Par Bakary Cissé | lementor.net
À l’approche des élections législatives de 2025, une question agite les cercles politiques d’Abidjan : où le président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, sera-t-il candidat ? Entre Agboville, son bastion historique, et Yopougon, sa nouvelle terre d’expansion politique, « le Big » se trouve face à un dilemme stratégique qui pourrait redessiner son avenir et celui du RHDP.
Agboville, le fief sûr et la base historique
Agboville, c’est le cœur politique d’Adama Bictogo. C’est là que tout a commencé, là qu’il a forgé son assise, construit sa loyauté militante et consolidé son image d’élu de proximité. Dans cette circonscription, la victoire est presque acquise. L’appareil du RHDP y est bien structuré, la notoriété du candidat incontestée, et les forces d’opposition largement fragmentées.
Politiquement, Agboville représente la garantie de stabilité. En conservant ce siège, Bictogo sécurise non seulement sa réélection à l’Assemblée nationale, mais aussi sa position institutionnelle à la tête du perchoir. Et dans la logique du parti au pouvoir, le maintien au perchoir est plus qu’un symbole : c’est un levier d’influence pour la succession d’Alassane Ouattara en 2030.
Le précédent d’Hamed Bakayoko, en 2021, sert ici de référence. Malgré sa popularité à Abobo, Hambak avait préféré concourir dans sa région d’origine, à Séguéla, pour éviter tout risque politique. La stratégie s’était révélée payante. Pour Bictogo, suivre cette logique « sécuritaire » à Agboville, c’est opter pour la continuité et la garantie d’une trajectoire maîtrisée.
Yopougon, la tentation du risque et du prestige
Mais le maire de Yopougon n’est pas seulement un homme de précaution : il est aussi un joueur politique. Et Yopougon, plus grande commune de Côte d’Ivoire avec près de deux millions d’habitants, offre un champ de bataille à la mesure de ses ambitions.
En 2023, Adama Bictogo y a remporté la mairie dans un contexte particulier : une opposition fragmentée, des rivalités internes au PPA-CI, et un électorat fatigué des divisions. Cette victoire a marqué les esprits, mais elle ne garantit pas la même issue pour les législatives. Car cette fois, Michel Gbagbo et Dia Houphouët pourraient unir leurs forces dans une coalition d’opposition redoutable. Un scénario qui rappellerait la débâcle du RHDP de Kafana Koné en 2021, battu dans ce même bastion malgré les moyens déployés.
S’il choisit Yopougon, Bictogo s’expose donc à un double risque : une campagne coûteuse et incertaine, et surtout la possibilité d’une défaite qui lui coûterait cher — sa place de président de l’Assemblée nationale, et avec elle, toute prétention à la succession d’Alassane Ouattara. Car dans la hiérarchie politique ivoirienne, une défaite à Yopougon serait perçue comme un revers symbolique majeur.
Pour autant, le pari n’est pas dépourvu de sens. Une victoire à Yopougon placerait Bictogo au centre de l’échiquier politique national. Il deviendrait l’homme fort du RHDP, capable de conquérir la commune la plus politisée du pays et d’y asseoir durablement l’influence du parti présidentiel. Ce serait un tremplin considérable pour toute ambition future.
Le calcul politique d’un homme d’équilibre
L’enjeu dépasse donc la simple question de candidature. Il s’agit d’un choix entre le confort institutionnel et la conquête politique, entre la sécurité d’un fief et le prestige d’un territoire symbolique. En choisissant Agboville, Adama Bictogo s’assure la continuité. En optant pour Yopougon, il prend le risque du combat, mais aussi celui de l’histoire.
Au sein du RHDP, les avis divergent. Les pragmatiques plaident pour Agboville, où la victoire est certaine et les équilibres institutionnels préservés. Les partisans de l’audace estiment au contraire que l’homme fort du parti doit être en première ligne à Yopougon pour maintenir la dynamique du RHDP et affirmer sa stature nationale. Refuser d’y aller, disent-ils, reviendrait à déléguer la bataille à des lieutenants moins aguerris, comme le ministre Diawara, dont le poids politique reste relatif.
En définitive, Adama Bictogo sait que son choix ne sera pas anodin. Yopougon est un pari politique risqué mais porteur. Agboville, une assurance de stabilité. Entre l’instinct du stratège et la prudence du tacticien, le président de l’Assemblée nationale devra trancher.
Et ce choix dira tout de son avenir : s’il veut régner, il devra combattre à Yopougon ; s’il veut durer, il devra rester fidèle à Agboville. Dans les deux cas, c’est un test décisif — pour lui, pour le RHDP, et pour l’avenir du leadership politique en Côte d’Ivoire.
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