Par AN | Lementor.net
Bassirou Diomaye Faye, 45 ans, avance désormais avec l’assurance d’un dirigeant qui sait où il va. L’image du « président tombé du ciel » s’est évaporée depuis longtemps. Celui qui avait émergé grâce à une conjoncture exceptionnelle en avril 2024 – une dynamique populaire en faveur du Pastef, l’appui décisif d’Ousmane Sonko et une campagne fulgurante – s’impose aujourd’hui comme un stratège méthodique, soucieux de consolider son pouvoir et de maîtriser les rapports de force dans son camp.
Son premier véritable défi a éclaté avec la structuration de la « Coalition Diomaye Président ». Ce qui devait être une démonstration de cohésion lors du terameeting de novembre 2024 s’est transformé en révélateur des fractures profondes entre le chef de l’État et son Premier ministre, Ousmane Sonko. Les tensions, longtemps dissimulées derrière des déclarations publiques d’unité, sont devenues visibles lorsque le président a brutalement remplacé Aïda Mbodj par Aminata Touré à la tête de la coalition. Trois jours plus tôt, Sonko assurait pourtant devant ses militants qu’aucune division ne viendrait de lui.
Le choix présidentiel, justifié par la volonté de rendre la coalition « plus performante », a été interprété comme une mise à l’écart directe du Premier ministre, qui soutenait fermement Mbodj. La réaction interne fut immédiate : Abdourahmane Diouf, ministre de l’Environnement, dénonça publiquement un climat de règlement de comptes. Ce coup de tonnerre accéléra la perception d’un pouvoir divisé entre le noyau présidentiel et le bloc Sonko–Pastef.
La nomination d’Aminata Touré – ancienne Première ministre de Macky Sall et aujourd’hui haute représentante du chef de l’État – a encore élargi le fossé. Le Pastef refuse ouvertement de partager un leadership avec celle qu’il juge éloignée de ses valeurs. Pendant ce temps, Diomaye Faye resserre ses alliances autour d’acteurs aguerris comme El Malick Ndiaye, président de l’Assemblée nationale, avec qui il pilote désormais une stratégie politique parallèle, souvent en marge du Pastef. Dans l’ombre se dessine une échéance cruciale : la présidentielle de 2029, qui pourrait acter une rupture formelle au sein de la mouvance.
Aminata Touré, longtemps critique d’Ousmane Sonko, s’est insérée au cœur du dispositif présidentiel. Après son combat contre Macky Sall entre 2022 et 2024, elle a retrouvé en quelques mois une influence majeure à Dakar. Depuis août 2024, elle occupe le poste de haute représentante du chef de l’État, rôle stratégique autrefois confié à Moustapha Niasse.
Elle agit dans la discrétion, sans portefeuille ni département, mais avec un champ d’action large : représentation internationale, participation à des conférences de haut niveau et supervision de plusieurs dossiers politiques. Elle refuse l’idée d’un poste honorifique : « Je ne m’ennuie pas. Je travaille sur différents dossiers et j’apporte mes conseils sur des points essentiels », assure-t-elle.
Son parcours, façonné entre diplomatie internationale et engagements politiques nationaux, lui confère une stature singulière. Formée en économie à Grenoble et passée par l’UNFPA à New York, elle a toujours lié son action aux questions de droits humains. Revenue au pays, elle s’est opposée au troisième mandat d’Abdoulaye Wade, puis s’est rangée derrière Macky Sall avant de rompre en 2022, après s’être estimée écartée du perchoir de l’Assemblée nationale. Son rapprochement avec le Pastef en 2023, en pleine contestation du pouvoir, s’inscrivait selon elle dans la défense des institutions : « Le pays a frôlé l’instabilité. Les morts de juin 2023 en sont la preuve », rappelle-t-elle.
La première année du mandat de Diomaye Faye a été dominée par la découverte d’une dette publique dissimulée, héritée de l’ancienne administration. Aminata Touré soutient les poursuites engagées contre certains ex-ministres pour mauvaise gestion des fonds Covid, estimant qu’il s’agit de restaurer la transparence et non de mener une vendetta politique. Elle insiste sur la nécessité d’écouter les victimes des violences de 2021-2023, considérant leur reconnaissance comme un impératif moral et démocratique.
Par son expérience, sa prudence et sa connaissance fine de l’État, Aminata Touré s’est imposée comme une pièce maîtresse du système Diomaye Faye, dans un contexte où les alliances évoluent et où la majorité cherche encore son équilibre.
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