Par La Rédaction
Dans l’ombre des grandes figures politiques ivoiriennes encore en place, une agitation feutrée monte au sein de leurs camps respectifs. Les héritiers s’impatientent. Ils calculent, se positionnent, s’exposent même parfois avec une audace qui frôle l’insolence. À un an de l’élection présidentielle de 2025, la tentation de se projeter déjà dans l’après est palpable. Pourtant, rien n’est plus dangereux que de brûler les étapes lorsque le maître du jeu n’a pas encore prononcé son dernier mot.
La politique ivoirienne, longtemps façonnée par des figures tutélaires comme Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié ou encore Laurent Gbagbo, repose encore sur une logique d’incarnation. Le pouvoir y est souvent associé à un nom, à une stature, à une histoire personnelle forte. Dans ce contexte, les dauphins officieux, les héritiers putatifs ou auto-proclamés devraient faire preuve de prudence, voire de retenue. Or, c’est l’inverse qui se dessine : les rivalités s’aiguisent en coulisses, les alliances se construisent par défaut, et la discipline interne se fissure à mesure que la perspective de la succession se précise.
Ces impatiences sont compréhensibles sur le plan humain. Elles traduisent des ambitions légitimes, nourries par des années d’attente, de fidélité, parfois de sacrifices. Mais elles deviennent préoccupantes lorsqu’elles débouchent sur une indiscipline stratégique, sur des sorties médiatiques non coordonnées, voire sur des tentatives de déstabilisation internes. L’unité apparente de certains partis politiques cache mal les tensions qui les traversent. Et dans chaque camp, les mêmes symptômes apparaissent : un leader encore en poste, des lieutenants qui s’agitent, des promesses de ralliement conditionnel, et surtout, une opinion publique qui observe, parfois avec lassitude, ce théâtre des ambitions précoces.
La vraie force d’un héritier politique ne réside pas dans sa capacité à faire du bruit avant l’heure, mais dans sa maîtrise du temps, dans sa loyauté stratégique, dans sa capacité à incarner une continuité sans rupture brutale. L’histoire politique récente de la Côte d’Ivoire regorge de successions ratées, de trahisons mal gérées, de passations brouillonnes. Les leçons n’ont visiblement pas été toutes tirées. Les héritiers pressés oublient souvent que la crédibilité ne se construit pas dans les couloirs ou les réseaux parallèles, mais dans la légitimité accordée par celui ou celle qui tient encore la barre.
Il appartient donc aux grands partis et mouvements politiques de restaurer une culture de discipline et de transmission ordonnée. Cela suppose des règles claires, des canaux de discussion assumés, une pédagogie de la patience. Cela suppose aussi que les leaders actuels donnent des signaux sans équivoque : pas d’ambiguïté, pas de jeu à double fond, pas de silence qui encourage la cacophonie. Car toute succession laissée au hasard des calculs individuels devient une bombe à retardement.
Les impatiences des héritiers ne sont pas une faute en soi. Elles sont le reflet d’un système politique encore marqué par la centralisation du pouvoir, le culte des fondateurs, l’absence de mécanismes de relève structurée. Mais ces impatiences, si elles ne sont pas contenues, peuvent fracturer des équilibres fragiles, nourrir des crises évitables, et affaiblir les dynamiques internes au moment même où la stabilité devrait être consolidée.
Alors que s’ouvre bientôt une nouvelle page de l’histoire politique ivoirienne, il serait bon que les héritiers se souviennent que l’on ne succède pas à un géant en le contournant, mais en l’accompagnant jusqu’au bout.
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