alimentaire, nous devons savoir tirer les enseignements de la crise. Nous devons être toujours plus protecteurs envers nos populations mais aussi plus volontaristes pour changer durablement de modèle. Pour nous, progressistes, défenseurs résolus du peuple, cette crise est une incitation à faire preuve d’imagination. Agissons d’abord sur ce qui dépend de nous.
Sachons faire de la crise une opportunité pour réduire notre dépendance aux importations alimentaires en provenance de l’extérieur du continent. Nous devons assurer notre souveraineté alimentaire à travers une véritable révolution agricole. La Côte d’Ivoire doit être le grenier de l’Afrique de l’Ouest ; cela signifie produire davantage pour la consommation intérieure et l’exportation vers le marché mondial.
Pour cela, nous devons structurer les filières agricoles et professionnaliser le métier d’agriculteur. Nous devons améliorer les variétés agricoles, augmenter le rendement à l’hectare, promouvoir la mécanisation et la maitrise de l’eau pour assurer une régularité de la production moins dépendante des saisons, construire de grands entrepôts dans différents centres afin de conserver le fruit de nos cultures. Nous devons agir sur les cinq piliers que sont la production, la transformation, la conservation, le stockage et l’écoulement.
Bâtissons des routes dans nos régions à forte capacité de production. Assumons sur ce point des choix davantage fondés sur des préoccupations économiques et de développement que sur des considérations électoralistes. Achevons la réforme foncière afin que la terre devienne un actif, afin que pour les producteurs, le financement par les organismes bancaires ne relève plus du parcours du combattant.
Transformons nos économies de manière structurelle, à travers une industrialisation plus soutenue. Elle favorisera naturellement la productivité et contribuera à réduire notre dépendance aux importations, surtout dans les domaines stratégiques de l’énergie et de l’alimentation.
Sachons ensuite accélérer la migration du secteur informel vers le formel. Sept travailleurs sur dix subissent aujourd’hui cette précarité. Cette migration sera également un puissant levier pour améliorer le pouvoir d’achat de toute une partie de notre population. Accompagnons les artisans ivoiriens, afin qu’ils deviennent demain des capitaines d’industrie.
La découverte du gisement de pétrole « baleine » est une formidable opportunité. Même si son exploitation est susceptible de nous propulser dans le top 10 des pays africains producteurs de pétrole, nous demeurerons un modeste producteur (environ 150.000 barils jour) à côté des pays comme le Nigéria ou l’Angola (plus d’un million de barils par jour). Alors, décidons-nous à mettre en place un programme volontariste d’économies d’énergie pour réduire notre dépendance. Sur le moyen terme, il importera d’améliorer notre capacité d’exploration et de production du pétrole et du gaz pour assurer notre souveraineté énergétique et nous permettre de mieux résister à d’autres chocs, d’autres crises. Cela nous permettra aussi de dégager des ressources pour investir dans les énergies renouvelables afin d’améliorer notre mix énergétique. La Côte d’Ivoire doit être en pointe du combat pour le climat.

Le coût du logement est également le fruit d’une défaillance de vision : la Côte d’Ivoire ne bâtit pas assez, 3 à 4000 mises en chantier par an quand il faudrait 600.000 nouveaux logements pour répondre à la demande. Abidjan concentre toutes les difficultés avec la puissance d’attraction du port, devenu la principale zone d’activités du pays. Le déficit de logements pour la seule ville d’Abidjan tourne autour de 300.000. Un déficit aggravé par une pression démographique exogène : l’afflux massif de migrants qui fuient l’instabilité des pays environnants.

Parce-que chaque habitant a droit à un toit, et que le coût des loyers est exorbitant, envisageons l’encadrement transitoire du prix des loyers. Sur le moyen terme, attelons-nous enfin à définir une véritable politique du logement. La décentralisation peut être un puissant levier. Elle doit être la colonne vertébrale du processus de développement de notre pays. Le transfert de notre capitale administrative à Yamoussoukro ne doit plus être une arlésienne. Ce transfert est urgent afin d’éviter l’explosion de la bulle spéculative et de mettre fin aux gigantesques embouteillages et aux longs trajets quotidiens qui sont aussi énergivores. Il est urgent également de bâtir une politique de développement équilibré du territoire à travers des pôles régionaux de développement économique et social.
Ensemble, sachons dépasser notre vulnérabilité pour bâtir une société d’abondance et de bien-être.

Auteur : La rédaction

Source : Lementor.net

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