Par Bakary Cissé | Lementor.net
Depuis la stabilisation de son climat politique et sécuritaire en 2011, la Côte d’Ivoire s’est imposée comme un îlot de paix dans une sous-région ouest-africaine tourmentée par les crises. Jadis marquée par ses propres soubresauts, elle est aujourd’hui devenue une terre d’accueil pour des dizaines de milliers de réfugiés fuyant guerres civiles, coups d’État et attaques djihadistes. Cette hospitalité, inscrite dans la culture ivoirienne, confère au pays un rôle humanitaire central, mais non exempt de défis.
La montée des violences dans les pays de l’Alliance des États du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) a poussé des populations entières à franchir les frontières. Depuis 2021, près de 80 000 Burkinabés, victimes des exactions de groupes armés et de milices locales, ont trouvé refuge dans le nord ivoirien. À cela s’ajoutent environ 10 000 Ghanéens, déplacés par le conflit foncier de Bawku, qui ont trouvé asile dans le Bounkani. Ces flux récents viennent s’ajouter à un mouvement migratoire ancien : en 2020, la Côte d’Ivoire comptait déjà 2,56 millions de migrants, soit près de 10 % de sa population, dont plus de 1,3 million de Burkinabés, mais aussi des Maliens et des Guinéens. Ces chiffres traduisent une réalité double : l’attractivité économique du pays et sa fonction de havre de stabilité dans une région instable.
Cet accueil généreux n’est toutefois pas sans conséquences. La porosité des frontières avec l’AES expose le nord ivoirien aux incursions armées, avec des tensions parfois attisées par l’amalgame entre communautés réfugiées et menace terroriste. Les violences, notamment celles visant les Peuls, rappellent la fragilité de l’équilibre social. À ces défis sécuritaires s’ajoute la pression sur les infrastructures locales : écoles, hôpitaux, ressources en eau et en nourriture. Conscient des enjeux, l’État ivoirien, avec l’appui de partenaires internationaux, a investi dans des camps modernes, des maisons en dur et des programmes d’intégration. Cette mobilisation, qui combine assistance humanitaire et soutien aux familles d’accueil, témoigne d’une volonté politique de maintenir la tradition d’hospitalité.
Sur le plan géopolitique, la Côte d’Ivoire reste parfois perçue comme l’alliée privilégiée de la France, une image qui alimente les critiques de certains régimes sahéliens marqués par le sentiment anti-français. Pourtant, le retrait des troupes françaises en janvier 2025 illustre une volonté de réaffirmer une souveraineté indépendante, sans rompre avec ses partenaires stratégiques. Dans cette posture délicate, Abidjan incarne un modèle de résilience et un pôle de stabilité, contrastant avec les dérives autoritaires de ses voisins.
L’avenir de cette hospitalité dépendra de la capacité du pays à gérer durablement les pressions qu’elle engendre. La coopération régionale sera indispensable pour s’attaquer aux causes profondes des migrations forcées et alléger la charge qui pèse sur les communautés d’accueil. Mais d’ores et déjà, le rôle de la Côte d’Ivoire mérite d’être reconnu. Elle demeure, au cœur d’une Afrique de l’Ouest fracturée, un refuge où paix et solidarité s’affirment comme des valeurs cardinales.
En somme, par sa stabilité retrouvée, sa générosité et son engagement, la Côte d’Ivoire s’affirme comme un pilier humanitaire et politique dans une région en crise. Elle est aujourd’hui, plus que jamais, une terre de refuge pour ceux que la violence a chassés de chez eux, et un symbole de résilience pour l’Afrique de l’Ouest.
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