Par Bakary Cissé
Le 2ᵉ Congrès ordinaire du RHDP, tenu les 21 et 22 juin 2025 à Abidjan, s’est refermé dans une ferveur militante et une scénographie réglée au millimètre. Mais derrière les chants, les motions et les résolutions, ce rendez-vous politique majeur nous offre une lecture bien plus profonde : celle d’un pouvoir qui maîtrise l’art du tempo, de la mise en scène et de la domination narrative.
Leçon n°1 : Le temps est une arme politique
Alors que le pays retient son souffle à l’approche de la présidentielle d’octobre 2025, le Président Alassane Ouattara a magistralement prolongé le suspense. Ni confirmation, ni renoncement : sa candidature reste en suspens.
En repoussant l’instant décisif que tout le monde attendait, il a inversé les rapports de force. L’opposition, en quête de cap face à un « suspense Ouattara » omniprésent, se retrouve tétanisée. Le RHDP, lui, transforme l’attente en rituel d’unité. Le silence devient langage politique. Le temps, une arme de dissuasion.
Leçon n°2 : L’unité affichée, pilier du pouvoir
Les images sont claires : plus de 100 000 militants rassemblés au Stade Alassane Ouattara d’Ebimpé, débordant de ferveur. Le message est implacable : le RHDP n’est plus un parti, c’est un bloc.
La nomination de 300 nouveaux membres au Comité central, validée à l’unanimité, renforce encore la mainmise du Président sur l’appareil. Aucun courant dissident, aucun murmure critique. Cette discipline interne est rare en politique ivoirienne et redoutablement efficace.
Leçon n°3 : L’opposition prise au piège de l’attente
En différant l’annonce du candidat, Ouattara piège ses adversaires dans une stratégie d’attente. Le « Front Commun » formé par le PPA-CI de Laurent Gbagbo et le PDCI de Tidjane Thiam avait fait de la candidature du président leur principal levier de mobilisation. Mais comment attaquer une cible qui ne se dévoile pas ?
Résultat : les opposants paraissent en décalage, incapables de reprendre la main sur le calendrier politique. Pendant ce temps, le RHDP structure ses réseaux et renforce sa dynamique de terrain.
Leçon n°4 : La force du symbole
Le lieu du congrès – le Stade Alassane Ouattara lui-même – est une déclaration politique. Il incarne le legs d’un homme d’État et renforce l’idée d’une continuité historique. Quinze ans après son accession au pouvoir, Ouattara transforme son nom en monument, son parcours en héritage à protéger.
Les slogans scandés par les militants, les couleurs orange omniprésentes, les discours empreints de fidélité montrent une adhésion émotionnelle qui dépasse la simple logique électorale.
Leçon n°5 : L’art de la diversion
Tandis que les critiques sur la Commission Électorale, le fichier électoral ou les libertés publiques s’accumulent dans l’opposition, le président occupe l’espace médiatique par son silence.
Chaque mot, chaque absence, chaque retard d’annonce devient un événement. Cette stratégie d’ombre et de lumière neutralise les critiques et empêche l’opposition d’imposer un autre débat. Le pouvoir capte l’attention, sans même parler.
L’enjeu caché : L’héritage, plus encore que la candidature
Le flou maintenu par le Président Ouattara n’est pas qu’un outil de suspense : c’est un calcul d’héritier. En se gardant de choisir trop tôt, il conserve deux options ouvertes :
- Se présenter et offrir la victoire à une machine électorale déjà mobilisée ;
- Ou désigner un dauphin, légitimé par un parti verrouillé et une base militante acquise, tout en restant le parrain politique de la République post-2025.
Ce que le Congrès nous révèle vraiment
Le 2e Congrès du RHDP n’a pas seulement réuni un parti autour de ses résolutions. Il a démontré, dans sa forme et dans son fond, la parfaite orchestration d’un pouvoir qui veut durer.
Mais cette stratégie n’est pas sans risques : plus le suspense dure, plus l’usure guette. L’opinion publique, les chancelleries, les électeurs modérés finiront par réclamer de la clarté. D’ici la mi-août, le RHDP devra dévoiler ses cartes.
Conclusion : Ne pas choisir, le choix le plus puissant
En politique, savoir attendre peut valoir plus que parler. En sortant de ce congrès sans nommer son candidat, Ouattara ne renonce pas : il s’élève au-dessus de la mêlée. Il devient arbitre de l’histoire qu’il a lui-même écrite.
Mais ce choix de « non-choix » peut-il durer ? À trop retarder l’inévitable, le stratège risque de perdre l’initiative. Pour l’heure, il reste, indéniablement, le métronome du jeu politique ivoirien.
Le 2e Congrès du RHDP nous l’a rappelé : en Côte d’Ivoire, le silence d’un homme suffit à faire trembler tout le système.
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