Par Bakary Cissé | lementor.net
Le 30 septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré renversait le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba dans un coup d’État présenté comme un sursaut de salut national. Il promettait une refondation sécuritaire, la fin du chaos et la reconquête d’un territoire rongé par la terreur djihadiste. Trois ans plus tard, la promesse s’est évaporée. Le Burkina Faso s’enfonce dans la tourmente, transformé en épicentre mondial du terrorisme, où l’espoir s’effrite au rythme des bilans sanglants.
Selon les données de l’ONG ACLED, qui recense les violences et les conflits armés, le pays a connu entre 2023 et 2024 autant d’attaques terroristes qu’au cours des deux années précédentes. Mais le nombre de victimes, lui, a explosé : plus de 16 000 morts en deux ans, contre 6 500 auparavant. En 2024 seulement, 7 522 personnes ont été tuées, dont près de 2 000 dans 258 incidents terroristes. Des chiffres qui font du Burkina Faso le pays le plus meurtri au monde par le terrorisme, devant même l’Afghanistan, selon le Global Terrorism Index 2024.
Les régions du Nord, de l’Est et du Sahel sont devenues des zones de non-droit. Des villages entiers ont disparu, pris entre les feux croisés des groupes armés et des forces locales. Les attaques ciblent de plus en plus les civils, comme à Seytenga ou à Arbinda, où des dizaines de femmes et d’enfants ont péri dans des massacres de masse. Malgré les proclamations de victoire répétées du capitaine Traoré, les groupes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique contrôlent désormais de vastes portions du territoire, coupant les routes et isolant les populations. En septembre 2025 encore, des raids djihadistes à la frontière nigérienne ont causé plusieurs dizaines de morts, rappelant la fragilité d’un pays assiégé sur tous les fronts.
Dans ce contexte de chaos, l’Alliance des États du Sahel (AES), née en 2023 et censée unir le Mali, le Burkina Faso et le Niger dans la lutte contre le terrorisme, n’a pas tenu ses promesses. Présentée comme un « bouclier souverain », elle est devenue une chimère politique. Les trois régimes militaires, animés par la même rhétorique anti-occidentale, ont échoué à coordonner leurs efforts. Deux ans après sa création, aucune opération militaire conjointe n’a été menée. Les attaques persistent, les frontières restent poreuses, et la fameuse force commune de 5 000 hommes n’existe encore que sur le papier. Pendant ce temps, les djihadistes gagnent du terrain, exploitant la désorganisation des armées et les fractures locales.
Les alliances stratégiques avec la Russie, vantées par les juntes comme la clé d’un nouvel équilibre sécuritaire, se sont révélées tout aussi illusoires. Les instructeurs russes et les mercenaires du groupe Wagner, rebaptisé et redéployé sous d’autres bannières, n’ont pas inversé la tendance. Au contraire, la dépendance à Moscou a isolé diplomatiquement la région et accentué sa vulnérabilité économique. Le « front AES » apparaît désormais comme une illusion de souveraineté, un vernis politique sur des États fragmentés où l’autorité de l’État se délite un peu plus chaque jour.
Dans ce naufrage collectif, la sécurité n’est pas la seule victime. Les libertés publiques s’éteignent à petit feu. La liberté d’expression, jadis vivace malgré les tensions, est aujourd’hui étouffée par la peur. Les journalistes critiques sont arrêtés, les opposants bâillonnés, les voix dissidentes enrôlées de force ou portées disparues. Les rapports du Département d’État américain et d’Amnesty International décrivent un climat de répression systématique au Burkina Faso, au Mali et au Niger. En mai 2025, Bamako a franchi un cap en interdisant purement et simplement tous les partis politiques, imité quelques mois plus tard par Ouagadougou. Et en septembre 2025, les trois pays ont annoncé leur retrait de la Cour pénale internationale, un geste lourd de symbole : celui de l’impunité érigée en doctrine.
La promesse de souveraineté s’est ainsi transformée en fermeture. Les juntes ont remplacé l’ingérence étrangère par l’autoritarisme intérieur. Elles ont voulu chasser la domination politique de l’extérieur, mais ont imposé la peur à l’intérieur. En confondant pouvoir et sécurité, elles ont enfermé leurs peuples dans un cercle vicieux : plus de contrôle, moins de liberté, mais toujours plus d’insécurité.
Le Burkina Faso de 2025 illustre une tragédie sahélienne plus large : celle d’États fragiles dirigés par des militaires sans vision, piégés entre discours patriotiques et réalités insoutenables. Le salut ne viendra ni des slogans anti-impérialistes ni des alliances militaires opportunistes. Il viendra d’une gouvernance transparente, d’une justice restaurée et d’une véritable coopération régionale fondée sur la confiance et non sur la peur.
Trois ans après le coup de force d’Ibrahim Traoré, la « refondation sécuritaire » s’est muée en désillusion nationale. Le Burkina Faso, qui rêvait de renaissance, s’enfonce dans un long crépuscule. Et tant que les armes parleront plus fort que les institutions, la promesse de sécurité restera un mirage — celui d’un pays qui voulait se libérer, mais s’est enfermé lui-même dans la peur.
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