Par Bakary Cisse – Lementor.net
Face aux menaces djihadistes venues du Mali, du Burkina Faso et du Niger, le président Alassane Ouattara a fait de la sécurité l’un des piliers de son action. Depuis plus d’une décennie, la Côte d’Ivoire se retrouve en première ligne d’un front sahélien qui avance, lentement mais sûrement, vers les pays côtiers. Les attaques de Kafolo en 2020 ou de Téhini en 2021 ont rappelé, avec brutalité, que les groupes affiliés à AQMI ou à l’EIGS ne s’arrêtent pas aux frontières administratives. Ils avancent à la faveur des crises politiques répétées chez les voisins du Nord, des zones grises de non-droit et de la porosité des frontières. Dans ce contexte, Abidjan a élaboré une stratégie multidimensionnelle, mêlant alliances internationales, renforcement militaire et innovation technologique. Une équation qui place le pays comme rempart incontournable du golfe de Guinée.
Les partenariats internationaux constituent l’un des volets les plus visibles de cette architecture de sécurité. Ils sont déterminants, mais jamais exclusifs. Avec les États-Unis, la coopération s’est intensifiée sous l’égide de l’AFRICOM. Le don de 12 blindés en novembre 2024 et la nouvelle phase stratégique annoncée en septembre 2025 — centrée sur la formation, le renseignement et la lutte contre le terrorisme — ont consolidé la Côte d’Ivoire dans son rôle de partenaire pivot de Washington en Afrique de l’Ouest. La France, allié historique, maintient son détachement de liaison interarmées et appuie l’Académie Internationale de Lutte Contre le Terrorisme (AILCT) de Jacqueville, haut lieu régional de formation. Israël fournit des solutions de surveillance et des drones tactiques, tandis que la Turquie s’installe comme un partenaire émergent, notamment dans le domaine de la cybersécurité et des transferts de technologies de défense.
Ces alliances, évaluées à plusieurs centaines de millions de dollars d’aides, d’équipements et de formations, ont permis à la Côte d’Ivoire de neutraliser ou de contenir près d’une vingtaine d’incidents djihadistes entre 2020 et 2021. Mais la région reste instable : la chute de la base malienne de Mahou en juin 2025 a déclenché un flux de réfugiés vers les Savanes ivoiriennes, ravivant les inquiétudes face à une possible poussée vers le sud. Les groupes armés continuent d’opérer depuis les forêts du sud malien et burkinabè, mêlant propagande, prédation économique (orpaillage, trafic de bétail) et pression sur les populations locales. Si aucune attaque majeure n’a été enregistrée depuis 2022, c’est grâce à des opérations conjointes menées par Abidjan — comme « Comoé » avec Interpol — et à une stratégie d’anticipation devenue la marque de fabrique des forces ivoiriennes.
Mais l’un des tournants décisifs de la politique sécuritaire ivoirienne est la volonté d’acquérir des outils technologiques souverains. À ce titre, l’initiative pilotée par le ministère de la Défense et l’ANSSI-CI constitue une rupture stratégique. Depuis 2025, Abidjan explore la possibilité d’acquérir ou de développer une capacité de renseignement satellitaire autonome afin de surveiller les quelque 1 200 kilomètres de frontière nord, véritable talon d’Achille sécuritaire. Au centre des discussions se trouve Guardian, un système développé par SpaceKnow, entreprise américano-tchèque fondée par les ingénieurs Jerry Javornicky et Pavel Machalek, ancien de la NASA. Guardian repose sur une constellation virtuelle combinant imagerie optique, radar et intelligence artificielle, permettant d’analyser des mouvements suspects en temps réel. Une telle capacité permettrait aux FACI de détecter, suivre et anticiper les flux djihadistes sans dépendre exclusivement des renseignements fournis par les puissances étrangères.
La démarche s’inscrit dans une volonté politique claire : souveraineté et montée en gamme. Abidjan s’appuie pour cela sur des intermédiaires africains spécialisés, comme la société ivoirienne MGS, qui facilite l’accès à des technologies non létales de nouvelle génération. La création de l’Agence spatiale de Côte d’Ivoire (ASCI) en juin 2025, et le lancement réussi de YAM-SAT-CI 01 dès 2023, illustrent cette ambition : développer une base technologique nationale pour renforcer la défense, la surveillance environnementale et la planification territoriale.
Cette stratégie équilibrée reflète une vision globale. Les alliances internationales fournissent un soutien immédiat, crucial dans un environnement où les menaces circulent vite. Mais l’investissement dans des capacités locales — satellitaires, cyber, drones — montre qu’Abidjan refuse de rester dépendant. En 2025, cette doctrine hybride a porté ses fruits : les incidents frontaliers ont diminué de 30 %, et plusieurs cellules dormantes impliquant des ressortissants maliens et burkinabè ont été démantelées.
Toutefois, les défis persistent : le coût élevé des technologies avancées, la formation des équipes, et la nécessité de pérenniser des unités de renseignement capables d’utiliser ces outils de manière autonome. À long terme, la Côte d’Ivoire pourrait devenir l’un des modèles de “sécurité endogène” en Afrique de l’Ouest, comme l’encourage le plan d’action de la CEDEAO adopté en 2022. L’intervention rapide de la Force d’attente de l’organisation au Bénin pour contrer une tentative de coup d’État en novembre 2025 montre que la région entre dans une nouvelle ère d’action collective, où les États côtiers refusent de subir l’instabilité importée.
En renforçant simultanément ses alliances et sa souveraineté technologique, la Côte d’Ivoire s’impose comme un acteur proactif, non plus seulement pour sa propre sécurité, mais pour celle de toute la sous-région. Une architecture ambitieuse, complexe, mais indispensable dans un environnement où l’équilibre géopolitique du golfe de Guinée se joue désormais autant dans les casernes que dans les salles de contrôle satellitaire.
Leave a comment