La campagne présidentielle ivoirienne de 2025 n’a pas encore officiellement démarré, mais déjà un tournant significatif vient d’être franchi. Ce tournant n’a pas eu lieu à Abidjan, ni dans un stade, ni dans un meeting, mais dans le champ feutré du droit international. Le Président du PDCI-RDA, Cheick Tidjane Thiam, a annoncé, par voie de communiqué, avoir saisi le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, à la suite de ce qu’il considère comme une restriction injustifiée de ses droits civils et politiques par la justice ivoirienne.
La démarche s’inscrit dans un cadre légal reconnu : la Côte d’Ivoire est signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques depuis 1992, et a ratifié son Protocole facultatif en 1997, permettant aux citoyens de porter plainte individuellement devant le Comité de l’ONU. Sur le plan juridique, la voie est donc légitime. Mais au-delà du droit, cette action soulève plusieurs questions politiques et stratégiques majeures.
Un recours rare et lourd de sens
Il est exceptionnel, dans l’histoire politique ivoirienne, qu’un candidat déclaré à la présidence se tourne aussi rapidement vers une instance internationale pour contester le cadre électoral national. Ce recours révèle d’abord une crise de confiance profonde à l’égard des institutions nationales, notamment judiciaires. Le communiqué du PDCI insiste sur l’absence de recours effectif en droit interne, une affirmation grave dans un État qui se veut démocratique.
Mais ce geste est aussi un acte politique réfléchi, destiné à rehausser le débat électoral sur le terrain des principes et des droits fondamentaux. Thiam, technocrate au profil international, choisit ici un terrain qui lui est familier : celui des textes, des normes et du droit international. C’est aussi un signal à ses électeurs et à l’opinion internationale : la présidentielle ivoirienne ne se jouera pas seulement dans les urnes, mais aussi dans les arènes du droit globalisé.
Le piège de la victimisation ou un repositionnement tactique ?
En optant pour cette stratégie, le PDCI prend le risque d’apparaître, aux yeux de certains, dans une posture de victime anticipée. D’autant que cette saisine intervient avant même l’ouverture officielle de la campagne, et alors que les institutions compétentes n’ont pas encore statué définitivement sur les candidatures.
Mais ce risque pourrait aussi être un calcul. Face à un RHDP solidement ancré dans l’appareil d’État et bénéficiant d’une majorité électorale bien structurée, le terrain juridique international devient un levier de repositionnement pour Thiam, en quête d’un espace d’expression que le contexte national semble lui refuser. C’est aussi une manière de poser, dès maintenant, les termes du débat : celui d’une élection inclusive, transparente et équilibrée.
Les enjeux pour la stabilité et l’image du pays
Cette démarche ne concerne pas que le destin personnel de Thiam. Elle pose des enjeux plus larges, notamment en matière d’image démocratique de la Côte d’Ivoire à l’international. La saisine d’un organe onusien en pleine période pré-électorale pourrait raviver les craintes d’un processus verrouillé, alimenter les suspicions autour de l’indépendance des institutions, et peser sur la crédibilité du scrutin à venir.
Pour autant, il faut aussi éviter les raccourcis. Saisir le Comité des droits de l’homme ne signifie pas que l’État ivoirien est automatiquement fautif. Le Comité étudiera la recevabilité du dossier, puis son fond, dans un processus rigoureux et long. Ce n’est donc pas un outil d’intervention immédiate, mais plutôt une arme de dissuasion symbolique dans le jeu politique.
Un test pour l’opposition… et pour le pouvoir
Au final, cette initiative est aussi un test pour l’ensemble de la classe politique ivoirienne. Pour l’opposition, elle oblige à réfléchir au type de bataille à mener : celle des idées ou celle des contentieux ? Pour le pouvoir, elle impose un devoir de transparence et de sérénité dans la gestion du processus électoral.
Ce n’est pas tant la saisine qui dérange, que ce qu’elle révèle : un déficit de confiance dans le jeu institutionnel, et une quête de légitimité qui déborde le cadre national.
Le verdict du Comité des droits de l’homme ne dira pas si Tidjane Thiam peut ou non gagner une élection. Mais il nous dira si la Côte d’Ivoire est encore capable de régler ses différends politiques dans un cadre consensuel et républicain — ou si, au contraire, elle continue de chercher ses réponses à Genève, faute de les trouver à Yamoussoukro.
Par La Rédaction
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