Par La Rédaction
Il y a des signes qui ne trompent pas. Quand un plat comme le foutou devient sujet de discorde nationale, c’est que quelque chose, quelque part, a sérieusement bougé. Ou craqué. Car oui, en 2025, en Côte d’Ivoire, même la nourriture a une couleur ethnique. Le foutou, pourtant si rond, si chaud, si ivoirien, se retrouve accusé de n’être « pas assez du Nord » – comme si la faim portait un pagne tribal. On ne mange plus juste pour vivre. On mange pour se positionner. Tout est lu, traduit, interprété. Et c’est là que réside le vrai malaise : tout devient prétexte à séparation.
Prenez Fatima Koné. Elle aurait pu être simplement Fatima. Une Miss comme les autres. Une fille du pays au sourire large, au teint d’ébène profond, aux cheveux courts et assumés – comme le thème même de cette édition. Mais non. Il fallait qu’on débatte. Trop noir pour les uns, pas assez « canon » pour les autres, trop ceci, pas assez cela. Une foule qui, le soir du couronnement, a frôlé l’indécence, prête à huer une jeune fille qui ne demandait qu’une chose : un peu d’amour. Dans le cœur des compatissants, on jure avoir entendu résonner « JEU » de Himra, cette chanson qui dit l’injustice, la solitude, et les blessures muettes. Une miss qui dérange plus par ce qu’elle symbolise que par ce qu’elle est. Voilà où nous en sommes.
Mais ce n’est pas nouveau. Ce pays est un chaudron. Depuis quelque temps, ça mijote. Tranquillement. Un feu doux qui entretient les vieilles rancunes, les non-dits historiques, les frustrations contenues. Les politiques n’arrangent rien : eux aussi se taisent ou parlent en paraboles. ADO joue du flou artistique, les opposants s’agitent dans leurs camps, les nouveaux visages testent leur capital de séduction. Pendant ce temps, la rue, elle, observe, commente, juge, s’échauffe.
Et puis il y a les revenants. Blé Goudé, tout droit sorti d’un autre temps, mais cette fois en costume bien repassé. Paris comme nouvelle scène. La voix plus douce, les gestes calculés, le discours affiné. Il n’en faut pas plus pour que certains crient au retour du phénix, et d’autres à la renaissance du danger. Mais ce n’est pas lui qui inquiète le plus. Ce qui inquiète, c’est cette Côte d’Ivoire qui a perdu le goût du commun, de l’unisson, même temporaire. Une Côte d’Ivoire où une miss devient polémique, un plat divise, et le silence des dirigeants est plus assourdissant que le bruit de la foule.
Quelque chose couve. Ce n’est pas encore la braise. Ce n’est pas encore la flamme. Mais ça frémit. Une nation qui n’arrive plus à se regarder dans un miroir sans y voir une ethnie, une région, un clan. Une nation qui se méfie de sa propre image. Le foutou rassasie, certes, mais il sépare. Fatima incarne la grâce, mais elle dérange. Blé Goudé parle d’avenir, mais on l’écoute avec les oreilles du passé.
À force de surinterpréter chaque geste, chaque sourire, chaque coupe de cheveux, on risque de ne plus rien entendre du vrai. Et le jour où ça explosera – car oui, les marmites, même pleines d’eau tiède, peuvent déborder – il ne faudra pas dire qu’on ne l’a pas senti venir.
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