Par La Rédaction
À quelques mois d’une présidentielle dont les enjeux dépassent les urnes, une seule question semble occuper les esprits, dans les palais comme dans les faubourgs : que va décider Alassane Ouattara ? Dans cette équation à plusieurs inconnues, le président de la République apparaît aujourd’hui plus que jamais comme le centre de gravité d’un système politique dont il a patiemment façonné les lignes de force. Mais cette centralité, si elle témoigne de son autorité intacte, rend aussi son choix plus redoutable, plus risqué, plus décisif encore pour l’avenir immédiat de la Côte d’Ivoire.
Repartir lui-même, pour un quatrième mandat de fait, n’est pas un choix à exclure d’emblée. Il le sait. Ses proches le savent. Ses adversaires aussi. La tentation existe, et elle n’est pas illégitime pour qui veut préserver la stabilité, éviter le saut dans l’inconnu, et contenir les appétits féroces qui s’agitent dans l’ombre. Mais elle aurait un coût. Un coût politique, d’abord, en ravivant les tensions d’un paysage partisan encore marqué par les blessures du passé. Un coût moral, aussi, car il faudrait alors assumer une lecture souple — trop souple, diront certains — de la parole donnée en 2020. Et un coût stratégique, enfin, car ce choix risquerait de braquer les ambitions internes au RHDP et d’ouvrir une phase de crispation sur tous les fronts.
Car si l’hypothèse Ouattara demeure, elle se heurte à une réalité indéniable : celle d’un parti aujourd’hui traversé par des courants multiples, de plus en plus visibles, de moins en moins contenus. Ce n’est plus une demi-douzaine de prétendants qui rêve de prendre le flambeau, mais une bonne douzaine, tous persuadés que leur tour est venu, que l’histoire leur tend la main. Des ministres, des gouverneurs, des compagnons de la première heure, des transfuges revenus de loin, tous réunis par une même certitude : ils se croient prêts. Le ministre d’État Kobenan Kouassi Adjoumani a eu cette phrase cinglante, peut-être cruelle mais révélatrice : « Ils ne sont candidats que devant leur femme. » Mais ces ambitions ne relèvent plus du fantasme domestique ; elles s’affichent, s’organisent, s’imposent peu à peu dans les conversations d’appareil et dans les confidences d’alcôve.
À ces prétendants « installés », s’ajoutent une autre catégorie tout aussi encombrante : les hommes de mission, technocrates au parcours lisse, qui, par impatience ou déconnexion, poussent pour une succession rapide, immédiate, au nom de l’urgence économique, climatique ou institutionnelle. Ils veulent convaincre que le temps de la transition est venu. Mais ils oublient souvent que l’adhésion populaire ne se décrète pas depuis un bureau climatisé. Elle se construit, se mérite, s’enracine dans une trajectoire vécue avec le peuple.
Et puis, il y a les oubliés, les « grenadiers » de l’ombre, ces militants historiques, ces figures locales longtemps mises à l’écart, mais dont la fidélité au chef reste indiscutable. Certains les disent hors-jeu. Mais l’histoire politique ivoirienne, comme tant d’autres, est coutumière de ces surprises de dernière minute, de ces retours inattendus de ceux qu’on croyait enterrés. Surtout si, par un effet de rattrapage stratégique ou de reconnaissance tardive, le Président décidait d’en faire les dépositaires d’une continuité apaisée.
À cet échiquier complexe, il faut enfin ajouter les anciens du PDCI — ces transfuges parfois stratèges, parfois sincères, mais souvent ambitieux — qui espèrent, eux aussi, que la roue tournera en leur faveur. Ils regardent Abidjan avec une fidélité silencieuse et une attente fébrile. Et ils sont nombreux. Trop nombreux, sans doute, pour espérer une synthèse facile.
Dans ce paysage à la fois fracturé et dépendant d’un seul homme, la parole d’Alassane Ouattara est donc attendue comme l’acte inaugural d’une campagne pas encore lancée mais déjà féroce. Il lui faudra trancher entre lui et sa conscience — celle d’un homme d’État soucieux de son héritage —, entre lui et ses adversaires, qui n’attendent qu’un faux pas pour relancer le procès en légitimité, entre lui et ses partisans, fatigués de l’attente mais inquiets de l’après, et, plus que tout, entre lui et la Nation.
La Côte d’Ivoire de 2025 n’est plus celle de 2010. Ni même celle de 2020. Elle est plus jeune, plus exigeante, plus volatile aussi. Elle veut la stabilité, mais elle veut aussi de l’espoir. Elle aspire à la continuité, mais dans une forme renouvelée. Elle accepte l’autorité, mais elle ne supportera plus l’ambiguïté. Or, à mesure que les semaines passent, les risques d’une désillusion électorale croissent. Lancer un candidat sans colonne vertébrale, sans base structurée, serait une erreur politique aux conséquences incalculables. La base du RHDP, si longtemps galvanisée par le seul nom d’ADO, ne se mobilisera pas sans clarté. Le flou tue l’enthousiasme. Le silence affaiblit la discipline.
Le président Ouattara le sait. Il est le seul à pouvoir organiser une sortie ordonnée ou un nouveau départ crédible. Mais dans tous les cas, il devra user de toute son influence pour éviter que son héritage ne soit dilapidé dans une guerre de clans. Ce choix, le plus difficile peut-être de toute sa carrière politique, ne pourra être ni retardé ni improvisé. Il sera forcément historique.
Leave a comment