Par La Rédaction | Lementor.et
Il y a des samedis où Abidjan se réveille avec l’impression qu’un grand tournage de cinéma est prévu, mais qu’on ne sait pas encore si ce sera un drame, une comédie ou un film d’action. Ce 9 août, c’était Yopougon qui tenait l’affiche, avec en vedette la marche du Front commun PPA-CI/PDCI. Une production reportée d’une semaine – initialement prévue pour le 2 août – et qui a, finalement, connu sa grande première entre le cinema Saguidiba et la place Ficgayo.
Le scénario avait tout pour être explosif. Et pourtant, première surprise du public : pas de gaz lacrymogènes, pas de courses effrénées vers les maquis de fortune, pas de blessés ni, DIEU merci, de drame humain. Non, cette fois, la marche a été pacifique. Et rien que pour ça, on pourrait presque dire que c’était déjà un petit événement historique en Côte d’Ivoire politique.
Le casting, lui, était soigné : PPA-CI et PDCI en premiers rôles, accompagnés de quelques seconds couteaux venus, disons-le franchement, chercher un peu de lumière. Le FPI d’Affi N’Guessan, par exemple, n’a pas boudé son plaisir. Tout ce beau monde marchait pour des « élections inclusives », la « démocratie » et la « paix ». De beaux mots, presque poétiques… encore faudrait-il que ceux qui les prononcent s’assurent qu’ils soient appliqués dans leurs propres maisons politiques.
En toile de fond, un autre acteur clé avait déjà planté son décor : le président Ouattara, le 6 août, lors de son discours à la veille de l’Indépendance. Sobre, ferme, sans détour. Aucun message explicite pour l’opposition, mais un sous-titre bien lisible : « Ma position ne changera pas ». Traduction simultanée : vos leaders devront se débrouiller devant les juridictions compétentes, et il n’y aura pas de passe-droit pour leur participation. Court, précis, efficace, avec ces phrases qui sonnent comme des coups de semonce. Certains y ont vu un début de duel avec Laurent Gbagbo, qui avait appelé à « se battre » politiquement. Si c’est un oui implicite, alors le ring est prêt – espérons simplement que la bagarre ne déborde pas sur des terrains moins nobles que celui des idées.
Mais puisque nous sommes au Saguidiba, impossible de ne pas évoquer la grande scène comique de cette marche : la guerre des chiffres. Car ici, les débats sur les idées passent toujours après les concours de calcul mental. Pour les organisateurs, c’était 150 000 marcheurs. Pour la police, à peine 6 000. Sur les réseaux sociaux, un montage photo boosté à l’intelligence artificielle a propulsé le chiffre à deux millions le matin, avant de redescendre, au fil des heures, à 500 000 dans la bouche de Tidjane Thiam. Une cacophonie arithmétique qui a éclipsé, hélas, l’image d’une marche pourtant réussie.
Au fond, l’opposition voulait prouver qu’une partie des Ivoiriens, à travers leurs leaders, risque de manquer la présidentielle. Mais en se laissant piéger par la bataille des statistiques, elle a offert un cadeau à ses adversaires : celui de réduire l’événement à une querelle d’égo et de calculettes. Ce qui devait être une démonstration de force est devenu un épisode de sitcom politique, où chacun campe sur ses chiffres comme sur un but marqué hors-jeu.
Et c’est là tout le paradoxe : la marche du 9 août restera peut-être dans les annales non pas comme un moment décisif du débat démocratique, mais comme un rare jour où l’opposition et la police se sont séparées… sans incident. Et ça, dans notre histoire récente, c’est presque plus incroyable que les chiffres gonflés à la sauce IA.
Alors oui, du Saguidiba au Ficgayo, la Côte d’Ivoire a eu droit à un spectacle. Mais au générique de fin, on se demande encore : était-ce un tournant politique, ou juste un autre épisode du feuilleton ivoirien où l’art de compter – ou de surcompter – prend toujours le dessus sur l’art de convaincre ?
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