Par Bakary Cissé avec La Rédaction
À l’approche du 1er Sommet Économique de la CEDEAO, prévu les 20 et 21 juin 2025 à Abuja, les projecteurs sont braqués sur une région sous tension. Dans ce contexte, le déplacement hautement symbolique de la ministre nigériane Bianca Odumegwu-Ojukwu à Abidjan, pour remettre en mains propres une invitation du Président Bola Tinubu à son homologue ivoirien, Alassane Ouattara, sonne comme un appel à la responsabilité partagée. Plus qu’un simple geste protocolaire, il traduit une attente forte à l’égard d’un sommet aux enjeux existentiels pour la survie même de la CEDEAO.
L’Afrique de l’Ouest se trouve à la croisée des chemins. La rupture politique consommée avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger – désormais membres fondateurs de l’Alliance des États du Sahel (AES) – a ébranlé le socle d’unité régionale. En parallèle, les divergences sur la mise en œuvre de la monnaie unique, l’Eco, cristallisent les tensions entre une Côte d’Ivoire qui défend une approche réaliste et convergente, et un Nigeria qui prône une souveraineté monétaire immédiate mais difficilement applicable. À ce clivage s’ajoute le constat alarmant d’un commerce intra-régional anémique, plafonné à 15 %, très loin des 60 % atteints par l’Union européenne.
Dans ce paysage fragmenté, la Côte d’Ivoire apparaît comme un acteur de stabilité, au profil géoéconomique affirmé. Avec un taux de croissance de 6,5 % en 2024, une économie diversifiée (agro-industrie, numérique, infrastructures) et des investissements structurants, elle joue un rôle moteur dans l’UEMOA. Sa diplomatie, elle, mise sur le pragmatisme. Concernant l’Eco, Abidjan défend une adoption progressive à partir de l’UEMOA, déjà alignée sur les critères de convergence, en évitant l’illusion d’un saut intégral irréaliste. Cette ligne souple mais cohérente heurte Abuja mais permet d’éviter le blocage.
Autre point de vigilance : la réintégration des pays sahéliens. Ici encore, la Côte d’Ivoire se distingue par une diplomatie discrète mais active, multipliant les signaux d’ouverture envers le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Le ballet récent de responsables nigériens à Abidjan en atteste. En misant sur la reconstruction du lien politique sans dramatisation, Ouattara tente de ramener le Sahel dans l’orbite de la CEDEAO sans céder à la rhétorique punitive.
Sur la ZLECAf, la Côte d’Ivoire s’appuie sur ses zones industrielles modernes et sur des chaînes de valeur stratégiques, telles que le cacao ou la noix de cajou, pour entraîner ses partenaires régionaux vers une intégration économique réelle. Elle entend incarner une puissance d’entraînement plutôt qu’un simple modèle théorique.
Mais ce leadership présente des fragilités. La dépendance persistante aux matières premières expose le pays aux chocs externes, et les inégalités sociales croissantes pourraient à terme miner l’adhésion populaire à son rôle régional. Derrière la vitrine de la croissance, le contrat social reste fragile. Si la Côte d’Ivoire veut s’affirmer comme une puissance d’équilibre, elle devra aussi résoudre ses propres contradictions internes.
Le sommet d’Abuja devra donc poser des actes clairs. Sauver l’Eco en actant un calendrier crédible et des mécanismes de solidarité, rapprocher les trois pays frondeurs pour ne pas sacrifier 25 % du territoire et des ressources humaines de la CEDEAO, prioriser les corridors stratégiques comme Abidjan-Lagos ou Bamako-Ouagadougou, et investir massivement dans les PME, véritables épines dorsales de l’économie régionale.
Plus qu’un sommet, Abuja 2025 est un test de vérité pour la CEDEAO et pour Alassane Ouattara. S’il réussit à porter une vision d’intégration graduelle, solidaire et structurante, il placera la Côte d’Ivoire au cœur d’un nouveau projet ouest-africain. Dans le cas contraire, la région risque de s’enfoncer dans une logique de fragmentation au profit d’acteurs extérieurs – Chine, Russie, Union européenne – qui n’attendent que le vide stratégique pour imposer leurs agendas. Le choix est clair : l’unité ou l’effacement. Abuja doit trancher.
                                                                        
                                                                        
                            
                            
                            
                            
                            
                                        
                                        
				            
				            
				            
				            
 
			        
 
			        
 
			        
 
			        
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