Par Bakary Cissé – Lementor.net
Dans une Afrique de l’Ouest où l’électricité demeure l’un des principaux freins à la croissance, la Côte d’Ivoire avance à contre-courant. Le pays s’est engagé dans une stratégie énergétique d’une ampleur inédite visant à transformer son avantage gazier et sa stabilité politique en leadership régional. L’objectif est précis : doubler la capacité installée pour dépasser 5 700 MW d’ici 2030. Derrière cette ambition se joue bien plus qu’une simple expansion industrielle ; c’est toute l’architecture énergétique de la sous-région qui est en train de se redessiner.
La centrale CIPREL illustre parfaitement cette montée en puissance. Partie de 99 MW en 1996, elle atteint aujourd’hui 556 MW grâce au cycle combiné gaz-vapeur, permettant de réduire considérablement les émissions de CO₂. Sa réussite a inspiré la construction de la centrale Atinkou, projet de 390 MW piloté par le groupe Eranove, qui porte à elle seule la capacité thermique privée à près d’un gigawatt. La Côte d’Ivoire s’impose ainsi comme l’un des rares pays africains à maîtriser le modèle des producteurs indépendants d’électricité.
Cette trajectoire attire naturellement les bailleurs de fonds internationaux. La Banque mondiale, l’IFC et le MCC se mobilisent pour financer la modernisation du réseau, étendre les interconnexions régionales et intégrer des solutions de stockage par batteries. Le compact énergétique régional signé en 2025 par les États-Unis représente un tournant stratégique : il ne s’agit plus seulement de soutenir l’accès national à l’électricité, mais de préparer l’intégration d’un marché énergétique ouest-africain cohérent capable d’alimenter plusieurs économies à partir de pôles de production fiables. Pour Washington, l’enjeu est également géopolitique, car la région regorge de minerais stratégiques nécessaires à la transition énergétique mondiale.
La demande énergétique ivoirienne augmente de près de 8 % par an. L’industrialisation, les zones économiques spéciales, l’urbanisation rapide et l’électrification rurale multiplient les besoins. Le plan 2030 mise donc sur un mix énergétique diversifié où le gaz demeure le pilier, complété par le solaire, l’hydraulique et la biomasse. La Côte d’Ivoire anticipe ainsi la transition énergétique sans renoncer à la fiabilité qu’offre le gaz à court et moyen terme.
L’enjeu dépasse largement le cadre national. La Côte d’Ivoire exporte déjà entre 10 et 15 % de sa production électrique vers le Ghana, le Liberia, la Sierra Leone et le Mali. Chaque mégawatt produit à Abidjan ou Jacqueville permet à une usine malienne ou guinéenne de poursuivre son activité, à un hôpital libérien de fonctionner ou à une ville de Sierra Leone de sortir des délestages chroniques. L’idée d’un hub énergétique régional n’est donc pas théorique : elle se matérialise, ligne après ligne, turbine après turbine.
La prochaine étape, cruciale, consistera à rendre l’électricité plus accessible aux ménages et aux PME ivoiriennes. Les investissements doivent se traduire par une baisse progressive des coûts, une régulation plus transparente des contrats IPP et une meilleure gouvernance du secteur. L’intégration régionale devra elle aussi être consolidée pour éviter les déséquilibres et garantir la stabilité des échanges transfrontaliers.
La Côte d’Ivoire s’est engagée dans une aventure structurante qui pourrait faire d’elle l’un des acteurs énergétiques les plus importants du continent. Si elle réussit à conjuguer production abondante, tarifs accessibles et intégration régionale, elle deviendra non seulement autosuffisante, mais indispensable à la croissance de ses voisins. Le hub énergétique ouest-africain n’est plus une aspiration ; c’est une réalité en construction, visible dès maintenant dans le bruit régulier des turbines et dans les lignes à haute tension qui étendent leur toile à travers la sous-région.
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